Chapitre 2 (3) : O grande amor

3 minutes de lecture

Jeudi 14 Juillet 1988. 00h30. Appartement de Tristan.

— Ça va aller Lulu ? Alors, tu voulais me parler de quoi ?

— Oui, oui t’inquiète, ça va aller, je suis juste claqué, une fois de plus. Laisse tomber, rien d’important, formula-t-il dans un ultime effort convaincant espérait-il, les yeux toujours fermés, de peur de craquer trop vite.

Convaincu, Tristan ne l’était pas. Il préféra se lever et choisir un vinyle à écouter, parmi sa pile en désordre. Il éteignit la lumière, alluma sa grosse bougie à la place. Il s'installa sur le lit, les bras derrière la tête comme à son habitude. Le son chaleureux du jazz bossa nova de Stan Getz embrassa la pièce. Non ! Surtout pas ce disque Tristan. Tu veux m’achèver? Je ne tiendrais jamais. Combien de fois l’avaient-ils écouté ensemble ? Des centaines de fois, sans interruption, sans un mot, dans cette même pièce. Tristan allongé et lui, assis. Tristan fou de cet album intemporel, fou de la voix mélancolique et suave d’Antonio Carlos Jobim et de celle si douce et légère de Joao Gilberto. The girl from Ipanema, Le classique de chez classique répétait Tristan avec admiration. Arriva O grande amor, la chanson préférée de Lucas. Il bascula sa tête en arrière, le souffle court, laissant glisser une larme qu’il ne pouvait contenir cette fois-ci.

— T'endors pas Lulu. Heureusement les lampadaires de la place nous éclairent davantage que cette bougie ! Viens voir, la lune. Elle est si claire, si lumineuse ce soir. C’est magnifique !

Lucas releva sa tête, essuya sa larme discrètement. C’est toi qui est magnifique, idiot.

— Hé Lucas, je rêve ou tu pleures ? D’habitude c’est moi qui chiale sur ce morceau. J’aurais pas dû mettre ce vinyle, désolé.

Non ne t’excuse pas mon bel Antonio.

— Dis-moi ce qui se passe enfin ! Je vois bien que ça va pas. Ça fait des semaines que tu traînes ce petit air absent aussi mélancolique que cette chanson ! Ça te ressemble pas. J’aime pas te voir comme ça, insista Tristan, dérouté.

— Mais non tout va pour le mieux. La fatigue, je te dis.

— Allez debout, donne-moi ta main que je t’aide à te relever, on va s’en griller une sur le balcon !

Lucas ne put que se prêter au jeu devant un tel enthousiasme. Il mit toute l’énergie qui lui restait et profita de l’impulsion que lui donnait Tristan.

— Attention, tu vas me tomber dessus !

Lucas fit chanceler Tristan, qui se rétablit comme il put, sans pour autant le lâcher. Lucas s’écroula sur lui, le prit dans ses bras, les yeux plein de larmes. Il ne put réprimer de lourds sanglots qui n’attendaient que ça, pour sortir. Tristan, décontenancé, n’osait plus bouger. Il lui caressa maladroitement le dos pour le consoler. Lucas humait cette odeur tant imaginée, sentit ce corps tant désiré. Il ne sut combien de temps il resta comme ça, accroché à lui, avant de reprendre ses esprits.

— Je suis désolé Tristan, je ne sais pas ce qui m’arrive…

— Y’a pas de mal, ça fait du bien de pleurer parfois, surtout sur cette musique. Comme dit mon père, les rares fois où il est bourré : pleure donc, tu pisseras moins ! Classe non ?

Lucas sourit malgré lui.

— Aaaaah je préfère ça ! On se la fume cette clope oui ou non ? Enfin, s’il t’en reste, parce moi, j’suis à sec, désolé.

Lucas mit la main à sa poche.

— Merde, j’ai dû les oublier à côté de la caisse enregistreuse.

— Bouge pas, file moi les clefs, je vais te les chercher. Toi, va prendre l’air sur le balcon. J’ai l’impression qu’il y a enfin un peu de vent.

Lucas lui donna les clefs. Tristan dévala les escaliers. Lorsqu’il les remonta quelques minutes plus tard, il ne le vit pas sur le balcon.

— Lucas, t’es où ? J’ai pas trouvé tes clopes !

Il toqua au cabinet de toilette.

— T’es là ? A moins que tu préfères pisser au lieu de chialer cette fois-ci, osa-t-il.

A défaut de réponse, il finit par ouvrir la porte mais ne vit personne. La cuisine était vide elle aussi. Sur la table, un mot écrit sur le coin d’un journal.

Désolé de partir comme ça. La saudade a été trop forte pour moi ce soir. Profite de ton week-end avec les copains et embrasse-les de ma part. Et surtout, ne t’inquiète pas pour moi. Ok ? A plus Antonio mio !

Tristan reposa le papier, pensif. Emu par le surnom que lui avait donné un soir Lucas, depuis qu’ils partageaient cette musique brésilienne qu’ils affectionnaient tant. Troublé aussi par leur étreinte fortuite. Lucas avait osé lâcher prise devant lui, signe qu’il avait confiance en lui se persuada-t-il. Mais Tristan n’était pas serein. Lucas lui cachait quelque chose. Il soupira d’impuissance. Pour se changer les idées, il s’attela à faire sa valise pour ces quelques jours de vacances bien mérités.

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0