Chapitre 13 (1) : coucher de soleil

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Vendredi 15 juillet 1988. Fin d’après-midi. Île d'Oléron.

Le soleil faiblissait, comme fatigué d'avoir trop brillé, pour prendre une teinte orangée saisissante. Les vagues quant à elles, continuaient invariablement à venir mourir tranquillement sur le rivage. La majorité des vacanciers avait déserté la plage, devenue petit à petit plus calme. Paul et Tom partirent eux aussi, officiellement pour aller faire des courses dans un petit magasin d’alimentation du village. Leur regard complice laissait présager une activité plus ludique. Tristan sourit à leurs pitreries équivoques avant de les voir rassembler leurs affaires. Il comptait bien, lui aussi, profiter de ce moment pour se retrouver seul. Il en ressentait le besoin. Assister à un coucher du soleil figurait dans son programme de vacances. La douceur de l’air, le calme revenu, la musique des vagues. C’était l’occasion parfaite. Être ici, assis en tailleur, complètement nu, décuplait une sensation de bien-être et de liberté incroyable. Il regarda l'astre rouge disparaître paisiblement, derrière la ligne d'horizon en quelques minutes. C’était toujours aussi beau et reposant.

Déjà deux jours de passés et l’impression d’être sur cette île depuis une semaine. Que de beaux moments avec ses amis ! Il toucha délicatement le nouveau petit anneau à son oreille. Ça le lançait un peu mais rien de bien méchant. Il était vraiment content du résultat. Il attrapa son sac et en sortit un paquet de cigarettes. Il profita pleinement de sa première bouffée, les jambes dépliées, pour être plus à son aise.

De ce séjour, il avait déjà de belles images plein la tête. Celles des couleurs vives du feu d’artifice de la veille. Celles de la fête foraine du village qui avait suivi. Celles de leurs cris déments sur la piste des autos-tamponneuses. Celles de leur barbe à papa à la main, dans les rues animées. Celles de sa victoire au tir à la carabine et du lot gagné : une peluche de contrefaçon, aux drôles d’yeux, qui était censée ressembler à un Bisounours. Leur trio n’était pas passé inaperçu ce soir-là. Surtout lorsque Paul avait embrassé Tom, à la vue de tous, eux trois blottis dans une nacelle de la grande roue. Quelques vacanciers avaient regardé le couple en plein baiser, bouche bée. Tristan avait alors placé son bras autour des épaules de Paul avec qui il avait simulé un long baiser de cinéma. Ils avaient entendu du haut du manège des rires étonnés. Une insulte avait fusé, mais ils en avaient au contraire ri. Autant de souvenirs de sa jeunesse gravés en lui. Il le savait. Surtout, ne pas les oublier, pour les retrouver plus tard, durant les jours fragiles, les moments de doutes, où ils deviendraient des alliés précieux de son existence.

— T’aurais pas une cigarette à m’offrir ? demanda une silhouette, le surplombant.

Tristan sursauta devant le garçon qui se tenait droit devant lui. Une carrure avantageuse, le crâne rasé, un sourire naturel. C’était le jeune homme qu’il avait vu la veille. Il l’avait reconnu machinalement, en arrivant en début d’après-midi, amusé de le retrouver sur sa serviette, au même endroit. Tristan lui tendit son paquet.

— Je peux ? dit l’inconnu qui semblait aussi vouloir s’asseoir à ses côtés.

Tristan hésita mais lui fit signe de se joindre à lui. Le garçon, vếtu d’un simple marcel sur le dos, prit place à ses côtés. Il regardait devant lui, savourant lui aussi sa cigarette que Tristan lui avait allumé.

— Tu viens souvent sur cette plage avec tes amis ?

— Heu non, je suis arrivé hier et je repars dimanche. Première fois que j’y mets les pieds, lui avoua-t-il, un peu embarrassé de se retrouver nu avec un parfait inconnu. Il en profita pour remettre son t-shirt.

— Ils ont l’air marrant tes potes. Ils sont ensemble ?

— Des gros débiles tu veux dire. Et oui, ils sortent ensemble.

Le garçon lui sourit et tira sur sa cigarette, en plissant des yeux, avant d’expulser un nuage de fumée.

— Ils t’ont abandonné à ce que je vois…je les ai vu s’en aller…

— Ouais, les gros lâches…ils sont partis faire des courses, plaisanta-t-il.

— Sérieux ? Tu m’étonnes là. Car je les ai vu s'éclipser derrière les dunes, là-bas. Et je pense pas que ça soit le chemin de retour le plus rapide pour reprendre son vélo ou sa voiture, répondit-il en montrant vaguement derrière lui, l’endroit dont il parlait.

— Ah oui ? J’ai pas fait attention à vrai dire.

Le garçon tira une dernière fois sur sa cigarette, puis l’écrasa dans le sable.

— Dis-moi, ça te dirait pas d’aller faire un tour derrière les dunes, nous aussi ? demanda-t-il, en le fixant du regard.

Tristan s’étonna d’une telle proposition. La main du garçon était posée nonchalament sur son sexe, le cachant à moitié. Il continuait à lui sourire.

— À te regarder, tu sais pas ce qu’il y a derrière les dunes, si je comprends bien, dit le garçon, qui effleurait doucement son sexe.

Tristan rougit, sans savoir quelle réaction adopter lorsqu’il s’aperçut que le garçon bandait devant lui, assis tranquillement, sans aucune gêne.

— Comme je t’ai dit, première fois que je viens ici, dit-il, cette fois-ci nerveux.

— Je te fais une petite visite si tu veux. On sera peinard, t’inquiètes, y’a jamais grand monde à cette heure-ci.

Tristan tira lui aussi une dernière bouffée sur sa cigarette, avec un léger tremblement dans ses mains. Il commença à avoir un fou-rire intérieur.

— Écoute, c’est très sympa de jouer les guides avec moi. Je vois que t’as plein d’énergie à dépenser, mais ce sera sans moi, répondit-il, espérant que l’inconnu comprendrait.

Le garçon perdit son sourire instantanément.

— J’ai cru que…ok, je vois…J’ai l’air d’un con maintenant avec ça, dit-il bon perdant, en lui montrant son érection retomber.

— Mes copains diraient s’il te voyaient que je devrais être, au contraire, flatté, dit-il, retrouvant son assurance.

— En tous cas, merci pour la cigarette. Et sinon…très sexy ta boucle d’oreille. Elle te va bien.

— Heu…merci, c’est sympa.

— Et sincère. Je te souhaite une bonne soirée.

— Merci, toi aussi.

Il regarda le garçon rejoindre sa serviette, la ranger dans son sac et s’en aller vers les dunes. Il rassembla ses affaires à son tour, un peu troublé par ce qui venait de lui arriver, ne s’empêcha pas, en même temps, de trouver la situation des plus comiques.

Il revint à vélo par la côte, sur les chemins réservés aux cycles et piétons. Il pédalait tranquillement, pour ressentir le vent fouetter son visage. Il respirait l'air marin à plein poumons. Il sourit pour lui-même, heureux de se sentir pleinement vivant.

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