Vendredi 15 juillet 1988. Soirée. Île d'Oléron.

Pensif, Tristan, sa serviette de bain sur l’épaule, rejoignit ses amis à l’emplacement où étaient plantées leurs toiles de tente. Ils avaient la chance de bénéficier de l’ombre d’un jeune chêne déjà volumineux. Ils l’avaient relié à un piquet de fortune, avec un cordage suffisamment solide pour supporter le poids de leurs serviettes de plage. Le seul inconvénient, de grosses racines déformaient par endroits le terrain. Il s’agissait de bien regarder où mettre les pieds. Tom avait déjà installé une petite table basse pliante. Au programme, soirée chamallow grillés. La cuisson fut laborieuse et source de fous rires, avant que chacun ne commence à avoir du sucre collé plein les doigts.

— Mais arrête Paul, tu vas tacher ma nouvelle marinière ! cria Tom amusé, alors que Paul essayait tant bien que mal de l’embrasser dans le cou, son pic à brochettes dans une main, l’autre posée sur son entre-jambes.

Tristan les regardait faire les pitres. Ces deux-là s'étaient trouvés. Pourtant si différents à les regarder, leur complicité était immense, leur amour contagieux. Paul avait tellement changé en quelques mois ! Sa timidité semblait avoir disparu. Le jeune loup solitaire s’était métamorphosé en un jeune chien fougueux. Tristan était reconnaissant envers Paul de continuer d’avoir avec lui de vrais moments de partage. Cette amitié indéfectible était inestimable.

— Vous ne vous arrêtez donc jamais vous deux !

— Néan, chamais pourquoi ? répliqua Paul, la baguette de bois entre les dents, pendant que Tom lui tirait les oreilles.

Tristan domptait son impatience, regardait à plusieurs surprises s’il ne voyait personne arriver. Paul s’en aperçut, intrigué, mais ne dit rien. Tristan finit par aller dans sa tente récupérer une crème contre les coups de soleil. À ce moment-là, une jeune fille apparut. Elle était vêtue d’une robe couleur framboise et d’un gilet léger. Elle leur souhaita le bonsoir. Tristan ressortit aussitôt. Mais dans sa précipitation, il ne fit pas attention à une racine plongée dans l’obscurité. Il s'affala de tout son long au pied de la jeune fille, qui recula, surprise. Il jura entre ses dents. Ses deux amis explosèrent de rire. Tristan les maudit du regard puis se retourna vers la jeune fille, honteux. Elle lui sourit, réprimant un fou rire. Il se releva et fit les présentations.

— Giuliana, vi presento i miei due amici !

— Oh la la, mais c’est qu’il y va à fond notre Tristan, ne pût s’empêcher de plaisanter Tom.

— Fais pas attention à eux, ils sont débiles !

— En-chan-tée ! répondit-elle.

Les deux garçons lui firent signe de se joindre à eux.

— Tristan était impatient de te voir, dit Paul, avec un clin d'œil à son ami.

— Je pardonne. Son oreille est si… jolie, dit-elle avec quelques hésitations dans sa prononciation. Elle effleura d’un doux geste la boucle d’oreille de Tristan.

Tom siffla de ses deux doigts tandis que Paul lançait des “amore mio”.

Tristan, rougit de leur bêtise et surtout du geste de son invitée.

— Benvenuto Giuliana ! Installe-toi ! Vuoi…heu….comment on dit “brochette de chamallow” ? Aspetta, je vais essayer de t’en trouver une, pas trop brûlée.

Les odeurs fleuries de parfums bon marché des filles s’étaient mélangées à celles de la sueur salée des hommes. Des couleurs étincelantes, chaudes et vivantes, celles de la jeunesse, de l'insouciance, de la légèreté et de tous les possibles.

*

Samedi 16 juillet 1988. 22h30.

Le répondeur s’enclencha après l’ultime sonnerie du téléphone qui avait résonné dans l’appartement.

“ Allo Paul. C’est maman. Décroche je t’en supplie. Ta sœur a disparu. Nous sommes très inquiets. Elle n’est pas chez son amie Claire comme prévu et…mais attend…(bruit et grésillement du combiné)...Passe moi ce téléphone ! …Allo Paul, c’est ton père. Ne t’inquiète pas, ta sœur a décidé de faire son intéressante, une fois de plus, c’est tout. On te rappelle dès que nous avons des nouvelles. Biiip. ”