Chapitre 18 : Le refuge

7 minutes de lecture

Lundi 18 juillet 1988. Matinée. Café Le Petit Marcel.

— Qu’est-ce qu’il fout là, celui-ci ? maugréa Lucas, à l’attention de Marie.

— Tu veux parler de qui ?

— Fais pas l'innocente ! Comme si tu ne l’avais pas vu arriver !

— Moins fort, enfin !

— Et merde ! cria Lucas, qui venait de faire tomber une soucoupe à café sur le sol.

Il alla chercher un balai pour ramasser les morceaux éparpillés. Il revint derrière le comptoir, agacé.

— Ah au fait, je t’ai pas dit, hésita Marie

— Quoi ?

— Il est passé il y a trois jours. Il a l’air d’avoir changé, tu sais. Il a même pris de tes nouvelles.

— Quoi ? Marc a osé remettre les pieds ici et tu ne m’as rien dit ? Putain, j’y crois pas. Hors de question de le servir ! annonça Lucas.

— Vu comment tu réagis, tu comprendras pourquoi je voulais attendre le bon moment pour te le dire. Calme-toi Lulu. Regarde-moi. C’est toujours Tristan, c’est ça ? Je suis désolée de n’avoir rien vu. Et dire que l’on se voit tous les jours…

Lucas posa ses deux mains sur le comptoir, les yeux mouillés.

— Ne sois pas désolé Marie. C’est moi qui ai décidé de ne rien dire. Tomber amoureux d’un jeunot en plus, quelle idée j’ai eu. Je m’étais pourtant jurer de ne plus…

— Enfin Lulu ! Comme si on choisissait de qui on tombait amoureux !

— Oui, je sais bien. Mais là, je n’y arrive plus. Pourtant je suis allé courir ce matin pour évacuer, crois-moi.

— Mon p’tit Lulu, va donc fumer une clope. Enfin, une clope après la course, peut-être pas, mais faire une pause, certainement ! Je m’occupe de Marc, dit Marie en lui donnant un petit coup de coude.

— On t’a déjà dit que t’étais fantastique ?

— Heu oui, pas plus tard qu' hier soir…Patrice a été fantastique lui aussi…si tu vois ce que je veux dire !

Lucas finit par sourire. D’habitude c’est lui qui blaguait de la sorte.

Il passa dans l’arrière cuisine, sortit dans l’impasse pour se coller le dos au mur. Marc était de retour…Il ne manquait plus que ça ! Il se revoyait cet hiver, dans le sous-sol du photographe, lui mettre son poing dans la figure. Marc, gémissant, allongé au sol. Il se souvenait très bien des dernières paroles qu'il lui avait dites. Ne t’avise même pas de revenir au Petit Marcel tant que tu n’auras pas retrouvé la raison. C’est compris ! Ce matin, il avait pris le temps de le détailler des pieds à la tête. Marc avait perdu du poids. Son air hautain avait disparu à première vue. Et après ce que lui avait dit Marie…il se sentait bien obligé de revoir son jugement hâtif. Il resta quelques minutes, les yeux dans le vide, pensif. Cela n’avait pas dû être évident pour Marc de revenir au Petit Marcel, comme ça, seul. C’était peut-être pour le photographe l’occasion de revenir dans son refuge, se plaisait-il à imaginer. Après tout, le Petit Marcel n’en était-il pas un, pour grand nombre de clients ? Un endroit où il était possible de prendre le temps de s’accepter tel que l’on était, sans mensonges envers soi et les autres. Un lieu où le mot tolérance s’écrivait en lettres majuscules. Des biens belles pensées ou paroles faciles à dire mais beaucoup moins évidentes à vivre avec authenticité. Le Petit Marcel. C’était plus qu’un simple café pour beaucoup. Et pour lui, en premier. Ça, il l’avait compris dès son arrivée en tant que serveur. Ces clients qui venaient, avec toute cette joie qui débordait, cet amour à revendre. Mais aussi avec leur désespoir, leur doutes, leurs cris de détresse qu’ils étalaient sur le comptoir. Il n’avait jamais imaginé qu’un simple café, une écoute attentive, un regard pouvaient réconforter autant, bien plus que sa bonne humeur ou son humour facile. Alors, non. Il n’avait pas le droit de réagir comme il venait de le faire à l’instant devant Marie. Et puis, c’était déjà assez le chaos dans sa tête pour ne pas s’en rajouter davantage. À y réfléchir, était-il bien nécessaire de lui donner une si grande place, à ceprétendu chaos ! Allez, assez philosophé pour ce matin !

Au moment où Lucas revint dans le café, il vit Marc sur la place. Il le rattrapa.

— Marc, attends ! T’allais pas partir sans me dire bonjour quand même !

Le photographe s’arrêta, puis lentement se retourna vers lui.

— Ton café m’avait manqué…Un deuxième ne serait pas de refus ! réussit-il à dire sans un seul tremblement dans la voix.

— Laisse-moi te l’offrir alors ! répondit le serveur, avec son plus grand sourire, celui qu’il réservait à ses fidèles clients.

*

Mercredi 20 juillet 1988. Fin d’après-midi.

Ariane collée à la vitre du train, regardait son frère et son petit ami lui faire de grands signes d’au revoir. Elle était dans un état de joie sans précédent. Elle avait passé de si beaux moments avec eux. Certes trop courts, mais si intenses à son goût. Au début, elle avait été gênée de voir son frère tenir la main de Tom, mais rapidement elle avait trouvé leur geste naturel. De même d'assister à leurs baisers spontanés. Elle s'était sentie honorée lorsqu’ils lui avaient raconté leur rencontre l’hiver précédent au Petit Marcel. Elle avait compris que ce café était important pour eux. Un lieu refuge où leurs marques d’affection ne seraient pas jugées, où s’embrasser à la vue de tous ne posait aucun problème. Elle en avait déjà eu un aperçu à la soirée brésilienne où elle avait surpris plusieurs couples d’hommes ou de femmes le faire. À commencer par Rickie et Philippe. Le samedi précédent, ces deux-là l'avaient aussitôt adoptée, elle leur en avait été reconnaissante. Durant trois jours, son frère s’était fait une joie de lui montrer ses endroits préférés de la ville, à commencer par le parc. Ils étaient aussi passés au Microsillon pour voir Tristan qui s’était fait un plaisir de lui commenter les dernières sorties musicales. Et bien sûr aux Grandes galeries, faire un bonjour à Philippe qui s’était empressé de lui mettre dans son sac de nombreux échantillons de parfum et de cosmétiques. Tes copines vont t’a-do-rer ! lui avait-il dit fièrement, entouré de ses vendeuses aux petits soins avec elle.

Regardant le paysage qui défilait devant ses yeux, elle repensait à sa folle escapade, à cette sensation d’interdit qu'elle avait vécue. Elle se sentait différente, plus adulte, comme si elle avait grandi d’un seul coup. Elle ne regrettait pas ces quelques jours loin de ses parents, même si elle savait que dans quelques heures, elle devrait s’expliquer avec eux. Après ce qu’ils avaient partagé avec son frère, elle s’estimait plus forte, prête à leur faire face. Il s’agirait de ne pas s’énerver comme elle avait l’habitude. Mais d’être responsable de ses actes. Elle repensa aussi à son amie Claire. Elle n’avait qu’une envie, celle de tout lui raconter. Et pourtant, elle serait obligée d’omettre certains détails. Hors de question de ne pas respecter la promesse qu’elle avait faite à Paul. Ne rien dire de sa vie amoureuse. Partager son secret donnait à leur relation fraternelle une entente neuve, une complicité renforcée. Elle savait que Paul serait, à compter d’aujourd’hui encore plus à l’écoute, plus disponible pour elle.

*

Mercredi 20 juillet 1988. Fin d’après-midi. Appartement de Tom.

Paul se laissa tomber sur le lit, soulagé.

— Elle m’a épuisé. La voilà enfin partie ! J’espère que ça se passera bien avec mes parents.

— Ose dire que ça ne t’a pas fait plaisir de passer du temps avec elle ?

Amusé, Paul lui tira la langue.

— Elle est chouette ta sœur. Je suis content de l’avoir rencontrée. Vous êtes si différents tous les deux ! Quand vous êtes sur la même longueur d’onde, vous me faites marrer.

— Bon, alors, t’es content, t’as rencontré une partie de ma famille, répondit Paul, jambes écartées, bras tendus, prêts à accueillir Tom.

Celui-ci assis au bord du lit s'approcha de lui, tel un félin.

— Ouais, je suis ravi monsieur. Et puis, pour ce qui est de tes parents, on a le temps, hein ? Tu as juste à leur annoncer qu’on prend une colocation ensemble à la rentrée de septembre.

Surpris, Paul le regarda droit dans les yeux, afin d’être certain d’avoir bien compris cette demande déguisée. Pas la peine de réfléchir très longtemps à sa réponse. Son cœur palpitait d joie indescriptible.

— Carrément, une simple formalité. Faut juste faire attention de ne pas virer vieux couple trop vite.

Tom n’en revenait pas. Il en pleurait presque.

— Vous savez qu’avec le soleil, vos taches de rousseur me font encore plus craquer. Je vous propose de fêter ça comme il se doit. dit-il en le dévorant des yeux.

Paul l’accueillit dans ses bras, passa ses mains dans ses cheveux, le long de son dos, puis les glissa sur ses fesses qu’il empoigna.

— Ce petit cul rebondi me fait envie. Très très envie.

— Ah oui, tu as un sens de la fête un peu particulier, non ? Je te croyais fatigué ? Mais à ce que je sens durcir sous moi, je retire ce que je viens de dire.

Tom descendit pour venir coller son visage contre la bosse que formait l'entrejambe de Paul. Celui-ci s’empressa de déboutonner son pantalon.

— Vous êtes bien pressé mon ami, dit-il tout en frottant ses lèvres contre son caleçon. Il sentit le sexe de son ami déjà dur à travers la toile.

— La fête a commencé, non ? Tu me plais trop, c’est pour ça, dit Paul, impatient d’être libéré de ses vêtements.

— Dans ce cas, je ne peux qu’assouvir vos désirs cher futur colocataire, répondit Tom, en lui retirant pantalon et caleçon. Il réajusta sa position, confortablement allongé sur le ventre, calé entre les cuisses de Paul. Il le regarda amoureusement avant de se jeter sur lui avec une excitation et un amour sans limites.

Annotations

Vous aimez lire Tom Ripley ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0