Chapitre14 : Insensatez

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Samedi 16 juillet 1988. 23h. Café Le Petit Marcel.

Les derniers accords d’une samba endiablée furent longuement applaudis par les clients présents ce soir-là, sur la terrasse du Petit Marcel. Les trois musiciens de l’orchestre remercièrent leur public et quittèrent la petite scène. Un cocktail les attendait au bar. Une petite brise, véritable bénédiction inespérée, récompensa les vacanciers qui étaient venus danser. Dans cette atmosphère fiévreuse, Marie et Lucas papillonnaient d’une table à l’autre avec entrain, ne sachant plus trop où donner de la tête. Ils étaient portés par la musique rythmée et la gentillesse des clients, enchantés de passer un si bon moment. Ariane déambulait elle aussi, avec son panier en osier, pour proposer à la gent féminine des fleurs en origami, confectionnées par ses soins dans l’après-midi. Ces petites attentions destinées à être placées dans les cheveux ou sur les tables rencontrèrent succès et étonnement. Rickie et Philippe admiraient leur installation suspendue de lampions multicolores. Le résultat était éclatant de poésie. La bonne humeur contagieuse, les conversations légères, les éclats de rire bruyants se mélangeaient avec harmonie et simplicité. Cette soirée d’été était incontestablement une réussite.

L’ambiance qui suivit la pause musicale prit des contours plus intimes pour certains. Les premières notes d’Insensatez rapprochaient déjà quelques couples. Les hommes donnaient le rythme à suivre. Mais le balancement des hanches de leurs partenaires féminines les hypnotisait et donnait à cette séduction sensuelle, une saveur délicieusement pimentée. La musique épurée de cette bossa nova apaisa doucement les esprits agités. La mélodie murmurée tout en douceur et en retenue du chanteur vibra à n’en pas douter, dans chacun des cœurs.

— Dis-moi mon chou, tu vois cet homme qui danse avec Barbara…et bien je trouve qu’ils sont bien trop collés l’un à l’autre, constata joyeusement Philippe, en pointant du regard un beau brésilien moustachu.

Assis à ses côtés une bière à la main, Rickie commenta.

— Tant mieux ! Je ne l’ai jamais vu aussi belle, avec ses cheveux relevés en chignon et cette robe émeraude. Et dire qu’hier, en voiture, elle ne m’a rien dit du tout ! Sacrée cachottière, répondit-il à l’oreille de son petit ami.

— Quel regard de braise il a ce Ricardo. C’est bien son prénom, n’est-ce pas ?

Rickie approuva.

— Quand la Russie rencontre le Brésil ! J’adore, poursuivit Philippe, muni de son éventail qui ne le quittait plus.

Ils les regardèrent danser, profitant eux aussi de cette merveilleuse soirée. Rickie prit doucement la main de Philippe entre ses doigts. La tendre pression exercée surprit agréablement son compagnon.

— Qu’est-ce qu’il y a Rickie ? lui demanda-t-il à l’oreille.

— Non rien, tout va bien.

— Tu es sûr ? Tu as l’air bizarre…, insista Philippe.

— Non, au contraire, tout va bien, tout va super bien, même…je crois que…dit Rickie, sans terminer sa phrase.

Philippe le dévisagea. Rickie lui offrit un grand sourire. Ses yeux brillants étaient magnifiques.

— On est si bien là, tous les deux…et…et je crois que je suis tombé littéralement amoureux de toi. Je voulais simplement te le dire.

Philippe, ému, lui sourit, caressa sa joue. Ils se regardèrent, comme si le monde autour d’eux était devenu une bulle insonorisée, dans laquelle ils auraient pu se dire tant de choses. Mais ce soir les mots n’étaient pas nécessaires. Ils s’embrassèrent longuement et passionnément.

*

Ariane était assise au bar à siroter son diabolo. Elle jubilait. Elle passait une soirée incroyable ! Les clients l’avaient complimentée pour ses fleurs en origami. Cela lui avait fait très plaisir. Elle avait ensuite dansé avec Philippe, qui s'était vite énervé devant son manque de coordination et ses gloussements intempestifs. Rickie les avait regardés, à ne plus pouvoir s'arrêter de rire. Il avait obligé son ami à conserver le langage d'un véritable gentleman, devant une demoiselle de son âge. Ariane regrettait que Paul ne soit pas avec elle ce soir pour partager ce beau moment ! Elle ne manquerait pas de tout lui raconter dès qu’elle le verrait. En pensant à lui, elle eut une grosse appréhension. Comment allait réagir son frère de la voir débarquer de la sorte ? Mais elle préféra rapidement chasser ses inquiétudes et se tourner vers Lucas, occupé à secouer deux shakers, un dans chaque main.

— Ça va Lucas ? T’es sûr que t’as pas besoin d’aide ? demanda-t-elle pour la dixième fois de la soirée.

— Combien de fois faut-il te le répéter ? Amuse-toi pendant que tu n'as pas tes parents sur le dos ! Tu es là pour ça, non ?

Ariane lui colla un baiser sucré sur la joue qu’il accueillit chaleureusement en se penchant au-dessus du comptoir.

Décidément, rien de tel qu’une soirée comme celle-ci pour remonter son moral. Il était fatigué, transpirait dans sa chemise à fleurs portée pour l’occasion, sa tête allait exploser. Mais ce soir, il se sentait étrangement heureux, pleinement vivant. Pourtant, le morceau suivant le coupa dans son élan. Son cœur se serra de nouveau. Il s’offrit alors une pause bien méritée, le menton posé sur ses mains croisées sur le comptoir. O Grande Amor lui fit monter quelques larmes qu’il réussit à réprimer cette fois-ci.

Haja o que houver,

Há sempre um homem,

Para uma mulher

E há de sempre haver para esquecer,

Um falso amor

E uma vontade de morrer.

Seja como for

Há de vencer o grande amor,

Que há de ser no coração,

Como perdão pra quem chorou.

Un sentiment de vide à la fois délicieux et nostalgique le traversait une fois encore. Cette sensation indéchiffrable qui vivait en lui depuis quelques jours se mélangea curieusement à un apaisement inattendu. La perte, les regrets s’effaçaient par petites touches impalpables. Il ferma les yeux. Le visage de Tristan apparut devant lui.

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