Avec les pieds

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Ça, voilà, c’est fait, mon mauvais esprit a frappé, on va pouvoir attaquer les choses sérieuses. Non mais.

Donc comment, moi, pauvre petit moi, j’écris ? Cette question ! Je me souviens d’un numéro de Lire (de mémoire) qui interrogeait sur les écrivains-plume, et nouveauté, les écrivains-clavier. J’ai noirci des carnets, que je n’ai jamais relus et qui ont, comme mes dessins d’ailleurs, fini par être perdus. Je n’ai pu sauver que mes livres. Et encore, pas tous. Mon appart était sur mes épaules pendant très, très longtemps, dans un sac à dos crade à force d’être trimballé de piaute en piaute, de ville en ville. Mais, fait extraordinaire, j’ai pu sauver ces livres. Donc là-dedans mes cartons à dessins, mes croquis, mes écrits, comment dire ? Hein ? Voilà. Perdus. Tous.

Et ces livres sauvés, par manque de tunes, je les ai lus, relus et rerelus, certains tous les ans. Comment vous dire la joie ressentie lorsque dans Fahrenheit 451, il y est décrit ces hommes-livres ? J’ai tout mon petit univers dans ma tête, qui yoyotte gentiment, qui retient ce qu’elle veut, qui mélange et malaxe tout ce vaste foutoir façon, façon. Études arrêtées tôt, une bille en orthographe, en grammaire, en syntaxe, en concordance des temps que c’en est à pleurer. Mais, ce que permet un clavier, un peu, c’est déjà la correction automatique. Ce que permet un clavier, c’est la connexion internet. Alors je n’écris plus au plume, ce serait trop le bazar, plus qu’exclusivement au clavier. Besoin de ces foutues béquilles si je suis sincère. Je trouve déjà mon « style » peu fluide, très poussif, alors imaginez avec une écriture de mouche, kafi de fautes, ce serait juste imbuvable. Juste bon pour la poubelle.

Et puis comment dire ? Un forum, un tchat, auquel j’ai participé il y a près de vingt ans, avec ma culture de travers et ma syntaxe à la con. Mais j’apprenais. Poussivement. Mais j’apprenais. À être curieux déjà. Comme un chat. Lire des analyses, des critiques de films, beaucoup. De musique aussi, énormément. Aller de références en références. En bibliothèque ou sur le net, je suis capable d’aller gratter un sujet et me passionner pour celui-ci. J’ai coutume de dire que dans ma culture il y a plus de trous que de matière. Alors je fouine, je m’approprie. Mais tout de traviole et de guingois.

J’ai parfaitement conscience de ma futilité, je n’ai strictement aucune envie de gloire, de renommée, de laisser une quelconque trace après ma mort, je m’en fous et contrefous, Céline m'a bien soigné à ce sujet (lire Voyage au bout de la nuit). Je sais trop bien ce que veut dire que de se casser la gueule, que personne ne m’attend, que je n’ai personne à impressionner. Mais je peux au moins faire une chose : essayer, même si ça ne casse pas trois pattes à un canard, essayer donc d’avoir un minimum de cohérence. Au moins se tenir à ça ! J’ai une admiration sans borne pour Philip K Dick capable d’écrire à l’os (Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?) ou un roman plein et entier (Ubik). Ou pour La Solitude du coureur de fond d'Alan Sillitoe. Mais si je commence à invoquer les auteurs que j’adore, on n’en a pas fini. Et surtout ça ne répond absolument pas à la question du départ, comment j’écris ?

En urgence. Déjà. Il y a, je crois, deux types de textes. Les comme celui-ci, que je griffonne sur un coin de clavier à la va-vite, qui sera à peine relu, et balancé sans plus de façon. Dans lequel j’écris au rythme de ma pensée. Et en musique bien souvent. Format forum pour faire simple.

Et depuis quelques années, depuis que des potes m’ont agrafé pour des projets un peu foutraques d’écriture, bien obligé de s’arrêter un peu. De réflexionner. De construire. Un des derniers textes écrits (pas encore publié ici), j’y ai réfléchi pendant deux, trois mois. Des meubles à virer, des potes qui m’attendent et moi, comme un con en train de noter en vitesse le plan narratif avant de le perdre avec ma mémoire de poisson rouge ! Je déménage mon bazar, et le lendemain, dix heures non-stop à écrire, d’une traite. Je ne sais absolument pas si ce que j’ai commis vaut quelque chose, si ça se trouve, rien de rien en plus, mais je n’ai pas lâché le bout de gras. Et ensuite plus de six mois de correction (je déteste mes répétitions, je déteste mes fautes, mes lourdeurs, vous n’avez même pas idée). Et je ne sais toujours pas si ça vaut au moins le coup d’être lu ! Donc bon… Mais en général, ça se cartonne en un seul jet. En urgence donc.

Et c’est la même chose dans une autre discipline, la photo, très proche d’ailleurs dans l’élaboration d'avec l'écriture. Le gros, gros, gros travail, c’est d’arriver à canaliser le bordel que j’ai balancé sur la table. À en attraper des migraines. Et à la fin, je juge cela tellement poussif que je n’arrive même pas à défendre ce que j’ai pu produire. Et je n’ai qu’une envie, c’est de repartir en chasse, de rebricoler des idées dans ma cervelle, de scotcher ça comme je le peux et d’en faire un machin d’un peu lisible. Donc bon, pas sûr que ça édifie qui que ce soit ma façon de travailler à dire vrai…

Un dernier point, et c’est quelque chose que je suis actuellement en train de vivre dans ses fibres les plus profondes, intimement, cette force de création, de vie. Ce truc à la noix qui te tient debout, vivant alors que tu n’en peux plus. Je suis actuellement assistant d’un photographe qui réalise sa dernière œuvre, s’il arrive à survivre suffisamment longtemps. Être là, l’aider, le soutenir, mais voir dans le même temps que son idée qui est là, fichée dans son cortex et qu’il veut à tout prix réaliser, le tient debout, avec rage, mais debout ! Fragile comme une fleur séchée le bonhomme, mais là, présent derrière son objectif, l’œil précis et directif. C’est de cette bagarre dont j’ai besoin pour moi aussi tenir, de cette force de vie. Et rien à foutre du reste. Au cul la gloriole ! Rien à carrer ! Vivre, on veut vivre et ça demande déjà pas mal d’exigence que tout ça.

Dans l’urgence donc.

(peut-être besoin de sommeil, moi...)

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