L'Aube et le Crépuscule

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Le soleil n’était pas encore couché lorsqu’on sonna l’alarme. Certes le ciel était rose, mais il commençait à peine à foncer. La relève du médecin de garde venait d’alerter en hurlant la moitié du palais. Une patiente de marque et potentiellement dangereuse avait disparu, le soignant en charge de veiller sur elle ayant été assommé. Ils ne pouvaient pas tolérer cela. Et puis ça n’avait aucun sens, ils l’avaient attachée spécifiquement pour cette raison et elle n’était pas parvenue à s’en défaire avant. À moins que la mixture qu’elle avait ingurgitée contre leur avis ne lui ait octroyé des capacités surhumaines, sa disparition devait avoir été permise par un ou une complice.

Et puis, quelqu’un d’autre semblait avoir disparu. Il était encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais lorsque la souveraine l’apprit, elle ne prit pas la peine de cacher son agacement. Évidemment, il fallait que Beatrix soit impliquée. Cette femme n’avait jamais su se détacher de la petite. Elle-même ne pouvait pas nier le fait qu’Els avait tout pour être aimée, elle ne pouvait pas blâmer la chercheuse d’avoir succombé là où elle-même n’avait su résister. Toujours était-il qu’elle ne l’avait pas libérée, elle. Non pas que cela ne l’ait pas effleurée, mais elle avait su résister. Elle avait commis une erreur, oui. Une erreur. Pas plus.

C’était du moins ce qu’elle croyait. Si Els l’avait su, elle aurait sans doute eu quelques remords mal dissimulés. En réalité, elle avait profité de la présence de sa mère adoptive pour avaler le remède et joué sur les sentiments de Beatrix pour obtenir sa libération. Là où la logique et le désespoir avaient échoué, remplacés par l’inquiétude, une fois celle-ci évacuée par un peu de magie, tout s’arrangeait.

Enfin, tout s’arrangeait, elle se retrouvait tout de même à fuir au grand galop sur un cheval volé à l’heure où les ombres s’allongeaient et devenaient menaçantes. La situation n’avait rien d’optimale, mais elle n’avait plus le temps. Elle s’était déjà trop reposée mais elle ne pouvait pas vraiment se le reprocher, ni à qui que ce soit d’autre. Son épuisement l’avait terrassée, à juste titre, et un miracle faisait qu’elle était à nouveau libre, mais surtout en possession de plusieurs flacons, confiés par sa complice, à laquelle elle serait éternellement reconnaissante. Enfin, si elle arrivait à destination à temps.

Non, ça n’était pas une question. Elle arriverait à destination, même si ça voulait dire mourir d’épuisement sur le pas de la porte. Tant que Linden pouvait être sauvé, elle se fichait de ce qu’il advenait d’elle. Et elle avait pris du retard. Elle devait arriver au plus tôt au prochain village, chevaucher toute la nuit et le jour suivant, rogner encore sur ses heures de sommeil. S’ils ne l’avaient pas capturée, elle n’aurait pas cette horloge dans la tête qui calculait l’allongement des ombres, la position de la lune, la longueur des chemins, l’endurance de sa monture. À chaque sabot qui touchait le sol correspondait un tic, un tac, le gong assourdissant des heures.

Lorsque son horloge animale commença à perdre en régularité, elle s’arrêta et en changea. Elle se laissa quelques minutes pour boire et avaler un quignon de pain et un bol de soupe froide, sous le regard médusé et nuageux de la tenante de l’auberge, réveillée alors que la nuit était encore jeune. Elle la regarda repartir sans s’accorder une minute, cligna des yeux. Un fantôme ? Sans doute, mais l’auberge n’avait jamais été hantée. Une voyageuse, à cette heure, c’était non seulement fortement improbable, mais surtout incroyablement dangereux. Il n’y avait qu’une seule possibilité. Il lui faudrait annoncer à son mari que le fantôme d’une jeune fille hantait les lieux, qu’il fasse venir un prêtre. En attendant, elle n’allait sûrement pas être réveillée par un nouveau fantôme.

L’aubergiste avait raison, voyager de nuit relevait de la folie. Els ne l’ignorait pas non plus, mais tout lui rappelait que le temps passait sans lui laisser de répit. Alors elle préféra faire comme s’il faisait plein jour et lança sa monture au galop dès que le chemin lui parut convenable. Elle franchit une distance loin d’être négligeable en une nuit et enchaîna sur une journée qu’elle ne fit pas plus reposante. Son corps tout entier s’adaptait aux galops de ses montures, à leurs foulées, aux battements de l’aiguille des secondes, du pendule inéluctable qui n’en finissait plus de remplir ses oreilles, du sang qui rythmait sa vie en frappant contre son crâne, contre ses pensées, contre tout son être. Ce son, ce sentiment, cette obsession du temps la prirent à la gorge, l’aveuglèrent, la rendirent insensible. Seul le chemin devant elle lui importait, seule sa destination méritait de s’y intéresser. La nourriture n’avait plus ni goût ni intérêt, le repos lui paraissait superflu, l’eau n’était essentielle que parce qu’elle permettait d’éteindre en partie le feu qui ravageait sa gorge. Elle continuait à chevaucher sans prendre soin d’elle, tant et si bien qu’elle ne vit pas la lueur du jour décliner.

L’obscurité la prit par surprise, toutes ses négligences lui revinrent à l’esprit et sa monture, épuisée, trébucha. Le corps d’Els la trahit et avant qu’elle n’ait pu réagir, elle gisait dans la boue d’une route forestière, incapable de se relever. Sa vision s’obscurcissait dangereusement, sa respiration s’affaiblissait, son corps semblait lourd, douloureusement lourd. Le simple fait de rester éveillée lui demandait une force qu’elle n’avait pas. Ses paupières l’abandonnèrent avant que sa conscience, perdue dans l’urgence et la panique, ne soit forcée de s’évaporer. Elle s’effondra sur le bord du chemin alors que la Lune apparaissait tout juste à l’horizon.

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