Chapitre 5: D comme discrétion

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« Je n’ai jamais éprouvé le besoin de coucher ce que je ressentais sur papier. Enfin, jusqu’à ce que je réalise de quelle puissance étaient faits les mots. » - première page du Grand Livre d’Ehraxis

Pour Maru Amané, il était inconcevable qu’un autre prénom soit supérieur au sien. Ce nom, il lui avait permis de tout accomplir. De réaliser son rêve. D’être celui qu’il avait toujours souhaité devenir. Maru. Il n’était pas certain de savoir si ces syllabes avaient un sens, mais il se savait fait pour les porter, pour être à la hauteur de ce qu’elles représentaient. Car chaque fois que ce jeune homme aux longs cheveux mauves les surprenait du regard sur son billet de train céleste, il ne pouvait s'empêcher de sourire doucement. Dans quelques jours, il allait quitter les quartiers Nord de la cité pour se rendre au centre-ville, à la Confrérie des samouraïs des cieux. Bientôt, tout allait changer. Il allait devenir quelqu’un d’autre grâce à ce nom si beau, si propre, si… lui. Maru Amané. Oui, c’était bien lui.

Jour 4 du Calendrier céleste, mois d’Arcturus 23h46

Cher journal,

Je dois avouer que je ne comprends pas pourquoi je prends encore la peine d’écrire ici. Sans doute que j’éprouve le besoin de garder contact avec ma vie d’avant, même si je sais pertinemment qu’il me sera impossible d’effectuer un retour en arrière. Surtout après l’étape que je viens de franchir aujourd’hui.

Je vais devoir être prudent avec ce journal, j’en ai conscience. Personne à la Confrérie ne doit se douter que je consigne toutes sortes d’informations entre ces pages. Mes plans se verraient contrecarrés et ma chance, ruinée. Il serait une erreur de croire à la sécurité une seule seconde. Je me dois d’être effacé. Discret. Prudent. Et je dois surtout arrêter de penser à tout cela, j’en perds la tête. C’est peut-être pour cette raison, que j’ai besoin de ce carnet… pour m’aider à discerner le vrai du faux. Pour ne surtout pas croire à mes propres mensonges, ceux que je fais miroiter jour et nuit devant autrui. Pour ne pas oublier que cette nouvelle personnalité est tout sauf acquise, même si l’endosser au quotidien deviendra obligatoire. Pff… Dans tous les cas, je prends un risque considérable en laissant ma plume gratter le papier ainsi. Mais je le fais pour atténuer ce sentiment de fausseté qui m’étrangle de tout mon être. Et cela, je pense, est une raison valable pour repousser cette culpabilité qui me prendra le ventre chaque fois que je soulèverai cette latte de plancher du dortoir, éclairé par la seule lumière d’une bougie. Pour écrire ici, vers minuit.

Or, je précise que, lorsque je consignerai des évènements ou même quand je ne rapporterai que des états d’âme anodins, je devrai utiliser le « Maru » que les samouraïs connaissent. Il est trop risqué de me permettre quelques libertés. En fait, je devrais raturer ce paragraphe immédiatement, de manière que personne ne le lise. Même si la cachette de ce carnet demeure insoupçonnable, vaut mieux être prudent.

Bref… Aujourd’hui, j’ai enfin pu goûter à la vie de soldat qui sera bientôt mienne, celle dont je rêvais depuis plusieurs années, déjà. Depuis la mort de ceux qui m’étaient chers, pour être exact. Car si mes parents étaient encore de ce monde, s’ils n’avaient pas été tués bêtement dans un vulgaire incident, peut-être n’aurais-je jamais tenté le projet. Peu importe. Le passé n’a pas lieu d’être dans ce carnet, il me faut river les yeux vers l’avenir. Ce matin, donc, les apprentis samouraïs en devenir ont reçu un uniforme noir Néant ainsi qu’une armure d’une souplesse céleste. Pour être honnête, j’étais ému. Après toutes ces années de calvaire, de pauvreté, de mendicité… Que de gloire, que d’honneur ! Il serait mentir de dire que mon cœur ne battait pas violemment dans ma poitrine, que je n’avais pas hâte de commencer les entraînements, que j’éprouvais l’envie furieuse de prouver à tous mon talent. Heureusement, je me suis vite repris. Céder à cet état de fébrilité, c’était perdre cette aura de discrétion. Et hors de question de tout gâcher dès les premières minutes de ce rêve devenu réalité.

Le capitaine responsable de notre formation, Philémon Eskil, nous a permis de ranger nos biens au dortoir, nous informant qu’il nous attendait à la salle d’entraînement dans cinq minutes. Émerveillé, j’ai détaillé la pièce de mes yeux ronds. Spacieuse, ses fenêtres offraient une vue sur des terrains nuageux à perte de vue. À l’extérieur, certains samouraïs de quelques années de plus s’entraînaient au katana. Les lits, superposés, étaient disposés en rangées et leur matelas confortable m’a surpris. J’ai eu la chance de me trouver sur celui du bas. Près des lattes de plancher, qui, je l’ai su dès que mes yeux se sont posés sur leur disposition, allaient former la cachette parfaite pour un ou deux objets précieux. Oh, et le samouraï ayant obtenu le lit au-dessus du mien a essayé d’engager la conversation : « Moi, c’est Baham. J’ai hâte d’apprendre à tirer des flèches : il paraît qu’on commence dès ce matin ! » Je ne lui ai pas répondu. De toute manière, cela fait si longtemps que je n’ai pas parlé… Mes cordes vocales doivent être usées, à force de se complaire dans le silence. Sûrement que la seule chose qui serait sortie de ma bouche, si j’avais essayé de formuler une réponse, n’aurait été qu’un grognement guttural peu amical.

À la place de me faire des amis dont je maudirai probablement la perte, je me suis dirigé vers la salle d’entraînement du capitaine, guidé par les panneaux indicatifs. Là-bas, d’autres apprentis arrivés quelques jours plus tôt s’entraînaient déjà, une espèce d’arc géant entre les mains. Mon groupe, composé des Reflets habitant la région la plus au nord de la cité, faisait partie des derniers à arriver à la Confrérie. Quand mes camarades m’ont enfin rejoint, le capitaine Eskil a pris la parole. Sa moustache et ses sourcils broussailleux bougeaient au rythme de ses paroles, tout comme ses échasses. Son cache-œil, vestige selon les rumeurs d’un ancien combat, concluait son allure intimidante et autoritaire. Son air droit, sage et fidèle a réveillé ma prudence : j’ai su à la seconde où je l’ai vu que j’allais devoir faire attention, avec lui. Mais lorsqu’il s’est mis à nous décrire les armes utilisées par les samouraïs… ses yeux brillaient d’une étrange lueur. Cet homme, au fond, n’était qu’un réel passionné. Et cela m’a fait comprendre que mon choix, en venant ici, était le bon.

« Ici, à la Confrérie céleste d’Ehraxis, quartier général des samouraïs des cieux, je veux de la discipline. Défendre la cité est peut-être honorant, mais il vous faudra d’abord mériter cette fierté. Avant d’évoquer le code de conduite, j’aimerais évaluer vos capacités de base. Ce yumi, que j’ai présentement en main, est un arc assez spécial. Long, asymétrique, il a été conçu spécialement pour le tir dans les airs. Sa forme permet de ne pas être gêné par votre monture. Seule difficulté : le vent, qui peut devenir soit votre force ou votre démon. Mais nous en reparlerons. Tirez pour le moment quelques flèches dans le but de vous approprier l’arme. Je circulerai dans les rangées. »

Certains d’entre nous n’avaient encore jamais manipulé un yumi. Pour ma part, j’avais déjà aperçu ces arcs, bien qu’illégaux dans les rues du Nord. Je m’en étais peut-être même servi une ou deux fois, pour être honnête. Je n'ai rencontré aucune difficulté, donc, à tirer mes premières flèches. Je me suis pourtant appliqué à rater quelques objectifs, ne voulant pas trop attirer l’attention. Le capitaine m'a gratifié d’une note dans la moyenne. Je n’aurais pu être plus heureux.

Et ce n’est qu’à la fin de cette journée haute en couleur que j'ai pris le temps de savourer le moment. Enfin, j’étais devenu samouraï. Bientôt, j’allais pouvoir laisser libre cours à mes talents, me battre pour mon peuple, réaliser mon rêve de petit enfant. J’étais peut-être devenu une nouvelle personne, mais celle-ci était plus forte, plus courageuse, imperturbable. Sans doute était-ce cela, l’évolution, finalement : renier celui que nous étions auparavant pour devenir quelqu’un de meilleur. Je ne saurais dire si j’ai raison. Seul le temps nous le dira.

Bref, il commence à se faire tard et je dois me reposer. Il paraît que notre première leçon de vol avec les dragons aura lieu demain matin et qu’Acrux Alwalz, le prince céleste en personne, nous montrera comment nous y prendre. Plus petit, je l’admirais. Je ne compte plus les fois où il m’était arrivé de le voir survoler la cité sur sa monture, sa cape flottant dans les airs… Les gens devraient avoir plus de considération pour lui : il a tout de même sauvé Ehraxis plusieurs fois de l’emprise des Néants. En tout cas, j’ai hâte de le voir à l’œuvre.

Puisse le temps m’accorder encore quelques journées comme celles-ci,

Maru Amané, samouraï des cieux nº 1638

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Heyo chers lecteurs ! Ce que vous venez de lire représente la première partie (intitulée « Garder les pieds sur Terre ») du tome 1 de ma trilogie « Reflets ». Cette dernière se consacrait sur la présentation de mes cinq personnages principaux, de leur personnalité et de leurs ambitions. Acélie Millenia, Acrux Alwalz, Adhaféra Zaffir, Émeri Ystas et Maru Amané :) Lequel vous a le plus intrigué pour le moment ? Avez-vous des théories quant à la suite ? Mon univers vous a-t-il perdu ou ai-je bien positionné les bases ? Pour être honnête, je ne pense pas poster les prochaines parties de l'histoire sur Scribay, mais bon: je suis une véritable girouette, alors on verra comment les choses vont évoluer xD Sinon, merci beaucoup d'avoir lu jusqu'ici et d'avoir laissé des commentaires et des annotations. C'est toujours un plaisir d'échanger ! ^^

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