L'entremetteur

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Avec le soutien de  Denis Mursault 
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Assise sur le bord de l'étagère, la petite poupée, habillée d'une simple salopette bleue, semble fixer le mur face à lui. Le regard faussement vide, l'homme de porcelaine paraît dénoué d'âme. Les années qui se sont succédées l'ont à peine touché. Sa petite maîtresse a toujours pris soin de lui, même une fois l'âge de l'enfance passé. Jin a conscience de la chance qu'il a eu de tomber sur ce petit bout d'humain plein de tendresse. Grâce à elle, il a pu éviter les brocantes et autres moyens de se débarrasser des jouets devenus inutiles. Sa petite humaine l'avait toujours défendu avec ferveur. Ainsi, il avait pu la voir grandir et devenir femme. Du coin de l'œil, la poupée aux traits fins, surveille la jeune femme entrain d'enfiler sa chemise rouge et noire. De là où il est, il peut apercevoir sa poitrine enveloppée dans un soutien-gorge à dentelle. Elle le considère comme un simple objet, sans se douter de la vie qui l'habite. Elle n'imagine pas cette promesse qu'il s'est faite en la voyant pleurer durant plusieurs heures après avoir été abandonnée par l'homme qu'elle aimait. Jim s'est juré de lui trouver son âme sœur. Il veut la voir heureuse.

Dès que Stella a quitté la maison, Jin sort de sa léthargie pour rejoindre le monde extérieur. Une fois descendu de son siège, il s'étend jusqu'à atteindre une taille humaine. La transformation le fait souffrir. Chacun de ses muscles semble être pris au piège d'un puissant feu. Heureusement, sous ses airs de petite chose fragile, l'homme de porcelaine est robuste. Il supporte la douleur leur en pensant à sa mission. Sa maîtresse a besoin de lui pour retrouver le sourire. La première fois que Jin est sorti de la maison, le soleil a brûlé sa peau et ses yeux aux couleurs du ciel. Il s'est même évanoui à cause de l'intensité de la lumière naturelle. Désormais, il est habitué au monde extérieur. Enfin, plus ou moins. Cela ne fait qu'un mois qu'il s'anime chaque jour pour trouver l'homme qui fera sourire à nouveau Stella. Il a encore du mal à s'habituer à l'animation des rues et aux bruits incessants du dehors. Le regard des humains aussi est oppressant. Ils semblent l'analyser avec un intérêt presque malsain.

En remontant l'allée qui mène au centre-ville, Jin réfléchit à un plan d'action. Grâce au temps qu'il a passé auprès de sa maîtresse et aux confidences qu'elle lui a faite, il sait quel genre d’homme il doit chercher. Le problème est plutôt de le trouver. Tourmenté par cette question, il tourne à l'intersection pour rejoindre la rue principale. Un scooter sorti de nulle part mord le trottoir et s'effondre à quelques mètres de lui. Perplexe, Jin s'arrête. Qu'est-ce que cet engin roulant -fait-il par terre ? Pourquoi les roues tournent-elles dans le vide ? Qu'est-ce que cette odeur étrange ? Et surtout pourquoi n'y a-t-il pas de chauffeur ? L'homme de porcelaine s'avance près du véhicule en souffrance et le soulève pour le remettre sur pieds . Il le maintient plusieurs secondes, l'empêchant de prendre la fuite avant de trouver comment l'arrêter définitivement. C'est une fois l'engin immobilisé contre le mur, qu'il s'apperçoit de la présence d'un humain sur le sol. Ce dernier n'a rien sur la tête et un filet rouge dégouline de son crâne. Jin n'a pas le temps de s'occuper des idiots comme lui. Il ne s'est éveillé que pour le bien de son humaine.

Des cris se font entendre dans la rue, venant renchérir sur sa contrariété. Une dame d'une quarantaine d'années s'affole, imaginant un scénario catastrophe. Sa voix perçante est aussi désagréable que sa tenue.

- Il ne va pas mourir même s'il aurait pu qu'il n'a pas de casque. Heureusement pour lui, il ne roulait pas vite. Tout au plus il aura une contusion légère et un poignet cassé.

- Vous êtes médecin ?

- Oui. Enfin non. Plus maintenant.

La femme le regarde d'un drôle d'air. Plus jeune, sa maîtresse avait fait de lui tantôt un médecin, tantôt un mannequin. Il avait même professeur ou encore musicien. Jin avait endossé les compétences de chacun de ses rôles et les avaient conservé au fil du temps. Stella regardait régulièrement des émissions sur différents métiers ce qui lui permettait de connaître plus de choses dans différents domaines. Il fallait quelqu'un d'aussi intelligent que lui pour protéger sa petite dame.

- J'aurai pensé que vous étiez plutôt mannequin ou acteur.

- Il est vrai que ma beauté me le permet également. Vous devriez appeler une ambulance ou l'emmener à l'hôpital.

- Pourquoi ne le faites vous pas ?

- Comme vous le voyez, je suis à pieds. Il faut entretenir ce corps. Et puis, je n'ai pas de téléphone.

- Pas de téléphone ? À votre âge ?

- Ma maîtresse ne m'en a pas donné.

La femme d'âge mûr lui lance un regard surpris. Elle ne semble pas comprendre ce qu'il vient d'insinuer. Les humains n'ont à première vue, pas l'habitude d'employer ce terme. Il va falloir qu'il fasse plus attention. Sans se soucier plus que ça du jeune homme tombé de son scooter, Jin reprend la route. Les journées lui semblent tellement plus courtes depuis qu'il se transforme chaque jour.

Depuis un mois qu'il a décidé de venir en aide à Stella, il en a rencontré des hommes. Certains semblaient plutôt gentils mais totalement perdus dans le vaste monde. Ils étaient donc incapables de protéger sa maîtresse. Beaucoup étaient bizarres. Il y en a même un qui lui a confié qu'il avait plusieurs partenaires et qu'il aimait les petites demoiselles sages. Hors de question qu'il laisse son humaine entrer en contact avec ce genre de pervers. Un autre s'est mis à pleurer en évoquant son ancienne petite amie. Il voulait absolument retrouver quelqu'un comme elle. Plus d'une fois, Jin s'est demandé ce qu'il ne tournait pas rond chez ces hommes. Finalement, trouver l'âme sœur de sa protéger est beaucoup plus dur que ce qu'il pensait.

Vers midi, il n'a toujours pas trouvé de solution. Une autre chose lui pose problème tandis qu'il passe devant un restaurant : son ventre. Avant, il n'avait jamais ressenti le besoin de manger. Depuis qu'il s'est éveillé, il a toujours faim arrivé à cette heure de la journée. Il n'a pas le temps de se restaurer. Il doit trouver une solution pour que sa petite dame rencontre son âme sœur. Une odeur d'épices vient narguer ses narines. Jin regarde à travers la vitre tous ces humains réunis autour de petites tables. Ils discutent de façon animée, parfois en ajoutant des gestes aux paroles. Quelques-uns rigolent même tout en se servant de l'eau. Il trouve qu'ils ont tellement de chance de pouvoir partager leurs repas. Il aimerait bien pouvoir en faire autant. Mais à part son humaine, il n'a personne. Jin se retourne avec une pointe d'amertume, lorsque que quelque chose lui rendre violemment dedans. Une douleur aiguë qui disparaît presque aussitôt le fait pester.

- Je... Je suis tellement désolée. Je vous ai fait mal ?

Jin lève les yeux vers la petite voix hésitante. Elle ne s'excuse pas mais s'inquiéte plutôt de son état comme le ferait son humaine. II reconnaît aussitôt la chemise ainsi que la chevelure ébène de Stella. Accrochés en chignon, ses cheveux sont légèrement ondulés. Il n'avait pourtant pas chercher à la croiser aujourd'hui. Il n'est pas non plus à côté de son bureau. Alors pourquoi vient-elle de lui rentrer dedans ? Les yeux grands écarquillés, elle reprend :

- Vous n'êtes pas bien ? Vous êtes tout pâle ?

- Ah... c'est que...

- Vous n'avez pas mangé ?

- Hein ? Ah non.

- Vous devriez manger, vous allez faire un malaise. Ce serait dangereux pour un homme comme vous d'être inconscient en pleine rue.

- Pardon ?

- C'était pour détendre l'atmosphère...Mais c'est raté apparemment. Je suis vraiment désolée, j'avais la tête ailleurs. Je vous paie le repas pour me faire pardonner.

- Vous voulez manger avec moi ?

- On est pas obligé. Je peux juste payer pour vous mais je me disais que ce serait plus agréable de partager son repas.

Jin acquiesce, essayant de masquer son excitation. Enfin, il va pouvoir manger et en plus ce sera en compagnie de sa maîtresse. Que dirait-elle si elle savait qu'il était en réalité la poupée de son étagère ? Qu'est-ce qu'elle penserait en sachant qu'il avait pris vie ? Qu'il se balade dans les rues en quête d'un homme assez bien pour elle. Qu'il a failli se faire écraser par un scooter. Et qu'il se sent mal à l'aise chaque fois qu'elle se change devant lui. Qu'il détourne le regard par respect pour elle mais qu'il a toujours eu envie de la serrer dans ses bras.

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Table des matières

En réponse au défi

Ces petites vies

Lancé par SachaDu05

Que se passerait-il si, pendant que nous ne sommes pas là, nos objets favoris prenaient vie ? D'un simple porte bonheur au doudou que vous avez depuis votre plus jeune âge en passant par le chat en céramique de votre grand mère, imaginez leur journée en notre absence.

Quelles aventures vivraient-ils ? Où iraient-ils ? ça, c'est à vous de voir. Aucune longueur imposée, de la simple nouvelle au roman, faites vous plaisir !

Plumes sur le papier ? Mains sur le clavier ? 3 ! 2 1 !... Ecrivez !

Commentaires & Discussions

Une volonté de ferChapitre3 messages | 2 ans

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