Chapitre 12 : Les indices (Alex’s_18)

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Le 25 janvier 2022 18h02 dans l'appartement de Céline.

Qu'est-ce que c'est que ça ? pensé-je. Je ramasse les feuilles qui se sont échappés du livre ouvert.

— C'est quoi ? s'exclame Jérémie en tentant de lire par-dessus mon épaule.

C'est de la main de Céline, je reconnaîtrais les boucles de ces lettres entre mille. Cette écriture fine et gracieuse, toujours avec un stylo à plume.

— Hé, ho, je te cause l'ami !

— Une lettre écrite par Céline... réponds-je, déjà en train de la lire.

Mes tendres fantastiques,

Si vous lisez cette lettre, c'est que je n'étais pas au rendez-vous et que je ne suis peut-être même plus de ce monde.

Vous devez trouver tout cela étrange, voir incompréhensible, et pourtant pardonnez-moi de ne pas avoir pris le temps de vous en avoir parlé bien avant. En vous écrivant ces mots, les battements de mon coeur s'accélérent, mes doigts ont dû mal à tenir la plume.

J'ai besoin de votre aide. Vous allez apprendre à découvrir les hommes qui vont se joindre à vous. Vous êtes tout pour moi. Vous devrez vous unir, vous soutenir parce que je ne serai qui sait plus là pour le faire. Et surtout il faut que vous protegiez et mettiez en lieu sûr un scientifique.

Il y a un mois, j'ai rendu visite à mon ami Sergio. Ça faisait si longtemps que nous ne nous étions pas vus ! La dernière fois, c'était au sujet de ses expériences sur une énergie verte, mais il ne m'avait jamais rappelé, je m'étais alors dit qu'elles n'avaient pas abouti.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu'il m'a contactée, il y a une semaine pour me dire de venir le plus vite possible. Cela tombait bien, j'avais justement une convention sur les énergies renouvelables à Buenos Aires. Nous nous sommes mis d'accord pour nous voir dans son atelier le lendemain.

Quand je suis arrivée, il était surexcité, il ne cessait de répéter que nous venions de faire la trouvaille du siècle et que ça changerait tout à notre vie, notre consommation et nos besoins. Je l'ai prié de se calmer et de m'expliquer. Ce qu'il a fait.

Si vous saviez, c'est tout bonnement incroyable, je n'arrive pas encore à croire que nous ayions réussi. Cette découverte va changer beaucoup de choses. Elle va mettre fin au changement climatique, et peut-être même à la famine dans le monde. Si jamais l'existence de l’expérience vient à s'ébruiter, je n'ose penser à ce qu'il adviendra.

Si vos yeux se déposent sur ces lignes, je crains que le pire soit en marche. Je vous en supplie, il faut que vous alliez le retrouver. Sergio est en danger et sans défense. J'espère qu'il ne sera pas trop tard, sinon mes espoirs disparaîtront avec lui.

Croyez en chacun de vous et sachez que vous êtes à jamais tatoués dans mon coeur.

Attrape Rêve

Céline... que se passe-t-il ? Où es-tu ? Et surtout, comment ai-je fait pour être aussi aveugle ?

Buenos Aires. Capitale de l'Argentine. Je ne savais pas qu'elle y a été. Elle n'a pas daté la lettre mais ce doit être récent.

— Et alors, c'est quoi cette fameuse découverte ? Bon sang, elle ne le dit pas ?

Jérémie m'arrache la lettre des mains pour regarder au verso. Il grogne de mécontentement.

De mon côté, je jette un coup d'œil aux feuillets : l'un semble être un guide pour visiter Buenos Aires, l'autre parle de la convention dans laquelle Céline a fait son discours, je suppose. Je l'ouvre j'écarquille les yeux.

— C'est quoi ça ? murmuré-je.

— Quoi ?

Des lettres tirées de différents... journaux qui, si je me fie à leurs contours étranges, forment une phrase écrite sur une feuille vierge.

— « Détruis ce que tu sais où tu en paieras les conséquences de ta vie. » Ça veut dire quoi ça ? s'étrangle Jérémie.

Je regarde le premier feuillet pour découvrir, horrifié, qu'une autre lette y est cachée.

« Ne joue pas avec nous, nous n'hésiterons pas à te réduire au silence. »

— Celine recevait des menaces ? Par qui ? Pourquoi n'a-t-elle rien dit ?

— Pour l'instant, rien ne nous permets d'affirmer que ça lui était adressé, tenté-je.

Jérémie me regarde comme si j'étais devenu idiot.

— Alors, pourquoi elle les a en sa possession ?

— Peut-être qu'elle les a trouvées chez ce Sergio. Et si ça fait allusion à son expérience, c'est normal qu'on veuille empêcher ce scientifique de la dévoiler.

Jérémie me tend brusquement la lettre écrite par Céline.

— Regarde, là, c'est écrit « c'était au sujet de notre expérience », elle a bien dit "notre" !

Le gamin a raison. Ça sent mauvais, très mauvais. D'abord, elle nous donne rendez-vous mais ne vient pas ; ensuite, on découvre qu'elle a été enlevée. Et maintenant, qu'elle est menacée depuis un bon moment ! Mais bon sang, pourquoi elle ne nous a rien dit ? On aurait pu l'aider !

— Oh putain de putain de putain...

Jérémie fait les cent pas dans le salon, les mains sur les tempes, le visage rouge et les yeux hagards. Il est à deux doigts de la crise de nerfs.

— Jérémie, calme-toi, attendons Mike et Tom et nous aviserons ensemble de...

— Comment tu veux que je me calme ? hurle-t-il en s'arrêtant avant de se remettre à marcher en rond. Céline a été enlevée par des bandits de la pire espèce et peut-être que maintenant elle est morte et son corps est enterré six pieds sous terre et il est déjà en train de se faire bouffer par les vers et peut-être qu'on va s'en prendre à nous parce qu'on a découvert la vérité et... Oh !

Il se fige, la bouche entrouverte et son visage se détend, sous le charme de mon illusion. Je savais qu'il adorait les animaux, il ne peut pas résister à une portée de petits chiots si mignons. Je romps mon charme.

— Il faut attendre les deux autres et ensuite, on avisera, d'accord ? Mais pour le moment, nous devons patienter et garder la tête froide, ok ?

Il hoche la tête et s'affale sur le canapé, les jambes par-dessus l'accoudoir. Au moins, il semble avoir repris possession de ses moyens. Je pose les feuilles sur la table basse, prends place dans le fauteuil et croise les jambes. J'espère que Tom et Mike ne vont pas tarder. D'ordinaire, je suis plutôt loup solitaire mais là, j'avoue que je suis un peu dépassé. Je n'aurais jamais pensé que Céline se soit fourrée dans une bien belle merde. Je me fustige mentalement de mon juron.

Je jette un coup d'œil à mon jeune ami qui pianote sur son téléphone, les yeux rivés sur l'écran. « Jeune » est un peu abusé, il doit avoir dans la vingtaine, peut-être juste un ou deux ans de moins que moi. Étais-je comme lui, il y a deux ans ? Je grimace. Peu de chances, il a l'air tellement... enfantin ? Immature ? Peu sûr de lui, je dirais plutôt. C'est ça, il ne s'est pas encore jeté dans le grand bain, ça se voit rien qu'à son attitude.

— Pose ta question.

Je lève un sourcil, étonné.

— Pose ta question, je t'ai dit, répète Jérémie. Tu me regardes depuis tout à l'heure. Il doit bien y avoir une raison.

J'esquisse un sourire. Il n'est pas si idiot qu'il n'y paraît. Je me racle la gorge.

— Qui est Hugo ?

Il lève les yeux de son téléphone.

— Je t'ai écouté, tout à l'heure. Pas ma faute si tu parles fort.

— Qu'est-ce que ça peut te faire ?

Je hausse les épaules.

— Rien. Mais tu sais bien que j'aime tout savoir, je ne serais pas Alex-le-redresseur-de-torts, sinon.

— Tu penses que j'ai des torts ?

— Tout le monde en a, réponds-je, d'une voix catégorique.

— Même toi ?

— Tu ne m'as pas répondu.

Il soupire avant de se redresser un peu.

— C'est mon petit-ami.

Un sourire niais apparaît sur mon visage. Eh bien, l'amour rend moche.

— Il a quel âge ?

— Trente-quatre.

Je retiens un « pardon » de justesse. Trente-quatre ans ? Mais Jérémie n'a qu'une vingtaine d'années, à tout casser. Ils ont au moins une dizaine d'années d'écart.

— Il est tellement gentil avec moi et si attentionné, continue-t-il. Vraiment, c'est le meilleur garçon du monde. Là, il est en vacances avec des amis mais il m'appelle tous les jours, tu te rends compte ? Ça veut dire qu'il pense à moi, non ? Peut-être même que je lui manque. Moi en tout cas, il me manque, j'aimerais qu'il soit ici,... Enfin, ne pense pas que je ne t'apprécie pas ! lance-t-il précipitamment. Mais on se connait pas trop alors que Hugo... et puis c'est mon mec donc on peut faire des choses que nous deux, on peut pas, enfin ça serait mal et... et je m'enfonce... murmure-t-il en voyant mon sourire en coin.

— Juste un peu.

Il rougit de honte et s'excuse maladroitement.

— Je ferais mieux de me taire.

Il s'enfonce dans le canapé et porte le téléphone à ses yeux, sans doute pour se cacher. Mais je suis sûr qu'il n'arrivera pas à tenir sa langue plus d'une minute. En tout cas, sa relation avec ce Hugo est étrange, de mon point de vue. D'après ce que j'ai entendu de leur conversation, enfin du moins, des paroles de Jérémie, il est raide dingue de ce type. Est-ce vraiment étonnant si on prend en compte qu'il agit comme une figure paternelle pour lui ? Et je pense même qu'il doit soulager Jérémie de nombre de ses responsabilités.

— Et toi, tu as quelqu'un ? demande Jérémie quelques instants plus tard.

Je réprime tant bien que mal un sourire. J'adore avoir raison. Au moins, on ne s'ennuie pas avec lui, il arrive à faire rire, même si c'est à ses dépens.

— Eh bien, non, pas en ce moment.

— Pas en ce moment ?

Je ne tombe pas dans son piège grotesque.

— Je ne veux pas avoir quelqu'un.

Il hoche la tête, compréhensif.

— Mais...

— Mais quoi ?

— Mais tu as... tu as déjà eu quelqu'un ?

Je me renfrogne et garde le silence.

— Pas vraiment, lâché-je au bout d'un moment. Je ne considérais pas ça comme une réelle histoire. Et de toute façon, ça ne m'intéresse plus.

Quand je relève la tête, je peux lire dans le regard de Jérémie qu'il a compris. Il replonge alors dans son téléphone et me laisse avec mes chimères.

Ça faisait longtemps que je n'avais plus pensé à lui. Et si je suis honnête avec moi, le voir tout à l'heure m'a ébranlé. Je n'irais pas jusqu'à dire que ça a remué quelque chose au fond de moi, mais de nombreux souvenirs sont remontés à la surface.

Je lui ai mené la vie dure mais il a fait preuve d'une grande persévérance et ça a payé. Il est doté de certains charmes, c'est indiscutable et il a le don de vous faire rire en seulement quelques mots. Sa cour – il n'y a pas d'autres mots pour la décrire en vérité – a duré longtemps, depuis ce jour où il m'a approché dans ce bar. Il a réussi à rejoindre mon lit mais pas mon cœur. Mais il savait à quoi s'attendre, j'avais été clair dès le début. Est-ce ma faute s'il s'est attaché ?

Mais après tout, ce n'est qu'un homme. Ce n'est pas le premier à y avoir cru. Mais je croyais qu'il était différent des autres, qu'il ne se fourvoyait pas. Je ne lui ai rien caché, et j'ai toujours été clair avec lui : je ne veux pas partager ma vie avec quelqu'un. Car pour ça, il faut se lier à l'autre, lui faire confiance et placer sa vie entre ses mains. C'est impossible pour moi, l'être humain est bien trop cruel.

Il avait l'espoir que je finirais par céder, par m'attacher et par succomber. Lorsque j'ai compris qu'il avait fini par croire en son rêve, il était trop tard. C'est autant de ma faute que de la sienne : j'ai abaissé mes gardes, autorisé plus de choses, je lui ai donné de l'affection, plus que ce que j'avais fait avec les autres.

J'ai alors dû y mettre fin le plus rapidement possible. Et quand c'est rapide, c'est forcément brutal. Je comprends qu'il peut m'en vouloir encore aujourd'hui. Même s'il ne montrera rien devant les autres et surtout devant moi, je pense qu'il souffre encore. Nous nous sommes fréquentés un bon moment et je le connais bien plus qu'il ne le croit.

Mais je n'ai pas de regrets. Notre histoire ne devait pas être vécue au grand jour et prendrait forcément fin un jour ou l'autre. Je le savais, et il le savait.

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