Chapitre 26 : W18-1h57 (Tom Ripley)

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Le 26 janvier 2022 21h03 dans le train.

Ce soir, le wagon-restaurant est bondé. Nous avons quand même réussi à trouver une table. La petite lampe visée sur le côté diffuse une lumière jaune chaleureuse, contrastant avec les paysages nocturnes et froids que nous voyons défiler à la fenêtre. Mike, content d’être ici, s’excuse après m’avoir écrasé les orteilles. Le serveur arrive avec nos deux plats :

— Un menu montagnard pour monsieur, annonce-t-il à l’égard de Mike, ses couverts déjà en main, prêt à attaquer son steak fumant.

— Et le menu végétarien pour vous, dit-il en posant mon plateau face de moi. Bon appétit, messieurs.

— T’es sûr que tu arriveras à manger ce morceau de tofu et cette salade pourrie ? me lance mon acolyte, en se goinfrant d’une poignée de frites, après les avoir préalablement trempées dans une sauce blanche.

— Bien sûr que oui, dis-je, un peu vexé en piquant ma fourchette dans un premier morceau qui s’avère un peu trop élastique à mon goût.

Mike pouffe en attrapant une frite pour la suspendre devant mon nez.

— Tu me fais pitié, ouvre la bouche, mon petit Tom !

J’obéis en sortant ma langue de manière suggestive, puis attrape la frite d’un trait.

— Gourmande en plus, dis-donc !

— Parfaitement ! Et pas la peine de me féminiser comme ça, tu sauras pour ta gouverne que j’aime autant donner que de recevoir.

— Heu… Message reçu ! dit-il d’un ton léger.

Je ne suis pas sûr de bien m'être bien fait comprendre, peu importe, je continue à manger en l’écoutant parler de lui. C’est la première fois que je le vois aussi détendu. J’en comprends la raison : sa joie de prendre le train et la description des voyages qu’il rêve de faire. Après avoir tourné autour du pot, en ne cessant de manipuler le camée fétiche de Céline qui ne quitte plus son cou, il me dévoile sa première rencontre avec elle dans l’aéroport d’Orly et leur passion amoureuse. Je suis étonné d’un tel déballage, mais je n’en prends pas ombrage, au contraire. Je prends cette confession comme une marque de confiance. Sans que j’ai à faire quoi que ce soit, je vois la couleur rose de son quatrième chakra s’illuminer, près du cœur, au centre de sa poitrine. Lorsqu’il évoque notre amie, il rayonne. Son chakra racine est profondément ancré lui aussi, signe que sa santé physique et sa maîtrise des choses sont au top niveau. Je lui souris sincèrement, mon intuition était la bonne : j’ai une belle personne en face de moi. Je n’ai plus aucun doute, je peux lui accorder moi aussi toute ma confiance. Lui comme moi, nous continuerons à nous amuser de nos taquineries. Je n’exclurais pas un petit jeu érotique, avec Cindy entre nous deux, mais cela gâcherait probablement notre amitié naissante.

Je me livre à mon tour en évoquant ma formation initiatique auprès de mon Maître chinois, le dernier descendant d’une longue et prestigieuse lignée Shaolin. Mon enseignement des arts martiaux semble le captiver, et ce, encore davantage lorsque j’évoque les boules d’énergies que j’envoie sur mon adversaire, au lieu de combattre à mains nues. Il pousse quelques cris discrets à la Jackie Chan, ce qui me fait rire malgré moi. Mike retrouve son sérieux lorsque j’évoque ma soif de quête spirituelle. J’en viens à évoquer ma collaboration avec Céline dans ses recherches journalistiques. En tant que documentaliste au sein du centre de recherche des Nations Réunies, j’ai eu plusieurs fois l’accréditation de l’accompagner à certaines de ses conférences. Cette opportunité m’a permis de me voyager en Asie et de parfaire mon entraînement dans des temples et autres centres du réseau auquel Maître Ly appartient.

Rarement je me suis confié comme cela aussi directement à un inconnu. Est-ce l’aura incroyable de Céline, diffusant sa bienveillance dans nos esprits, qui nous permet de nous dévoiler ainsi, sans artifices ? Notre duo improvisé avec Mike n’est plus une coïncidence, il faudra que je remercie Céline lorsque nous la retrouverons, j’espère le plus vite possible. Au moment où je demande à Mike s’il croît en la réincarnation, il me regarde avec attention, avant de me répondre :

— Ta jelly anglaise qui te fait office de dessert, tu la manges ou pas ?

D’un sourire, je lui tends mon assiette. Il gobe le tout en moins de deux.

— Si les Rosbiffs veulent abréger la vie de leur Queen Elisabeth, qu’ils n’hésitent pas à lui en faire bouffer ! Elle s’étouffera avec la vioc, dit-il en grimaçant.

Je ris un instant avant de me raidir d’un coup. Un homme en costume noir vient d’apparaître à la porte du fond du wagon.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Ne te retourne pas, je crois bien qu’il y a un Men in black qui vient d’arriver. On se casse !

Après m’être essuyé la bouche, comme si de rien n’était, je me lève tranquillement de mon siège, suivi de Mike qui me talonne aussitôt. Dans le couloir, nous nous demandons comment faire demi-tour pour rejoindre notre cabine couchette. La porte des toilettes pour dames s’ouvre brutalement sur une jeune femme qui vient se cogner contre le buste de mon ami.

— Oh, excusez-moi monsieur…

— Mais, ne vous excusez pas mademoiselle, tout le plaisir est pour moi, ce sont des choses qui heureusement arrivent. Je n’ai même pas eu mal, au contraire, dégaine Mike, avec un sourire mielleux.

— Mike, notre ami arrive ! murmure-je en le poussant dans les toilettes ainsi libres.

— Mais, qu’est-ce-que tu…

— Excusez-moi mademoiselle, c’est une urgence ! dis-je en refermant la porte à clé.

Au vu de la cabine exiguë, Mike est contraint de s’asseoir sur la cuvette, et moi debout face à lui.

— Fais pas cette tête, toi qui voulais un vrai dessert, en voici un, dis-je en faisant semblant de faire coulisser la fermeture éclair de ma braguette.

— Ah, ah, très drôle, mon petit Tom, mais notre ami tueur m’a coupé l’appétit.

La poignée de la porte s’abaisse. Quelqu’un cherche visiblement à entrer. Est-ce lui ?

— C’est occupé, siffle Mike, avec une voix haut perchée.

Je me retiens de rire, mais les fortes vibrations dues à la vitesse du train me coupent dans mon élan. Je suis obligé de m’appuyer au-dessus de sa tête pour ne pas tomber sur lui. Un choc brutal vient cette fois-ci secouer l’habitacle et me faire perdre l’équilibre. Mon bas ventre vient se coller à son visage malgré moi. Par réflexe, Mike m’attrape les hanches pour me stabiliser.

— Tu as changé d’avis pour le dessert ?

Il me fusille du regard.

La poignée de la porte s’abaisse de nouveau.

— C’est occupé, je vous conseille d’aller plus loin si vous êtes pressé ! ajoute-t-il toujours sur le même ton.

— Ta gueule, aucun commentaire où je te défonce ! murmure-t-il, en dégageant ses mains de moi.

Nous attendons patiemment quelques minutes avant de sortir. À notre grand soulagement, personne dans l’allée. Nous traversons le wagon-restaurant pour retrouver enfin notre cabine, dans l’état où nous l’avons quittée. Mon sac en cuir est toujours là ainsi que celui de Mike que mes amis du Lotus bleu ont eu la gentillesse de nous préparer pour le Congrès.

Le 27 janvier 2022 1h07 dans le train.

Après un arrêt à Strasbourg un peu avant minuit, le prochain est prévu à Munich à 6 heures du matin. Du moins, officiellement. Car le dernier texto de Maître Ly que j’ai reçu à 23h38, a été d’une brièveté sans égal : 2h07. Il nous reste donc une heure. Mike m’arrache mon téléphone portable des mains pour la quinzième fois, afin de relire le message.

— Sans déconner, tu crois vraiment que ton Ly va pouvoir faire arrêter le train à la gare de Stuggart, pendant 15 secondes, le temps que nous descendions ?

— J’ai confiance en lui. Ne t’inquiète pas.

— Facile à dire pour toi. Je l’ai vu qu’une fois, ton Maître Yoda.

Un nouveau message s’affiche sur mon téléphone. Opération annulée. Mike blêmit en me montrant l’écran d’un geste fébrile.

— Putain de merde ! On fait quoi ? On saute par la fenêtre, c’est ça ?

Je déglutis. Accélération du rythme cardiaque.

— T'inquiète, il va trouver une solution. Et arrête de triturer le pendentif de Céline, si ça continue, tu vas finir par le casser !

— Je ne sais pas comment tu fais pour rester aussi calme.

Peut-être parce que cette fois-ci, j’arrive à cacher mon inquiétude.

Mike ne cesse de descendre et de remonter sur son lit couchette, situé à l’étage. Les minutes s'égrènent lentement, ce qui ne fait que redoubler son impatience et la mienne par la même occasion. Sans prévenir, le visage d’Alexis m’apparaît, ce qui me réchauffe le cœur instantanément et me permet de mieux respirer. Pour changer les idées de Mike, je lui parle de la première rencontre de Céline avec Maître Ly. Et les séances qui ont suivi, lorsqu’il lui enseignait le pouvoir fabuleux des plantes sur le corps et l’esprit. Mais cela ne semble pas du tout l’intéresser et encore moins le calmer.

— Putain de putain de merde. Je me demande encore comment ces têtes de bite ne nous ont pas mis la main dessus. T’es sûr que c’était l’un des leurs dans le wagon-restaurant ?

Je réponds par l’affirmative, je suis catégorique.

Mon téléphone se met de nouveau à s’allumer. Un autre message lapidaire s’affiche : W18-1h57. Nous nous regardons, interloqués.

— Ça veut dire quoi, Tom, ne me dis pas que… ??

Je regarde ma montre. 1h50. Je me lève d’un bond, enfile mon manteau.

— Putain, de putain de merde. J’y crois pas, s’insurge Mike qui à son tour attrape le sien.

Je le prends par les épaules pour qu’il arrête de gesticuler dans tous les sens.

— Écoute, Mike, je ne comptais pas te le dire comme ça, mais voilà : Premièrement, tes chakras sont alignés, tu as la force nécessaire pour nous sortir de là. Deuxièmement : je n’ai jamais douté de mon Maître, tout va bien se passer. Allons-y.

J’ai dû être convaincant, il finit par me sourire.

— Ouais, t’as raison, on va tous les niquer !

Nous sortons discrètement de la cabine, notre sac à dos sur les épaules. Nous nous dirigeons vers le wagon 18. Seul le bruit régulier et presque rassurant du train se fait entendre. Arrivé dans le sas qui le relie au wagon suivant, nous nous postons devant la porte de sécurité par laquelle nous avons prévu de sortir. Je regarde ma montre. 1h54.

— Plus que trois minutes, Mike !

Mon partenaire retire son sac, et le replace sur son ventre. Il commence à se frotter les mains, avant de les apposer sur la porte. À lui de jouer.

— Je devrais pouvoir la défoncer sans problème.

J’en profite pour vérifier s’il y a personne en vue. À cette heure-ci, nous pouvons espérer être seuls, ce qui est bien le cas, ouf !

— C’est bon, tu peux y aller, arrache-moi cette porte !

Mike attrape la poignée de la porte blindée et tire dessus de toutes ses forces. Le mécanisme de blocage cède sans problème, il n’a même pas besoin de l’abîmer davantage, la porte coulisse parfaitement. Un vent grand froid s’engouffre aussitôt dans le sas. Je reste ébahi par la force de Mike, il m’offre un sourire de contentement grand comme ça. Je regarde mon téléphone que j’ai calé en mode chronomètre. garde son équilibre malgré la forte aspiration de l’air extérieur.

— Plus que soixante secondes et on pourra sauter !

Soudain, déboule dans le couloir du wagon notre ami Men in black, qui aussitôt m’aperçoit à son tour. Merde ! Il dégaine à la vitesse de l’éclair son pistolet et n’hésite pas une seconde à tirer dans ma direction. Aussitôt, je me précipite vers Mike, évitant de peu une volée d’éclats de verre. Je viens de lui échapper belle !

— Putain, ils nous ont retrouvé !

— Ouais, j’ai remarqué ça, crie Mike. Accroche-toi à moi !

Je l’enlace de toutes mes forces. Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. La bulle d’énergie que je crée en deux secondes seulement nous entoure en s’illuminant aux couleurs de l’arc-en-ciel. Notre ennemi apparaît et nous tire de nouveau dessus. Ca pète de partout ! Mais comme prévu, la bulle absorbe la série de balles avant qu’elles ne tombent et roulent au sol. Quel soulagement ! Le mec récidive, mais reste effaré du résultat. Dans un grincement de dents, j’arrive à rester concentré pour maintenir notre degré de protection.

— Alors qu’est-ce que t’en dit, Ducon ? crie Mike, hilare.

Retentit la sonnerie stridente de mon téléphone.

— Mike, maintenant !!!

Il n'hésite pas une seconde avant de sauter dans le vide. J’ai à peine le temps de réaliser ce qui nous arrive que nous flottons dans les airs, au lieu de finir écrasés lamentablement au sol. Notre bulle reste en lévitation, déviant légèrement par le sifflement du vent que produit la vitesse du train, qui continue sa route sans nous. Atterrissage sans problème devant un grand champ de terre, nappé d’un brouillard épais.

— Toujours aussi kiffant ta bulle de princesse ! éructe Mike, le sourire aux lèvres. Ça va toi, pas trop crevé ?

Ce n’est pas tous les jours que mon énergie repousse des balles tirées à bout portant.

— Comme sur des roulettes, dis-je en reprenant mon souffle.

Surgit alors du brouillard tel un fantôme, un homme qui a la bonne idée d’éclairer son visage à l’aide de son téléphone portable. Nous le reconnaissons, c’est Lian, le serviteur de Maître Ly.

— Je vois que vous avez fait bon voyage. Il était finalement préférable de se donner rendez-vous ici plutôt qu’à la gare où nous ne pouvions plus assurer votre protection.

— Nos ennemis sont si puissants que ça ? demande Mike, d’une voix inquiète.

— Chaque jour suffit sa peine monsieur Mike. Laissez-moi vous conduire à votre hôtel. Vous y serez à l’abri le temps du congrès. Durant les prochains jours, vous pourrez vous mêler aisément à la foule des participants. Nous restons bien sûr en contact et près de vous en cas d’urgence.

— Merci, Lian pour votre aide, dis-je, reconnaissant.

— Maître Ly vous conseille, en arrivant à l'hôtel, de boire une bonne tasse de thé.

— Un bon pisse mémé pour faire un gros dodo, mon petit Tom, répond Mike en me faisant un clin d'œil.

Le 27 janvier 2022 dans la nuit, à l'hôtel de Stuttgart.

— Je suppose que c’est toi qui a demandé à tes amis chinois une chambre avec un lit double ?

— Dans tes rêves !. Déjà bien qu’ils aient pu en avoir une de libre durant cette semaine de congrès.

La théière que je nous ai préparée infuse tranquillement. La douce odeur du thé vert de Chine imprègne la pièce. Je ne peux m’empeĉher d’esquisser un sourire en imaginant les vertus de cette boisson sur un homme tel que Mike. Heureusement, il est focalisé sur son téléphone portable. Tout à coup, il cesse de pianoter frénétiquement et fronce les sourcils.

— Je suis sur le site du congrès. Y’a quelque chose qui m’échappe, c’est impossible !

— Quoi donc ?

— La conférence de Céline est toujours programmée.

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