Chapitre 29 : Le génie auto-proclamé (lelivredejérémie)

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27 janvier 2022 21h05 Zoo de Temaiken

Cette histoire devient de plus en plus compliquée, et voilà qu’el profesor nous confie une side quest au sujet d’une… plante ? Mais on devrait retrouver la trace de Céline, là ! Sauf qu’on n’a pas le début d’un indice, si ce n’est le texto de Mike au sujet de son intervention, incompréhensiblement maintenue, dans trois jours, à la convention. Après, ils sont déjà sur place, eux, alors que nous sommes à douze mille kilomètres, sans aide de Maître Ly, par l'intermédiaire de Tom, on y serait difficilement à temps. Et je vois bien que ça énerve beaucoup Alexis, que je n’avais pas encore vu perdre son sang-froid, mais que pourrions-nous faire ?

Pour me donner l’opportunité de m’éloigner, je me suis fait expliquer par Fabio où est la cage du fauve, que je fixe en tentant de pénétrer son esprit, mais à part des visions d’une forêt vierge du sud-est asiatique, finalement bien déprimantes alors que le noble animal est enfermé…

Avec l’espoir d'un dérivatif un peu plus joyeux, je sors mon portable de ma poche, mais de nouveau, pas de réponse de Hugo. Du coup, mon plan B classique, son best…

— Salut, Oli.

— C’est qu-qui ? Oh ! Jey… Jeeeeey ! C’est Jérémini, les filles, le petit mec de mon best ! Jérémie, mon pote, ça fait longtemps que je ne t’ai plus entendu, comment ça va, toi, le bou-beurp-lot ?

— On s’est parlés hier… Et je suis encore à la fac, Oli ! Mais toi, tu es déjà loin dans le bois, on dirait. Dis, je me demandais où est encore passé Hugo.

— Hugo va trèèès bien, je le surf…veille ! Sauf là, je crois qu’il est retou-beurp-ourné au Teatro Antico avec Gunther et Léo, ils ont ce truc en commun pour les hites sistoriques… Brff… sites… bref ! Ou alors, c’est que les colonnes dressées ont un potentiel érotique pour vous, je sais pas… Dis-moi, aimes-tu aussi les trucs dressés, Jérémini ?’’ a-t-il suggéré d’un ton rendu désagréablement mielleux par l’alcool.

— Euuuh… J’ai à peine relevé le sous-entendu lourdingue, merci, ça, c’est fait ! Sauf qu’il est vingt-et-une heure, là. Puis aussi, entre nous, Hugo et la culture classique, ça fait deux, Oli’’.

— Jéreu…mi…mie ! Ne dis pas que mon best est con, on sera plus potes, nous, hein’’ il a grondé. ‘’Puis essaie d’être un peu moins sur son dos, mon petit, ça va fff-inir par le gaver, il te rappellera quand il le sentira... Quoi, les filles ? Grappa à la cannelle ? Nan, je connais pas, faites péteeer !’’

— Comment ça, je le harcèle ? C’est lui qui dit ça ?’’ ai-je glapi, alors qu’une petite angoisse pointait le nez, poussée par sa description des deux bears : ‘Zéro culture, un quart de tonne de muscles à deux’, et par le fait qu’il impose parfois des contacts assez brusques à mon petit gabarit, qui fait un peu exception sur son tableau de chasse, faut dire. Puis peut-être légèrement par la connaissance de la durée moyenne de ses relations précédentes, ce dont Olivier – toujours lui – m’avait sournoisement informé un soir de beuverie.

— Je sais pas, Jey, pose-toi les bonnes questions, puis à lui, aussi.

Il coupe la communication, alors que mon ‘’Dis à Hugo que je l’aim…’’ se perd dans le vide.

Je lève les yeux de mon portable pour croiser la moue désolée d’Alexis. ‘’Je sais, il n’y a rien à dire, je suis juste désolé d’avoir encore surpris ta conversation, mais l’histoire de Fabio m’intriguait, je voulais voir son gato grande… Céline charmeuse de tigres, tu peux l’imaginer, ça ?’’

— Je commence à imaginer un peu trop de trucs auxquels je n’aurais pas cru hier encore…’’ ai-je murmuré.

— Je pense que je peux comprendre, je suis nul pour les conseils sur les relations, puis bon, moi-même, hein… mais je peux écouter, ça peut aider de parler.’’

Parler ? Peut-être en ai-je besoin, en fait. Comment j’ai pu être aussi naïf… Puis croire que… "Alexis, euh... on ne se connait pas, mais tu imagines… que je peux être oppressant, toi ?’’

— Hmmm, toi, en tant que personne, non, plutôt effacé, je pense. Mais malgré soi, les sentiments peuvent parfois l’être, je pense. On ne cherche jamais tout à fait la même chose que l’autre, chacun a son degré maximum d’investissement dans la relation, ou de concessions qu’il est prêt à faire… Si c’est déséquilibré, ça peut devenir oppressant, j’imagine. Mais là, je parle dans l’absolu, bien sûr ! Puis qu’est-ce que j’en saurais, aussi ?

Il parle de lui et de Tom, mais il n’en dira pas plus, je commence à le cadrer.

Je le remercie d’un sourire maladroit, plus le gênerait. ‘‘Bien sûr... Rentrons, tu veux ?’’

Nous avons interrompu la conversation animée de Sergio et Fabio, qui nous expliquent que Lucia a dû rentrer à Buenos Aires pour retrouver sa vieille mère malade, mais que le gardien du zoo nous prête sa Land Rover de fonction pour rejoindre Bahia Blanca. ‘’Elle n’est pas très confortable pour de longues distances, mais…’’

— C’est votre façon de conduire qui ne l’est pas, profesor, c’est pourquoi Alexis le fera, ce n’est pas négociable’’ claqué-je, me sentant pousser des ailes, et peut-être d’un ton un peu trop cassant, mais il semble avoir compris que j’ai déjà trop de contrariétés à l’esprit. ‘’Pour cette nuit, Pablo et moi serons très bien dans un fauteuil ! Toi, tu devras être reposé, prends le divan’’ ai-je ajouté à l’intention d'Alexis. Je remercie Fabio pour l’offre généreuse de partager son lit, en y expédiant le professeur, en partie de crainte de me réveiller au milieu de la nuit avec sa main dans mon boxer, au vu des regards bizarres qu’il me jette. Si la solitude lui pèse, je ne peux pas l’aider.

28 janvier 2022 10h35 Zoo de Temaiken

Pour autant, je n’ai pas beaucoup dormi, même si les cris des animaux n’avaient pas déchiré la nuit, mes pensées m’ont de toute manière régulièrement ramené à Hugo, et ma dignité que j’oubliais un peu trop souvent. Jusqu’à ce que la fatigue du voyage, le décalage horaire et les évènements de la journée aient raison de moi. Ce matin, après m’avoir réveillé de sa grande main étonnamment délicate sur mon épaule, Fabio nous a préparé un petit déjeuner frugal à base de lard et de haricots, auquel j’ai à peine touché. Pour échapper à leurs regards entre compréhensifs et interrogateurs, avec mon portable en main, toujours vide d’un nouveau texto, je me pose sur l’appui de fenêtre de son logement de fonction, en observant l’enclos de l’animal totem de Céline… ‘Où es-tu ?’

— Los tigres son muy amigables… ami…caux ? C’est frannnçééés ? a murmuré Fabio.

— Oh ! Oui, tout à fait, c’est… Je suis désolé… lo siento… No hablo español, pero Alexis, si !

— Jeremías… el chico, a-t-il hésité, en indiquant mon téléphone ‘’porque es un chico, ¿no? Esta mañana… ce matin, tu disais un prénom en tu sueño… dans le sommeil. Ce n’est seguramente pas différent pour vous que pour nous, et parfois… mejor sola que mal acompañada. De más, creo que Alexis esta triste por ti.

‘Qu’Alexis a-t-il à faire de moi ? pensé-je furtivement, avant de glisser ‘’Pas certain que ce soit beaucoup plus simple pour lui, mais il le cache mieux’’.

— Entiendo’’ a-t-il admis, avec une expression de compassion sur le visage, qui me fait encore plus regretter mes soupçons de la veille à son égard. Je ne suis décidément pas habitué à ce qu’on s’inquiète de mes états d’âme...

28 janvier 2022 14h20 Ruta Nacional 3

Après trois cent cinquante kilomètres sur ce que le ministère des transports argentin appelle pompeusement une ruta nacional, le dos cassé par les nids de poule et la suspension fatiguée du 4X4, nous faisons une halte sur une aire de repos pour reprendre du carburant.

— Ne sortez pas ! ai-je crié. ‘’Là, trois voitures devant nous, devant la pompe, le SUV au feu arrière gauche cassé… Le même modèle que ceux des tueurs à Paris, et c’est l’un des gros bras de Carmen de Areco qui fait le plein ! Mais comment peuvent-ils être ici ? On dirait qu’ils savent où nous allons, comment est-ce possible ? A moins que…’’ ai-je dit en me tournant vers el profesor, assis avec Pablo à l’arrière. ‘’Vous n’avez pas quelque chose à nous dire ?’’

— Il se pourrait… que j’aie évoqué la plante… et son chargement sur un cargo à Bahia Blanca.

— Quoi ?

— Ils menaçaient de s’en prendre à Céline, je ne me le serais jamais pardonné.

— Peu probable, ils ont besoin d’elle, vous l’avez admis vous-même’’ claque Alexis. ‘’Ils ont plutôt réussi à vous faire peur, avouez.

— J’ai un seuil de tolérance à la douleur vraiment très bas…

— Et notre seuil de tolérance à une mort probable, vous ne vous en êtes jamais tracassé, si ?

— Je ne leur ai rien dit de plus précis, je ne connais même pas le nom du bateau, il faudra le demander à la capitainerie. Eux, ils n’ont strictement aucun moyen de tracer le colis sans le récépissé d’envoi qu’ils ne pourraient jamais retrouver chez moi, surtout après qu’ils l’aient mis sens dessus dessous et aient brûlé tous les documents qu'ils pouvaient trouver.

— Arrêtez de vous foutre de nous !’’ crié-je. ‘’J’en ai autant marre d’être utilisé sans considération que d’être ignoré, surtout que votre plan pourri prend l’eau de partout ! À quoi ça servirait d’aller plus loin, nous n’avons pas le document de transport, nous non plus !’’

— Si ! Il est là’’ s’exclame-t-il, en posant le doigt sur sa tempe. ‘’Le code d’expédition est le BB/SH-897456-teb ! Bahia Blanca, Shanghai, transporte en barco… Transport par bateau ! J’ai une mémoire éidétique, comme beaucoup de génies, c’est vu, c’est retenu !’’

— La putain de modestie du génie…’’ grommèle Alexis.

— Mais ils ne sont pas stupides, ils ont déjà imaginé que nous irions à Bahia Blanca, ils vont forcément nous attendre à la capitainerie ! Si seulement Tom et Mike étaient avec nous… Il adore retourner les voitures sur le toit, lui, mais le génie, Pablo et nous ne sommes pas de taille’’ ajouté-je à l’attention d’Alexis.

— Il faudrait trouver un moyen de les ralentir, mais quoi ?

— Je sais ! Pablo, tu... telefono porta...blo ?... Hein ?... Ah, ok, móvil ! Profesor, Appelez les autorités en vous faisant passer pour le gérant de la station-service, vous expliquez qu’ils sont repartis sans payer après avoir embouti une voiture en reculant, donnez la direction de Bahia Blanca et suggérez que la police de la route les arrête !’’

— Oh ! Ça semble très amusant, je vais même ajouter qu’ils sont Brésiliens, ils sont nos meilleurs ennemis, et pas qu’en foot, puis le sujet de beaucoup de plaisanteries’’ dit-il, enjoué.

— Comme les Français pour nous’’ murmuré-je, en évitant soigneusement le regard d’Alexis.

À la sortie d’Azul, nous dépassons le SUV noir et deux véhicules de police qui l’ont pris en sandwich, pour voir les agents passer les menottes aux deux gros bras.

— On n’en demandait pas tant, mais ce n’est pas plus mal, dis-je, avec un grand sourire.

— Ils ont dû résister, ce n’est jamais une bonne idée, ils vont surement les emmener directement au commissariat où ils passeront la nuit’’ ajoute Alexis en accélérant, ‘’mais dans le doute, ne trainons pas pour autant’’.

28 janvier 2022 17h59 Capitanía du port de Bahia Blanca

El profesor commence à sérieusement s’énerver, à son tour, alors que l’employé de la capitainerie pointe posément du doigt l’horloge au mur.

— ¡Pero por la mañana, el barco habrá salido del puerto, cabron!’’ éructe-t-il au nez du mec qui n’a visiblement aucune envie de faire la moindre minute supplémentaire.

— Tu penses à ce que je pense ? Si, à deux, on a pu persuader les abrutis de l’hacienda de partir dans leur délire…’’ murmure Alexis en prenant son portable, avant de pianoter un court texte. ‘’Tiens, je lui envoie l’image mentale de son registre ouvert, et toi, incite-le à donner l’information’’.

Je me concentre sur la phrase à prononcer en pensée, à destination du fonctionnaire ‘Dale la información, y destruye la página… Dale la información, y destruye la página’.

— Ça a fonctionné, regarde ! T’as vu le travail d’équipe ? a soufflé Alexis en me serrant contre lui d’un bras sur mes épaules, son visage quelques secondes très proche du mien, avant qu’il se ressaisisse, et brise le contact.

Dont j’avoue que j’aurais aimé qu’il dure encore un peu…

Alors que l’employé arrache la page et y met le feu, le professeur revient vers nous, triomphant.

— Je n’ai pas compris, il s’est figé et m’a confirmé que le colis est bien à bord, avant d’arracher la feuille, c’est vraiment étrange.

  • Votre intellect supérieur s’est imposé au sien, je ne vois que ça, glisse Alexis, ironique, mais sans ciller… ‘’Bon, la… quel était ton terme de jeu ? Ah oui, la side quest du professeur est terminée, retour à la carte principale, mais je ne serais pas contre une petite pause avant le prochain level’’ a-t-il ajouté, moqueur, à mon intention. ‘’Ne trainons pas ici, au cas où la police ne les a pas retenus, ou s’ils ont pu prévenir leurs collègues…’’

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