Chapitre 39 : Tu vois Doc, dans Retour vers le Futur ? (lelivredejeremie)

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Après qu’Alexis lui a traduit ma réticence à l’idée qu’il me rejoigne à l’arrière de son avion-jouet, Yolanda a fait une embardée pour tirer de je ne sais où un sachet en plastique et me le tendre juste avant que j’y projette un filet de bile accompagné d’un rot embarrassant. J’en ai déchiffré l’inscription ‘Supermercado Delicias’ en me demandant quel était le dernier vrai repas que nous ayons pris, et me souvenir des haricots au lard du gardien du zoo, ce qui m’avait fait à nouveau hoqueter.
C’est entre embarrassé et soulagé que j’ai fait mes adieux à la pilote excentrique, avant de remercier en silence son coucou d’une tape reconnaissance sur sa carlingue ridiculement fragile.
— Le prochain sera un Airbus Iberia, avec un transit par Madrid avant d’arriver à Orly, mais tu seras moins secoué’’ dit Alexis, indécemment frais et en forme après cette épreuve dont j’ai cru ne pas sortir vivant.
— Vivement Paris, alors !
— Sauf qu’ensuite… L’influence de maître Ly ne semble pas absolument élastique, un autre arrêt intempestif de train n’est pas possible à Stuttgart cette fois. Note que de ce qu’on capté du voyage de Tom et Mike, la sécurité et les contrôles de la SNCF et de Deutsche Bahn ne semblent pas être aussi performants que ceux des compagnies aériennes, nous les rejoindrons par le vol… attends, je vérifie le texto de Tom… Tu ne l’as pas reçu ?
— Non’’ grogné-je ‘’Et c’est bien, là, moins j’en sais…’’
Rapide calcul dans ma tête, pour conclure qu’on est partis pour une vingtaine d’heures de vol, séparées par deux transits qui vont nous faire cavaler des kilomètres entre les différents terminaux à Madrid et à Paris, mais dans des endroits sécurisés où nous ne croiserons logiquement pas de Men in Black. Les petits bonheurs de la vie, on dira.
Avant que l’hôtesse rappelle les consignes de sécurité incluant l’obligation de déconnecter téléphones portables et PC’s, j’ai déverrouillé mon écran pour y trouver un texto de Hugo dont la notification m’avait échappé, avec toute cette agitation.
[Tu as dit des trucs que tu ne penses pas, Jérémie, tu sais très bien qui met de la vie (et pas que) dans la tienne. Quand tu reviendras, j’accepterai peut-être de te reprendre, petit renard ingrat]
L’aplomb ! Puis le sous-entendu lourdingue… Depuis une semaine, ça ne me manque même pas, et ce n’est pas le regard gentiment désolé d’Alexis, qui a lu le message du coin de l’œil, qui me fera changer d’avis, je mérite mieux que l’arrogance de l’un, ou la pitié de l’autre !
C’était bien sûr sans compter sur l’apparition sur le troisième siège de notre rangée d’un clone de Shawn Mendez qui, à peine avons-nous décollé, m’a jeté des sourires et des clins d’œil.
Le vol va être long…
Je n’ai échappé que deux heures, à prétendre dormir, à la conversation d’Esteban, qui a été flatté que je relève sa ressemblance – qu’il ne se cacher pas d'entretenir - avec le chanteur américain à l’hétérosexualité absolue trop souvent mise en doute. ‘’Yo también, para un chico lindo y tímido…’’ glisse le jeune Espagnol, avant de me demander si je m’arrête à Madrid. ‘’Oh, qué pena, podrías haber venido a mi casa, a visitar la ciudad, o algo más...’’
Mon attention attirée par le tapotement régulier de deux doigts sur l’accoudoir de gauche, je jette un regard interrogateur à Alexis qui affiche l’un de ses sourires moqueurs habituels et murmure ‘’Ça m’avait décidément échappé, mais les jugements à ton sujet semblent se recouper, chico lindo, il te propose de visiter sa ville, et tout ce que tu voudras, on dirait bien qu’Esteban, conquis, t’adore.’’
— Oh ! Le jeu de mot tout pourri… Mais nooon’’ murmuré-je, interrompu par la main du garçon sur mon bras droit, qui, avec un septième ou huitième clin d’œil, m’invite d’un signe de tête à le rejoindre à l’arrière de la cabine, avant de se lever et de s’éloigner.
— Vraiment pas ?’’ demande Alexis, me voyant m’enfoncer dans mon siège. ‘’Soit, à moi de jouer’’.
— Tu vas… ?
— Chuuut ! Mais non, je me concentre, je dois exercer mon pouvoir, c’est l’occasion’’ dit-il d’un ton définitif, en fermant les yeux.
Mon voisin de droite est revenu dix minutes plus tard, la respiration saccadée et les yeux brillants, et murmure ‘’¡Dios mío, eres fabuloso!’’ avant de se coller à son dossier et de s’endormir, un sourire aux lèvres.
— Qu’as-tu fait ?’’ chuchoté-je.
— Mais je n’ai pas bougé d’ici, tu l’as bien vu. Booon, d’accord, j’ai… peut-être imposé quelques images mentales très… imagées à son esprit, dont la tienne, mais en boxer, bien sûr, à ce stade, je ne peux encore projeter que ce que je connais moi-même, de visu, quoi.
— Ça t’a amusé ? C’était terriblement cruel.
— Regarde-le, il se joue les prolongations en rêve, là ! Pour le reste, bah, à tes actes manqués, Jérémie ! Mais je n’aurais pas dû, je te laisse t’assumer à ton rythme, maintenant que tu es libéré de ton ridicule engagement de fidélité éternelle… qu’aucun mec ne mérite jamais, en fait’’ glisse-t-il, soudain sérieux et renfermé.
Sauf que non, il est juste redevenu l’Alexis qu’il montre depuis le début, même si ce qui vient de se passer, et qui n’est au final légèrement embarrassant que pour Esteban, laisse imaginer un garçon plus insouciant et… taquin ? Et c’est plutôt déroutant.
Quoiqu’en fait, pas beaucoup moins que le sentiment que cet épisode étrange – un de plus de ces deux derniers jours – éveille en moi. Bien qu’il ne se soit techniquement rien passé, potentiellement, je pourrais séduire un inconnu ? Je me suis tellement arrêté à l’envie, toujours un peu incompréhensible, et apparemment de moins en moins réelle, que Hugo pouvait avoir de moi, qu’il est devenu inimaginable qu’une telle… chance se reproduise. Mais un autre garçon ? Et cette perspective, je la dois à Alexis ? Je lui offre un sourire timide et un clin d’œil que je veux reconnaissant, mais dont il fera bien ce qu’il voudra, ce n’est pas demain que je percerai l'aura de secret de mon compagnon de voyage… sinon, d’aventure, désormais.
S’arrêtant à mi-chemin sur la coursive couverte qui mène aux bâtiments de l’aéroport de Madrid-Barajas, Esteban me serre dans ses bras, dépose un sobre baiser sur ma joue, murmure ‘’Piensa en mi’’ et pousse la main dans la poche de mon hoodie.
Sous le regard neutre d’Alexis, je reste un moment interdit, avant d’en sortir une petite feuille de papier qui dit ‘Esteban Trujillo (Mendez para ti ;) ) 34 61756 334 721’. Après une courte hésitation, je le jette dans une poubelle. ‘’Heureux ?’’ craché-je, inutilement agressif.
— Indifférent, Jérémie. Mais, dans un sens, heureux pour toi, j’imagine que certains ont besoin d’un peu de crédit d’attention, de temps en temps. Enfin soit, allons-y, nous avons vingt-cinq minutes pour rejoindre le terminal n° 4 et nous sommes au n° 1, l’aéroport entier est aussi vaste que Châlons-sur-Marne.
— Qu’est-ce que… ou qui y a-t-il à Châlons ?
— Tu redeviens intrusif’’ grogne-t-il.
Il n'a pas tort, et pour tout en fait. Déjà pour ma question candide mais trop spontanée, dont je devais bien me douter qu'elle n'aurait pas de réponse, et surtout qu'elle renforcerait sa défiance.
Puis décidément sur le besoin un peu ridicule de reconnaissance dont je me fais parfois l'effet d'être affamé, avec la constante de rechercher les gens les plus incapables de me rassurer. Jusque là...
Le vol vers Orly s’est passé dans un silence juste interrompu par les messages du commandant et la proposition de l’hôtesse quant aux boissons que nous désirions, j’étais cette fois coincé entre un Alexis mutique et une femme guère plus loquace.
J’avoue avoir débarqué avec l’envie de grogner à l’idée du troisième vol de la journée, avant de me souvenir des trajets en voiture avec mes parents, vers les vacances, que je constellais de ‘C’est encore loin ? C’est looong’, et de la réponse muette de papa, un simple regard aux sourcils froncés dans le rétroviseur… Puis d’imaginer mon compagnon de voyage dans la même situation, mais bien plus stoïque, lui.
Je me suis tu.
Aéroport de Stuttgart 30 janvier 2022 05h45
Je pense que dans l’histoire de l’aviation, aucune combinaison de transferts parfaitement arrangés n’a jamais été mieux organisée que la nôtre, organisée par maître Ly et maître Xing, de manière plutôt impressionnante. Mais alors que j’envisage de partager ma réflexion avec Mike et Tom, venus nous accueillir à l’aéroport de Stuttgart…
— Puta mierda ! Je suis dégoûté des avions à vie’’ claque Alexis. ‘’Et arrêtez de sourire bêtement, on a vingt de vol dans le dos, là, on imagine juste comment vous devez vous réveiller chaque matin, à votre âge’’.
— Bonjour à vous aussi, les garçons, on est également heureux de vous revoir’’ glisse, imperturbable, Maître Oogway. Que je dois décidément arrêter d’appeler ainsi, même en pensée.
— On leur montre, dis ?
— Pas au milieu d’un hall d’aéroport, Mike. Attendons d’être à l’hôtel, non ?
Dans le taxi, nous échangeons nos expériences des deux derniers jours. En silence, je remercie Alexis d’à peine esquisser l’épisode du port, réalisant que seule l’adrénaline m’a permis d’en museler le souvenir, sauf que là, les images ressurgissent par flashes, et mes petites angoisses habituelles reviennent, méchamment augmentées. Mais il en a déjà trop dit pour Mike qui se tourne vers moi…
— Ton truc de suggestion ? Tu as… suggéré au mec de se faire sauter le caisson ?
— JE NE SAIS PAS !’’ crié-je. ‘’Je voulais juste… qu’il détourne son arme, je pense… Il la dirigeait vers Alexis, j’ai cru qu’il allait tirer ! Maintenant, je ne sais plus...’’
— Il l’aurait probablement fait, il voyait ses collègues rendus inopérant et aurait paniqué. De ce que nous en avons vu à Paris, et que les garçons nous ont rapporté, en Argentine, pour de soi-disant professionnels, ils n’ont pas beaucoup de contrôle, ni vraiment d'hésitations. Ce qui est fait est fait, inutile d’épiloguer, ni vraiment… de charger, Mike.
— Désolé, Jérémie, quoi qu’il se soit passé, c’est pour un mieux, ce n’est pas ta faute’’ tente-t-il de se rattraper.
— Nous n’aurions jamais dû vous envoyer là-bas, ç’aurait été à nous de le faire’’ soupire son binôme.
— Un sage m’a un jour dit que rien n’arrive par hasard, Tom, et que chaque épreuve est un apprentissage qui pose les jalons suivants de notre route…
— Et les rencontres, Alexis…
Il y a quarante-huit heures, j’aurais crevé de curiosité au sujet de ce qui les a liés, mais maintenant, j’ai juste envie de respecter ce dont ils ne parleront surement jamais.
— Faut pas dire ça, Tom’’ dit Mike, assis à l’avant, les yeux maintenant fixés sur la route. ‘’On n’aurait pas fait mieux, en tout cas, pas très différemment. Et là, je dis respect, les gars !’’
Une fois à l’abri dans leur chambre d’hôtel, la vue du grand lit m’a juste donné envie de m’endormir pendant vingt-quatre heures. Après avoir dégagé les costumes d’époque qui y gisent, bien sûr…
— Alors, vous pensez quoi de mon tigre ? Bon, rien à voir avec ce que vous avez vécu, mais perso, dans le genre expérience bizarre, après ma séance de Tai-Chi avec le petit Liang, on s’est posés et j’ai senti des picotements bizarres, puis une drôle de… je sais pas, une force supplémentaire qui entrait en moi ! Et tadaaam ! Je suis un fauve ! Mike en a un, lui aussi. Allez, montre-le-leur, toi aussi, Tom.’’
— Ça te parlera peut-être plus qu’à Jérémie…’’ a soufflé ce dernier. Alexis a opiné sobrement. ‘’Tu sais qu’au cours de mes séances de méditation, j’ouvre régulièrement des niveaux de conscience augmentée, et cette fois, avec l’aide de maître Xing…’’
Tom a posément déboutonné sa chemise de soie noire pour exposer le dragon qui orne son dos, en bandant – inconsciemment, je pense – ses grands et petits obliques qui roulent sous sa peau…
Dont je ne connaitrais pas le nom si Hugo ne les avait un jour cités, interrompant soudain sa brusque possession de mon corps, pour les pointer du doigt sur mon dos, en professionnel ennuyeusement docte. J’ai pourtant doucement souri, me disant que ces petits moments ridicules s’effaceraient lentement, avant qu’il ne soit plus qu’un souvenir vaguement gênant.
Non, mais jamais je me fais torturer le dos comme ça ! Après, ailleurs, je ne dis pas… Quand j’ai découvert les ‘one line animals’ stylisés et tracés d’une seule ligne, j’en avais envisagé un sur ma cheville, jusqu’à ce que Hugo, avec son foot fetish à la con, m’interdise de… quels étaient ses termes ? ah oui, de taguer la perfection… Je m’en veux trop d’avoir été flatté, mais maintenant, c’est Fuck you very much, Hugo, je le fais !.
— Sinon, il est comment, el profesor ?’’ me demande Mike, me tirant de mes pensées.
— Tu vois Rick, le grand-père inventeur un peu foldingue dans Rick et Morty ?’’ dis-je.
— Euh… non.
— Ah, oui, c’est vingt-et-unième siècle, ça… Oh oui ! Le Doc dans Retour vers le Futur !
— Dis donc, petit con ! Sinon, oui, là, tu me parles. Barré, quoi.’’ dit Musclor.
— À fond dans son trip, oui, mais en légèrement plus manipulateur…
— Manip’ ? Pourquoi Céline marche dans son délire, alors ? Elle déteste ça ! D’ailleurs, en parlant d’elle, c’est trop bizarre, son blabla est toujours confirmé pour demain…
— Dites, c’est quoi, ça’’ demande Alexis et pointant du doigt les vêtements et les cuissardes du XVIIIè siècle.
— Ah, oui. Disons qu’il nous est arrivé un truc assez bizarre, dans une soirée-traquenard, dont on ne s’est tiré qu’avec l’aide de Liang, mais nos fringues avaient disparu, parce queee…’’ bafouille Mike. ‘’Tom, tu peux expliquer, tu te souviens de plus que moi, et ça paraitra surement moins bizarre si tu le fais, toi’’.

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