Chapitre 43 : C'est vraiment pas le moment de rigoler, Alexis (lelivredejérémie)

9 minutes de lecture

Alexis semble parfaitement à l’aise dans ce monde, montrant une assurance encore supérieure à celle qu’il a déjà montrée dans des situations encore plus tendues que son dos, en ce moment, alors qu’il parle avec une dame au chignon sévère… Tom se la joue plus discret, en sage zen, apparemment indifférent, bien que je soupçonne son attention particulièrement éveillée ! Quant à Mike, il compte, clairement avec succès, sur les sentiments que sa carrure éveille chez gens qu’il croise, le désir des femmes, et l’admiration jalouse des hommes, probablement partagés, qui sait ?

Que me reste-t-il, alors ? Ma discrétion naturelle, en mode wallflower, limite invisible, comme le personnage du Monde de Charlie, qui m’a plutôt réussi jusque-là…

Sauf que ça, il faut le dire vite, je suis juste un pingouin, comme Alexis a décrit notre Musclor, bien qu’en version fluette, mais voilà, le costume noir et le nœud pap’, ajouté à mon air emprunté…

— Sag, Junge, nimm das Tablett und schenke die Getränke aus’’ me crache un maître d’hôtel, en portant le regard vers le bar, où un plateau de flûtes de champagne m’attend visiblement.

Moi ? Ah ben oui, pourquoi pas, en fait ? S’il n’a même pas capté que je ne fais pas partie de son staff, je peux bien jouer au serveur, les invités ne me remarqueront même pas, ni probablement les Men in Black que je vois partout.

Dont le binôme d’abrutis qui gardaient l’hacienda de Carmen de Arejo, positionnés devant l’estrade, et dont l’échec de la mission n’a pas signifié l’élimination plus ou moins définitive, ce qui tendrait à imaginer que leurs forces sont finalement limitées, c’est plutôt bon signe…

C’est le moment d’être inhabituellement audacieux, mon petit Jérémie, me dis-je.

— Möchten Sie etwas trinken? leur proposé-je.

— Estamos de servicio, chico ! dit le barbu chèvrophile, m’ignorant ensuite, pour ajouter à l’intention de son collègue ‘'La niña está bien preparada para su discurso, piensas ?’’

Sans comprendre autant d’espagnol qu’Alexis, je capte immédiatement que Céline sera bien présente, et qu’il s’inquiète de ce qu’elle sera prête à prononcer son discours.

Que veut-il dire ? Elle est ambassadrice des Nations Réunies, et parfaitement habituée à cet exercice ! À moins que… Eh ! Mais non, prête, c’est ‘lista’, il a dit préparée, là ! Tout se bouscule dans mon esprit, Céline est bien présente, mais pas libre de ses mouvements, sans quoi elle nous aurait contactés depuis le rendez-vous manqué sur la colline.

Prévenir les autres, vite ! Mais Alexis est toujours en grande conversation … Mike est à fond dans la sienne avec une troupe de filles clairement obnubilées par les muscles qui gonflent son smoking… Reste Tom, à l’aise dans ce monde, malgré qu’il maintienne une certaine distance méfiante.

Je me dirige vers lui, ignorant les mains tendues vers mon plateau.

— Voulez-vous une boisson ? lui murmuré-je. ‘’Ou, à défaut, une information ?’’

— Plutôt la seconde proposition, dit Tom, soulevant le verre rempli qu’il tient déjà.

Je lui répète le bout de conversation que j’ai capté. ‘’Mais qu’entendent-ils dire par préparée ? À quoi ?’’

— À tenir un discours très différent, sinon à l’opposé absolu de ses idées, j’imagine, souffle-t-il. ‘’Nous devons nous concerter, mais où sont Mike et Alexis ?’’

— Notre mentaliste est par là, il discute avec une femme qu’il semble connaitre, quant à Musclor, il parle avec trois filles qui boivent ses paroles, juste là… Ah ben non, ils ont disparu, mais où ?

— Sachant ce que nous savons de lui, j’ai bien une idée, dit Tom. ‘’Mais trois d’un coup, même pour lui, c’est impressionnant… Oh ! Non, ils se sont juste rapprochés du bar, j’ai été injustement médisant. Note qu’il aurait apprécié de m’entendre. Récupérons déjà Alexis, quitte à interrompre sa…’’

— Inutile, ma conversation est terminée à ma plus grande satisfaction, mais juste personnelle, pour le coup ! claque le garçon, en se matérialisant derrière lui. ‘’Après une autre qui concerne Céline, avec des journalistes qui m’ont expliqué qu’elle est déjà arrivée, accompagnée d’une escorte tout ce qu’il y a de plus normale vu son statut, ainsi que ton nouvel ami, Tom, ce… Karl, mais séparément. Je me demande quel rôle il tient, lui’’.

À mon tour, je lui répète le dialogue des Men in Black.

— Hmmm… Elle n’est pas aussi libre qu’ils ne veulent le laisser paraitre. Nous devons trouver le moyen de fouiller le bâtiment et… Dis, qu’est-ce que tu fous avec ce plateau, en fait ?

— Une sorte de maître d’hôtel m’a pris pour un extra, avec ce costume noir. Après, ça m’a permis de circuler, personne ne remarque ni ne se méfie du petit personnel.

— Le costume, et ton air innocent, suggère Tom, malicieux.

— Qui n’empêchera jamais, ailleurs ou ici, dix certains pourcents de la population mâle de le faire, ne te retourne pas, un vieux pervers est en train de te bouffer du regard, souffle Alexis, bien inutilement, vu que je me suis directement figé. ‘’Du calme, ta vertu ne risque rien dans cette foule de tes admirateurs… Que nous devons malheureusement quitter, allons chercher Céline, ou à défaut ce Karl, qui nous amènera forcément à elle, ton apparence et ton job supposé justifieront que nous trainions dans les coulisses du Parlement’’.

Je leur dis avoir remarqué que le ravitaillement du bar et du buffet sort des portes bidirectionnelles au fond de l’immense salle.

— Bien observé, ce doit être l’accès aux cuisines, et surtout aux locaux d’entreposage, idéaux pour y placer une personne sous bonne garde à l’abri des regards. Distribue les flûtes mais conserve le plateau, il fait partie de ton déguisement, et vide, il justifiera que tu viennes chercher la demande particulière de l’invité aussi important qu’exigeant que je suis. L’échange assez jouissif avec une ancienne prof de droit m’a mis en forme, je suis prêt à aboyer à la figure du premier qui oserait une remarque sur notre présence. Tom, essaie de trouver Mike et furetez de votre côté, veux-tu ?’’ ajoute-t-il d’une voix soudain adoucie, et avec un regard qui ne l’est pas moins, avant de se reprendre ‘’Enfin, bon, tu sauves Mike des griffes de ces femelles, quant à nous… Eh bien, allons-y, jeune homme, démenez-vous, un peu d’initiative, diantre !’’

Il s’amuse décidément beaucoup, et se glisse parfaitement dans le rôle, prenant un air hautain qui fait tout à fait illusion, il est presque glaçant.

En nous éloignant, je jette un regard par-dessus mon épaule, pour voir que Tom a repéré notre quatrième Fantastique, avant de réaliser qu’il est immédiatement interpelé par un inconnu, mais ils se serrent la main chaleureusement. Ouf, pas de danger.

À peine a-t-il poussé les portes battantes, trainant à sa suite mon personnage de petit extra à l’air inquiet qu’il a réquisitionné, nous croisons le maitre d’hôtel qui m’avait mis le plateau dans les mains.

— Der Zugang zu Diensträumen ist dem Personal vorbehalten, Meinherr, ich bitte Sie...

— Et moi, je vous demande de me parler en français, c’est la langue officielle des Nations Réunies ! Je suis l’attaché culturel de l’ambassade de la République Française, son Excellence l’ambassadeur exige une bouteille d’eau Vichy Célestin et rien d’autre ! Ne me dites pas que c’est impossible à trouver dans cette baraque !

— Ah, ja, genau… Je veux dire, oui, je vais… euh… essayer de vous trouver…

— Inutile, j’ai jeté mon dévolu sur ce charmant garçon, dont j’attends peut-être ensuite un autre service, plus personnel, glisse Alexis, me jetant un regard légèrement pétillant de lubricité en passant la pointe de sa langue entre ses lèvres. ‘’J’imagine que vous n’avez rien à redire à cela, vous ne voulez pas provoquer un incident diplomatique, n’est-ce pas…’’

— Non, bien sûr que non, je… Vous avez raison, il est tout à fait délicieux, Monsieur… Und du, Junge, stell sicher, dass du die Erwartungen von Herr Kulturattaché voll und ganz erfüllen, murmure d’un ton complice le veule personnage, désormais entièrement acquis à l’idée de mettre son personnel à la disposition des envies peu avouables d’un invité de marque. ‘’Viel Spass’’, ajoute-t-il avec un sourire aussi servile que pervers.

— Spass, c'est s'amuser, non ? Il a dit ce que j'imagine ? a murmuré Alexis alors que le mec s’éloigne.

— Euh, oui, au propre et au figuré, puis au moins propre...

— Quel panier de crabes, les Nations Réunies, après le vieux cochon dans la grande salle, en gros, ton chef vient de te mettre un moment à la merci de l’appétit sexuel déviant du premier diplomate venu, quoi ? Qu’est-ce que tu dis de ça ?’’ glisse-t-il, sarcastique.

— Que ce moment serait probablement plus agréable avec Monsieur l’attaché culturel, soufflé-je avec un coin de bouche relevé. ‘’Sinon… charmant et délicieux ? C’est agréable à entendre.’’

— Tu t’en doutes déjà, je pense, mais c’est juste un avis objectif, hein ! dit-il soudain sérieux. ‘’Et j’ajouterais peut-être légèrement trop candide, ce dont certains, moins respectueux, pourraient vouloir profiter, si ce n’est pas déjà arrivé trop souvent, mais bon… Viens, cherchons une trace de Céline.’’

Pour évacuer mon embarras, je détourne la conversation en lui faisant remarquer que nous sommes encore trop proches de la salle de réception, et qu’il est peu probable qu’ils détiennent Céline ici, avec le monde qui y grouille.

— Tu as raison, ils préféreront un endroit tranquille, enfonçons-nous plus loin dans le bâtiment. À moins que… Là, l’accès aux sous-sols, c’est ce que je choisirais, à leur place.

— Alexis, le maître d’hôtel… il nous suit de loin.

— Eh flûte ! Soit, on doit s’en débarrasser, plan d’urgence’’ murmure-t-il avant de me presser contre le mur, une main posée sur ma nuque et l’autre à l’intérieur de ma cuisse. ‘’Fais semblant de recevoir un baiser, puis de remarquer sa présence et de me la signaler.’’

Après quelques secondes, je lui tapote l’épaule et fais semblant de glisser quelques mots à son oreille, lui faisant tourner la tête vers l’importun. ‘’Je peux vous aider, mon vieux ? Il n’y a pas moyen d’être tranquille ? Voulez-vous vraiment que mon ambassade dépose une plainte officielle au sujet de votre attitude déplacée ?’’ crie-t-il à l’attention du voyeur. ‘’Et voilà, bon débarras… Je commence à prendre goût au pouvoir, et à me dire que j’en abuserais probablement… Tu dis ?’’

— Ta main, enfin, tes mains, c’est bon, il a disparu, là.

— Hmmm… Tu es terriblement réactif, Jérémie, à moins que tu aies un Mars en poche ?

— Mais non ! C’est mon portable, je ne… Oh, tu te moques encore, j’ai compris.

— Mouais… C’est peut-être une idée intéressante, les tatouages, j’insiste pour être présent lorsque l’artiste posera la main sur ta peau. Tu as choisi un modèle ? Et surtout l’endroit ?

— Pas question, grogné-je, en me dirigeant d’un pas que je voudrais plus assuré vers la volée d’escalier qui mène à l’étage inférieur.

— Indubitablement plus calme par ici, en effet, mais également immense, un véritable dédale, dit-il, alors que nous avançons jusqu’à un croisement, où nous apercevons, au loin dans le couloir latéral, deux Men in Black se rapprocher, ce qui nous fait reculer. ‘’Oh-hooo ! Alors, on se refait la scène ou… Tu n’y tiens pas trop, je vois. Cachons-nous là’’ dit-il, en tirant une porte épaisse pour me pousser dans ce qui s’avère être un frigo de près de vingt mètres carrés, et de nous y renfermer.

— C’était peut-être pas nécessaire, ça’’ gémis-je.

— Ne panique pas, ces chambres frigorifiques sont dotées d’un mécanisme d’ouverture à l’intérieur, trop de petits commis de cuisine à la recherche d’un endroit discret ont été retrouvés congelés après plusieurs jours… D’abord trouver l’éclairage, voilà, et on n’a plus qu’à… Non mais dis-moi que c’est pas vrai ! Il doit y avoir vingt de ces salles et on a choisi celle dont la serrure intérieure est cassée !

— Je ne panique pas, je ne panique pas… murmuré-je comme un mantra en activant mon portable ‘’Nooon ! On n’a pas de réseau, regarde, aucune barre, les parois sont trop épaisses… Je crois que je commence à paniquer, là’’.

— Tambourine sur la porte, quelqu’un finira bien par passer.

Après deux, ou trois minutes, comment dire ? des coups portés à l’extérieur ont répondu aux miens, et la porte s’est entrouverte sur une tête couverte d’une charlotte, et un regard d’abord méfiant, puis amusé alors qu’il se porte, par-dessus mon épaule, sur Alexis. Je me retourne sur lui, qui fait mine de refermer son pantalon, avec un sourire très satisfait.

— Haben Sie Spass gehabt, Knaben ? Heute raus, laufen Sie Weg.

— Vraiment ? C’est pourtant pas trop le moment de rigoler, Alexis, grogné-je, en fuyant aussi vite que possible le sourire moqueur de l’employée.

— Il fallait bien justifier notre présence, puis… oui, c’était amusant, j’avoue, souffle-t-il avec un sourire d’une oreille à l’autre.

Annotations

Vous aimez lire Fantafive ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0