Errance et seuil

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   Je déroule le rouleau de mon errance. Je visite en imagination toutes les maisons de ma vie.

La maison hantée par le gentil fantôme abandonné.

La maison prison.

Le château submergé dans sa boucle de fleuve, comme une barque qui prend l’eau.

Ensuite la chambre des débuts,

La chambre à la fenêtre murée de gris,

La chambre des faux départs et de l’éventrement, et mon âme renversée,

Et puis la chambre lumière et liberté.

   Aujourd’hui, j’ai ouvert la porte d’une chambre d’interdits et de poussière. Quatre murs provisoires, des fenêtres qu’on ne peut pas ouvrir, un tapis dévoré, qui continueront d’exister après moi, sans moi. Ici, même le bruit est silencieux, solitaire. Rien ne change mais je ne reconnais rien : je m’enfuis chaque jour de ma vie vers un refuge sans failles où me glisser et oublier la peur qui surgit dans les nuits trop silencieuses. Quand arriverais-je à la maison indestructible ? Alors je pense à tous mes lieux habités, déjà étrangers. A ma vie en sursis.

   Mais je rêve de chambre bibliothèque, de maison en forêt, de palais solide comme le diamant. J’ai besoin d’habiter, d’habiter une maison indestructible, ineffaçable, irremplaçable. Je ne veux pas d’une maison parfaite, luxueuse ou impressionnante, qui arrache au voisin ou au visiteur des mots d’admiration, parce que je ne veux rien arracher. Je ne veux pas d’une pelouse bien tondue, de murs bien droits. Tout ce que je veux, c’est une maison bien maison, où on peut respirer sans étouffer, sans rétrécir, sans s’amenuiser. Une maison à habiter. Un jardin vivant, des fondations solides, et beaucoup de ciel. Des édredons douillets, une douce lumière.


   C’est décidé.


   Je vais construire, avec le seul outil que j’ai trouvé dans ma poche, une maison de mots.


   Déjà, il me faut un seuil. Un bon seuil, pour la séparer du dehors. Alors voici.

   Devant la porte de ma maison de mots, je pose un paillasson. Quand j’y frotte mes chaussures, la boue s’effrite en petites boulettes remplies de graines de fleurs sauvages, et la fatigue de la journée s’évapore. La friction de mes pieds contre ce paillasson permet d’ébranler mes certitudes et mes préjugés : à l’intérieur, il n’y en a pas besoin. Dans une maison bien solide, on peut être fragile.

   Devant le paillasson, je trace trois petites marches. La première soulage mes épaules des regards qui y pèsent, la deuxième transforme la peur en papillons, et la troisième crie « Bienvenue ! ». Sur cette troisième marche, j’installe une porte bleue, avec une poignée ronde, sans clé. Elle saura faire entrer les mots, les images et les êtres dont j’aurais besoin, et garder les autres dehors.


   Je respire un peu. C’est fatigant de construire une maison de mots. Avant d’en rassembler assez pour bâtir les fondations, je rêve sur le seuil, devant ma porte bleue, la main sur la poignée dorée. Déjà chez moi.

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