Le jardin

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   Je soigne, autour de ma maison de mots, un jardin. Entre les haies d’aubépine qui le protègent contre les intrus, c’est le bazar ! Je suis la seule à en connaître les recoins et les secrets. Quand je le fais visiter, je ne montre que les plus beaux arbustes, les fleurs presque parfaites, les arbres qui donnent beaucoup de fruits. Ils ne savent pas que sous les feuilles les plus basses, dans la pénombre, je laisse les pissenlits pousser comme ils veulent. C’est pour la santé du sol. De dehors, on peut croire que tout pousse bien droit, bien propre, mais dès qu’on entre, on comprend bien vite, je crois, que c’est ici que je cache tous mes trésors. Avec ceux qui le devinent, je partage un peu mes maigres richesses. Aux autres, je souris sans les yeux. J’ai appris à ne pas leur courir après : ceux-là ne font que passer.

   Parfois je laisse des amis y jeter des graines. Ils ne remarquent pas toujours que tout pousse et moi je remercie chaque trèfle apparu grâce à eux.

   Au bout d’une errance, je m’y couche, et j’y respire des pages et des pages de vent frais. Ca sent la bergamote et le soufre, car il ne pousse pas seulement des belles de nuit, dans mon jardin, mais aussi des volcans, que j’oublie toujours de ramoner.

   Quand je suis en colère, j’arrache les mauvaises herbes : « Je sais pas ! Je sais pas ! » et puis j’arrache ! j’arrache ! Ça fait des ratures barbelées, mais je les arrache aussi, les foutues ratures barbelées ! Et dans les creux je glisse les coquelicots des amis.

   Et puis je me calme, et je dis à mes victimes, même déchiquetées : « vous êtes jolies. ».

   Mon jardin n’est pas le plus grand, ni le plus maîtrisé, ni le plus beau sans doute, mais j’y cours, et j’y danse, et, toute ridicule, j’y parle à tout va ! Je tresse les pissenlits pour en faire des couronnes sans autorité parce qu’il y a quelque chose dans le pissenlit qu’il n’y a pas dans le roi, quelque chose qui rayonne et qui n’est pas l’image du soleil : même déraciné, il ne saigne pas.

 Tout mon jardin est un arrachement qui s’enracine. Ça flotte et ça me suit, ça change de forme et de couleur, ça suit les saisons de mon cerveau qui traîne son printemps en automne et son enfance en adultie.

   Et puis quand j’ai peur d’oublier, d’oublier qu’il y a un monde autour de ma maison de mots, d’oublier qu’il y a les autres et qu’après tout elle en dépend, je vais dans le jardins et, là, j’écoute les murmures et les cris qui tremblent de l’autre côté de la clôture. Si c’est de la musique, je plante des grelots pour l’accompagner. Si ce sont des bombes, je plante des citrouilles avec l’espoir d’un demain. Je compte les amis sur les pétales d’une marguerite que je dépèce en phrases. Ça me fait sourire.

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