Prélude - 1.3

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À travers les épais nuages, Ilias tentait de trouver les autres navires de la formation. Mais la mélasse ambiante semblait avaler la moindre chose, quelle qu’elle soit. Derrière les épais verres de ses lunettes, l'image du monde qu’il voyait était trouble. L’impérial s’accrochait comme une tique au moindre soutien, la chasse était une vraie folie. Surtout dans ces conditions. Toutefois, il souriait malgré la réalité de sa pensée.

— Stable au poste de chasse !

Le quartier-maître remuait ses hommes. Son ordre se perdait dans les cris du vent, mais ses prospecteurs se mettaient en ordre de combat autour de l'arme. D’une main, Ilias tenait l’arc d’acier du scorpion. Le loup des nues était au loin, les autres navires aussi, mais aucun signe de leur part.

Ce fut une première lueur qui capta le regard de l’impérial, puis une autre qui perçait les sombres nuages turbulents. Les lampes à pétrole accrochées aux cheminées et cordages du loup des nues se dévoilaient à mesure que l’Aurora réduisait la distance avec le navire de tête.

De l’autre côté du scorpion, l’ancien avait pris place, surprenamment à l'aise ainsi dans son élément. Il dévisageait Ilias, avachi pour garder l’équilibre tel un nouveau-né tentant de s’adapter à un monde jusque-là inconnu. Ça viendra, semblait-il murmurer. Ça viendra…

L’impérial fut ensuite surpris lorsqu'un grondement surgit soudainement au-dessus de lui. Ilias leva d’un coup sa tête et aperçut la masse grise d’un autre navire passer tout proche du sien en les dominant de sa masse d’acier. Il retenait de sa main libre la capuche sur sa tête qui ne demandait qu'à s'enlever avec le passage de ce bâtiment. Les prédateurs des cieux se pressaient pour rejoindre leur zone de chasse. Les lampes accrochées aux cheminées et aux cordages montraient la direction à suivre à la meute de navires qui se livraient presque à une course.

Les bâtiments des prospecteurs se suivaient en formant une flottille éparse dont les navires adoptaient des formes ou tailles différentes.

Par instinct, et simplement par peur, Ilias maintenait toujours sa main sur le mousqueton et la branlante rambarde du poste de tir. Il semblait être plongé dans un monde unique, un autre lieu que la Céresse qu’il avait l’habitude de connaître. Les nuages composaient un univers marin intimidant qui rendait plus que modeste l’impérial.

La traque se poursuivit pendant quelques heures. Les navires voguaient et perçaient la brume. Un calme avait pris après l’excitation de la plongée et le début de la chasse. Seul le vent s'exprimait à présent. La pluie continuait de harasser Ilias qui commençait à avoir froid à force d'être immobile, son manteau tout ruisselant d’eau.

Les têtes ne cessaient de tourner, chacun cherchait la moindre bête du regard. Les Tärätosc continuaient de se soustraire à la cupide vision des prospecteurs.

En un instant, la torpeur qui avait furtivement pris chacun les marins fut brisée par un bruit lointain et animal.

— Ils sont là ! exulta le quartier-maître.

Tous observèrent la direction pointée du doigt par le supérieur du poste. Il avait cet air vainqueur qui se propagea à ses hommes. Les grondements des cétacés se faisaient ensuite de plus en plus nombreux. De plus en plus puissants.

Quand l’Aurora perça un nuage particulièrement sombre à la suite du Loup des nues, le navire fit son apparition dans une zone plus clairsemée en termes de brumes. Et c'est là que le regard d’Ilias se posa enfin sur les plus imposants occupants de Céresse.

Les Tärätosc se révélèrent aux équipages des intercepteurs dans toute leur imposante splendeur. Les bêtes à la peau grise ou noire voguaient en banc serré dans le ciel. Leur longueur de plusieurs centaines de mètres formait comme des taches dans le ciel se mêlant avec les nuages pour se substituer à eux. Leurs petits yeux étaient surréalistes par rapport à leur bouche démesurée capable d'avaler jusqu'au plus grand navire présent.

Certaines bêtes qui ouvraient leur gosier laissaient d’énormes dents blanches faire leur apparition. Si le faciès poilu des créatures avait de quoi être surprenant, le reste de leurs corps l'était tout autant. Leur dos laissait entrevoir, pour les plus anciens, leur longue colonne vertébrale. Il y avait d'ailleurs une faune qui avait trouvé refuge sur l’échine des Tärätosc. Les oiseaux qui tournaient autour d’eux reposaient également dans les plis de peau pour échapper à la tempête.

Les Tärätosc avaient ensuite comme de nombreux appendices qui couraient vers la fin de leur long corps en flottant aux vents.

Les impressionnants animaux grondèrent de plus belle à la vue des navires qui s’approchaient de leur domaine. Le loup des nues fut le premier à plonger en leur direction. Ilias manqua de tomber lorsque l’Aurora vira soudainement, le bâtiment fit une embardée pour emprunter la même course que le navire de tête.

La flottille d’intercepteurs passait à l’attaque.

La cloche du navire sonna à nouveau. Son rythme rapide et frénétique annonçait les notes du branle-bas de combat. Le bruit se répétait sur les navires proches.

À mi-chemin des puissantes bêtes qui observèrent avec méfiance ces intrus d’aciers, des fusées furent tirées des navires. Les projectiles s’envolaient autour des Tärätosc en laissant dans les airs de longues traînées de fumée rouges. Les nombreux projectiles éclairaient le ciel en agressant les créatures des cieux de leurs vives lumières.

La formation compacte semblait au début hermétique aux navires bourdonnant tout autour d’eux ou les fusées qui fendaient l’air.

— On dirait que la bête a été choisie ! cria cette fois le quartier-maître.

Ilias pouvait voir les projectiles entourer l’un des plus petits cétacés.

Les grondements des Tärätosc se faisaient agressifs. Mais la couleur et le bruit des trop nombreux projectiles brisaient leur rang compact. La cible, harassée par une nuée de fusées, se trouvait lentement forcée de quitter la sécurité de ses pairs. Ilias serait les dents, son navire venait de passer à côté des excroissances de la bête. Le navire plus robuste qu’il n’en paraissait venait de voguer proche de la bête avec une agilité qui aurait brisé en deux une plus frêle embarcation.

Puis le bruit des scorpions survint.

Les intercepteurs tournèrent autour du jeune Tärätosc avec rapidité. Tel un essaim de guêpes en le harcelant sans relâche. Les fusées furent ainsi bien vite remplacées par les harpons qui lardèrent les flancs de la bête.

Un complexe jeu avait pris entre les navires et les grands Tärätosc. Une partie de la flottille continuait de tenir éloigner le banc de leur fusée tandis que les autres déviaient le jeune animal en l'affaiblissant. L’Aurora luttait également, ses scorpions décochèrent leurs tranchants projectiles, bientôt imités par le poste deux quand le quartier-maître fit enfin signe à ses hommes.

— FEU ! s’écria-t-il.

En un instant, l’arc de l’arme fit coulisser la corde pour libérer le long projectile qui vint se ficher dans le cuir épais de l’animal. L’empressement posséda bientôt les hommes entourant Ilias. Après le froid glacial, ce fut une bouffée de chaleur qui le prit. Le scorpion était réarmé en toute vitesse avant de voir son second harpon rejoindre la collection de projectiles qui ponctuait le corps du jeune Tärätosc.

Ilias se contenta d’imiter l’ancien. Il était le presque reflet des gestes précis et connus de son aîné. Ses tremblements habituels ne semblaient nullement le gêner à présent, l'habitude dictait chacune de ses actions. Ilias tentait de garder la cadence qui lui était imposée.

L'attention de l’impérial fut cependant arrachée à sa tâche lorsqu’il entendit un bruit sourd résonner dans le ciel. Proche de l’Aurora, un navire qui avait fait preuve d’une trop grande témérité en s’étant rapproché côte à côte avec la bête venait de recevoir un coup de nageoire qu’il l’envoyait virevolter dans les airs.

Certains marins avaient d’ailleurs été arrachés au bâtiment. Ils chutaient en laissant leurs cris résonner dans le ciel, ils disparaissaient à jamais avaler par les nuages de Céresse. Ilias était saisi par ce moment, une boule au ventre. Ça aurait très bien pu être lui à leur place, séparer de l’Aurora dans une chute infinie vers sa propre mort.

Il secoua la tête pour garder son esprit clair et concentré.

Le Tärätosc avait d’un coup sec imprimé son corps sur la coque déformée du navire. L’acier s’était déformé comme une simple feuille de papier. La bête même affaiblie restait dangereuse et le navire qui avait pêché par orgueil s'éloignait lentement. Ses cheminées tordues crachotaient de pitoyables petites bouffées noires.

Plusieurs autres navires furent marqués par la colère de la bête chassée.

— HO merde ! s’écria l’un des membres du poste de tir.

L’Aurora qui passait à son tour à côté du corps du Tärätosc manqua de peu les appendices de la bête qui brassèrent l’air autour du navire. Les vrombissements énervés de l’animal se réverbéraient dans les navires. Les oreilles d’Ilias percevaient un acouphène. Mais il ne pouvait pas, tout comme ses camarades, ralentir la cadence.

Les minutes semblaient se transformer en heure. Les harpons ne cessaient d'être décochés par les armes des navires et le cuir du Tärätosc devenait maculé de pourpre. Certains projectiles se contentaient de percer la peau de l’animal tandis que d’autres agrémentés maintenant d’explosif, illuminaient le flanc de la bête. Ses cris dominaient chaque bruit.

Puis un son de sifflet balaya les navires.

De nombreux marins sortirent des cales en tirant de longues chaînes d’aciers.

— Le Tärätosc faiblit, il est temps de ferrer la bête, messieurs !

Les mots du second réveillèrent une vibrante mais courte ovation. Chacun était concentré.

Le Tärätosc changeait de comportement. Il était de plus en plus agressif. Il abandonnait sa fuite pour tenir tête à ses agresseurs. Sa course chaotique dans les airs devenait des plus dangereuse pour les prospecteurs.

Le poste numéro deux comme ses confrères des flancs de l’Aurora changeait le projectile de son scorpion. Les harpons étaient cette fois reliés à de lourdes chaînes en fontes qui couraient sur le pont. Comme auparavant, les tirs reprirent.

Les projectiles laissèrent cette fois de longues chaînes dans leur sillage. Les attaches reliant les navires au jeune Tärätosc se multipliaient à mesure que sa force déclinait. L’animal ne pouvait faire grand-chose face à ce nouvel assaut. Les harpons précédents avaient émoussé sa combativité. Les chaînes se multipliaient dans le ciel.

Il ne fallut qu’une poignée de minutes pour réduire à néant le Tärätosc. La créature ne tenait dans les airs plus que par la force des navires fermement accrochés à son corps par la multitude de chaînes qui l’entourait. Les intercepteurs entouraient l'animal, leurs moteurs à plein régime grondaient de manière caverneuse dans les navires. Ils luttaient pour garder dans les airs la masse pesante que représentait le Tärätosc à leur entière merci.

Avec le temps, un semblant de calme gagnait les acteurs de cette lutte acharnée.

La curée allait commencer. Le gros-porteur ne devait pas être très loin derrière, attiré par l’odeur du sang qui planait maintenant dans l’air, l’affaire allait être conclue.

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