Neavia - 1.2

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Comme souvent, Druïg montra la voie à suivre. Il fut le premier à bouger, lentement et silencieusement, pour continuer son chemin dans la mangrove. Les quatre autres membres du clan lui emboîtèrent le pas. Ils n’étaient plus que des ombres supplémentaires dans le marécage. Leurs pas légers ne troublaient pas les autres habitants du marais.

Les heures se mirent à défiler. Dans un quasi-silence, les chasseurs se suivaient en une file éparse. Il ne leur fallait que des signes pour se comprendre. Neavia, dans le sillage de Druïg, observait chaque mouvement autour d’elle. Les actions du Nordrühn encore fraîches dans son esprit la forçaient à rester la plus discrète possible. Les navires des Impériaux continuaient de tourner au-dessus des chasseurs, mais au sol, rares étaient les rencontres. Parfois, quelques prospecteurs passaient non loin des membres du clan, mais il suffisait de patienter un peu pour les voir partir et s'enfoncer toujours plus dans le marais.

Avec le retour du calme, le froid se réveilla à nouveau dans le corps de Neavia. La chasseresse le sentait de plus en plus, les battements calmes de son cœur avaient laissé ses membres s’engourdir. Ses doigts seraient sans grands succès le long corps en bois de son fusil.

Neavia ne sentait même plus ses pieds dans la glaciale eau du marais. Ses dents claquaient. Le froid se trouva être un adversaire suffisamment coriace pour la chasseresse qui ne regretta pas les prospecteurs de plus en plus rares. La fatigue de ses récentes journées, de cette interminable fuite, commençait à peser de plus en plus lourdement sur la chasseresse.

L’esprit de Neavia s’émoussait, mais ce n’était pas le cas de tous les chasseurs du groupe.

En un geste soudain et rapide, Druïg leva son bras. Il fallut un battement de cils pour voir chacun des chasseurs se stopper. Neavia se plaque contre les racines épaisses d’un arbre en refrénant un grognement lorsqu’elle sentit une glaciale goutte d’eau gicler dans son cou. Elle avait son regard accroché sur son camarade qui ouvrait la marche.

Puis comme si de rien n'était, Druïg reprit simplement son avancée. Les membres de son clan à sa suite comme de mimes de ses moindres gestes.

Peu furent les découvertes ou rencontres durant le reste du périple pour le petit groupe de survivants.

Quelques étranges habitants du marais passèrent près des chasseurs, mais rien d’aussi dangereux qu’un Nordrühn ne se porta au contact des survivants. Proche d’un grand arbre creux ou une araignée aussi grosse qu’on poing avait pris quartier, Neavia put observer un spectacle étonnant.

Un vif halo de lumière jaune bougeait sous le couvert de la solide écorce. Ces lueurs éclairaient le bois et sa surface d’un marron sombre. Des lucioles virevoltaient dans les airs de manière tout innocente. Elles allaient et venaient en créant cet espace lumineux, ce fanal jaune dans le sombre domaine qu’était la mangrove.

Neavia s’était, sans s’en rendre compte, fait capturer par ce fascinant spectacle. Elle observait les lucioles et quand la chasseresse qui emboîtait les pas de Druïg s’approcha de l’arbre elle vit les lucioles voler de plus en plus proche d’elle. Leurs petits bourdonnements laissaient une joie enfantine envahir la chasseresse. L’une de ces petites créatures eut le courage de venir se poser sur la main qu’avait tendue Neavia.

La chasseresse eut un profond sentiment de plaisir en observant un tel spectacle, mais surtout, elle fut captivée par la vue de la luciole qui s'avançait jusqu'à elle. Neavia oublia presque le lieu où elle se trouvait, les conditions difficiles qu’elle affrontait.

Le spectacle aussi bon qu’il soit ne dura pas et en un instant la luciole, tout comme ses comparses, retourna bourdonner vers la sécurité de leur arbre et foyer. Un oiseau bien étrange venait de se nicher sur l’une des branches défraîchies bordant la tranchée qui balafrait l’écorce. Juste au-dessus de la demeure des lucioles. Son piaillement aigu avait de quoi effrayé. Les plumes grises et blanches ainsi que le long cou de l’oiseau ne pouvaient laisser de doute quant à son identité. Le Corbillat observait de ses petits yeux noirs en forme de billes les chasseurs, son gazouillement qui suivit intimait aux étrangers de quitter les lieux. Ce qu’ils firent.

Cette parenthèse dans la nuit fut vite laissée derrière. Cela s'avérait être une simple distraction face à ce qui se présenta ensuite. Le triste tableau qu'ils découvraient étaient une chose à laquelle ils étaient déjà trop habitués.

Les changements s’annoncèrent d’abord par un air ambiant bien différent de celui qui régnait dans le reste du marais. Le vent charriait une pestilence doublée d'une sensation d’acide. De fer qui se répandait dans la bouche de la chasseresse, sa gorge commençait à être douloureuse. Elle reconnaissait ces réactions.

Le premier signe physique de la métamorphose du marécage se fit par la dépouille que charriait l’eau. Le léger courant avait amené un animal en piteux état, couché à la surface de l’eau. La partie visible de son corps se trouvait parcourue par de grosses parties de chair manquantes ou les traces de mâchoires des prédateurs étaient encore visibles. Mais ce détail n’était pas le plus inquiétant. Loin de là. La tête de la bête se voyait striée par des veines qui ressortaient en arborant une couleur noire bien effrayante. Ses yeux d’un blanc livide laissaient également un liquide verdâtre s'écouler.

— Eht Vhäes Madraghös ( Que ton esprit soit en paix).

Le chasseur prénommé Natho étant le plus proche de l'animal, il venait de prononcer ces quelques mots dans la langue sacrée des Magïuş et Keşic afin d’honorer l'animal décédé. Il avait cependant bien pris soin de rester éloigner du corps en le déviant de la crosse de son fusil.

Tous connaissaient ce signe annonciateur de malheur.

Le marais montra ainsi ses cicatrices au petit groupe de chasseurs.

Après d’épais arbres et arbustes, l’obscurité de la mangrove se trouva brisée et éclairée d’une étrange couleur verte fluorescente, des vapeurs et excroissances comparables à des mutations prenaient cet espace de mort. Les écorces marron se voyaient fusionnées à de bien étranges racines noires. Le tout mutait contre nature en formant des amalgames discordants.

Des champignons et autres substances visqueuses coulaient le long de cette union entre nature morte et excroissances maladives. La couleur n’avait rien à envier aux lampes des impériaux ou aux lucioles rencontrées plus en amont.

Plusieurs autres dépouilles marquaient ainsi l'endroit où le marais était malade. Divers corps de créatures toutes mortes et couverts par les stigmates d’une maladie invisible mettant en garde les arrivants. C’étaient là les traces de la destruction de l’ancien monde et des périls légués par les dangereuses générations d’ancêtres.

Druïg à cette vision d’horreur s’empressa de mettre le masque attaché à sa ceinture pour se protéger, ce que fit également chacun des chasseurs.

Les mains engourdies de Neavia tâtonnèrent ses hanches et agrippèrent les attaches de cuir de son masque impérial.

Les conditions étaient de plus en plus difficiles. Neavia, gelée, luttait maintenant contre sa propre peur face au mal invisible de l’ancien monde, ainsi qu'à sa respiration handicapée par la protection faciale qui la gardait du même sort que celui qui avait pris tant d'animaux.

Le froid et sa précipitation soudaine, pour mettre sa protection faciale, laissèrent Neavia respirer hâtivement et bruyamment. Une fois derrière son masque, elle pouvait entendre ses inhalations en un son fort et rauque. Les verres troubles de son masque se remplissaient de buée à chaque bouffée d’air qu’elle prenait.

La chasseresse se trouva ainsi handicapée pendant ses premiers pas, elle suivait tant bien que mal la forme qu’elle reconnaissait être comme celle de Druïg et l’observait entre chacune de ses respirations. Le calvaire dans la partie mutée du marais se poursuivit dans le silence le plus absolu, non pas seulement de la part des chasseurs, mais de la mangrove elle-même.

Il n’y avait nul animal en vie, nul bruit et bien sûr nulle vie autour des cinq formes qui progressaient.

Aucun chasseur ne pensa à prendre la parole, non pas seulement à cause des protections qui entravaient chacun d’eux, mais également par peur et respect pour le lieu où ils étaient. Les esprits devaient s’agiter dans les ombres, la mort et les afflictions qui tourmentaient Céresse depuis la chute d'antan encore bien présentes.

Neavia se tenait à la lisière du monde, de la réalité. Elle sentait comme la présence d'être invisible, mais pourtant bien là. De regards qui se portaient sur elle. L'abîme se trouvait à porter et la chair de poule de Neavia n’était plus uniquement due au froid.

La chasseresse tenta d'occulter tout cela dans son esprit, mais le décorum ambiant revêtait une forme saisissante et inoubliable. Elle connut alors un sentiment de soulagement quand la nature vigoureuse de Céresse reprit entièrement place face à elle.

Par simple sécurité, elle continua, tout comme ses frères et sœurs de chasse, de porter son masque.

Ehtes Vhäes Madraghös ( Que vos esprits soit en paix), chuchota la chasseresse une fois libérée du poids de la mort et des esprits tourmentés*.

*

Corbillat : Espèce d'oiseau nocturne préférant les biomes humides et froids. Le mâle et la femelle sont presque identiques, avec une couronne, des ailes, et une queue de couleur grise. La gorge, elle, arbore la fameuse couleur blanche qui fait la renommée de cette espèce rare souvent comparer aux teintes pures des lunes de Céresse.

Les esprits tourmentés : Les anomalies qui hantent les ruines du monde sont vectrices d’autant de mythes que de faits réels. À certains endroits, dans des lieux bien lugubres, le fil de la réalité et de l’intangible devient si fin que les esprits des morts sont reveillés. Que ceux disparus durant la grande chute ont leurs voix encore audibles qui résonnent avec clareté dans le présent.

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