Malden - 1.2

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La réponse de l’armée impériale, certes anecdotique, au vu du bombardement plus que léger qu’elle entamait, consola le temps d’un instant Malden. Le lieutenant quitta ensuite les distants nuages pour porter à nouveau son regard au sol.

La file de chenillards qui s’étendait en face de lui était des plus impressionnantes. Chacun arborait des traces de combats plus ou moins rafistolées. Ces cicatrices témoignaient de leurs récentes mésaventures, ils étaient simplement le triste reflet de leurs équipages.

Certaines de ces bêtes de somme grondaient, le poids de tous les bagages accrochés sur leurs toits ou leurs flancs pesait lourd. Ils étaient comme des navires de commerce bouffis de marchandises. Autour de la colonne, d’étranges créatures longilignes se mouvaient.

Les hussards patrouillaient les abords du convoi. Les agiles montures arpentaient le terrain accidenté autour des chenillards. Une route de fortune avait été créée par les véhicules de tête.

Au sol, il y avait un véritable tapis de branches et d’arbustes abattus. Ou encore des souches d’arbres encore fraîchement coupés. D’importants sillons sacrifiaient la terre avec le passage des pesants véhicules. Les montures des hussards, elles, laissaient des empreintes comparables à des pattes d’oiseaux.

Les cavaliers impériaux maniaient quant à eux leurs montures agiles avec une justesse et essence déconcertante. Les longues jambes d’aciers effilées se voyaient couvertes de pistons et d’engrenages en mimant les membres de certains volatiles du sud de Céresse.

Les hussards aux rênes de leurs engins n’avaient rien perdu de leur noblesse. Il gardait un visage de marbre, une moustache impeccable et leurs uniformes étaient des plus soignés malgré la situation. Ils portaient tous sur une de leurs épaules une pelisse à manche par-dessus leur fameux dolman.

Cette étrange coutume mettait en valeur la richesse de leurs tenues. Ces deux pièces d’habits se trouvaient brodées de tresses aux couleurs dorées tandis que la pelisse était doublée, elle, de fourrure. Ces uniformes nobles et bigarrés détonaient dans le décorum bleu terne de l’armée. Chacun avait d’ailleurs gardé son shako fermement vissé sur la tête. Leur unité, malgré les pertes, avait conservé toute sa rigueur.

L’infanterie se voyait par contre à l’image de sa dure tache. Personne n’était épargné et aucune tenue portée sur le chenillard de Malden n’était exempt de coupures ou saleté. La vue apaisante de la forêt qui entourait le lieutenant Devràn lui permit de reposer, de s’évader et d’oublier les idées noires qui l’assaillaient. Les heures filaient tandis que le lieutenant éprouvé par les afflictions de son corps restait immobile.

Les machines et les hommes passaient devant lui en un courant constant.

Ce fut l’un des hussards qui vint briser le repos de Malden en s’approchant du chenillard. Son long sabre et son revolver se trouvaient fermement accrochés à sa ceinture, il pilotait d’une main son destrier de fer. Ses hautes bottes montaient jusqu’à ses genoux. Mais le détail qui attira toute l’attention de Malden fut les attaches de l’engin orphelin de la moindre lance.

De sa main libre, le hussard, un officier au vu de ses épaulettes, salua les membres de la section sur le toit du chenillard.

— Messieurs, commença-t-il en activant un levier qui fit ralentir son destrier. Le lieutenant Devràn est-il là ?

Les soldats de Malden se regardèrent et Colm prit la parole avant que son officier ne le fasse.

— Il se pourrait bien, qu’est-ce que vous lui voulez ?

Le hussard avait adapté la vitesse de son engin et progressait dorénavant côte à côte avec le chenillard en dépassait d’une bonne taille ses occupants.

— Mon brave, je ne désire que lui transmettre les demandes du quartier général…

Sous son phrasé calme et soutenu, Malden voyait la colère qui le gagnait en ne parlant qu’à de simples fantassins. Le lieutenant Devràn ne pouvait en vouloir à ses hommes qui cherchaient à le protéger de leurs tons acerbes.

— Et quelles sont ces demandes ? répondit Malden en étant aidé à se lever.

L’estafette le salua en portant une main à sa coiffe militaire.

— Lieutenant, vous êtes attendus à la tête de la colonne. Le Général Kempfer a commencé à disposer son camp pour la nuit. Il a des ordres pour vous et vos hommes.

Malden pouvait voir l’agacement de ses soldats face à cette requête. Ne leur avait-on pas déjà demandé assez !?

— Merci, dit alors simplement Malden. Je vais m’y rendre de ce pas.

— Dans ce cas, je retourne moi-même au quartier général pour confirmer votre venue.

Le hussard activa les instruments de sa bête et partit en trombe pour cavaler le long de la colonne. Malden souffla un bon coup, cela n’annonçait rien de bon, il était à peine réveillé et vivant que ses supérieurs le convoquaient. Milo fut le premier à reprendre la parole :

— Encore rien de positif pour nous si vous voulez mon avis…

— J’en doute également Milo.

Deux soldats se tenaient aux côtés du lieutenant Devràn, guettant le moindre signe de faiblesse pour l’aider à rester debout.

— Je vais avoir besoin de second pour aller parler aux huiles. Colm…

— Aucun souci, laisser moi nous trouver un transport.

Le chef mécanicien au créneau du chenillard observait la foule de piétons ou de véhicules qui passaient aux côtés de leur grosse bête d’acier. Outre les machines des hussards, il y avait de petites chenillettes dotées de moteur capricieux qui avançaient leur faible surface emplie de caisses attachées de manière anarchique. On pouvait également apercevoir des cavaliers sur de robustes montures cette fois de chair et de sang. Ce fut l’un d’eux que siffla Colm.

L’homme guidait une ribambelle de chevaux exempts de tout cavalier. Il menait avec force sa bête, les reines des autres montures attachées à sa selle leur intimaient le chemin à suivre. Il approchait du flanc du chenillard en guidant son troupeau de bêtes en fixant Colm.

— Bonjour, lança Colm avec un ample signe de main.

— Bon, sûrement pas, répondit le soldat d’un air bougon. Qu’y a-t-il ?

Passant outre ce premier contact froid, le chef mécanicien poursuivit comme si de rien n’était.

— Mon lieutenant doit se rendre au quartier général au plus vite. Pouvons-nous chevaucher avec vous ?

La nouvelle qui semblait irriter l’homme plus qu’autre chose, au vu de la grimace qu’il tentait de dissimuler, accepta d’un hochement de tête.

— Montez donc, et vite. Je dois amener ses bêtes à nos éclaireurs, le camp est à mi-chemin. Ne me faites pas perdre plus de temps.

— À la bonne heure. Merci l’ami,

Colm aida Madlen à descendre du chenillard en utilisant la série de barreaux latéraux qui composaient l’échelle du véhicule. Le lieutenant bougea avec prudence, car les soutiens métalliques étaient glissants ainsi tous couvert de boue. Les chenilles aspergeaient de terre fraîche et mouillée la moindre chose proche d'elles. Le chef mécanicien échangea d’autres fausses amabilités pour attendrir le cavalier qui n’avait qu’une envie, presser les flancs de sa monture. Le soldat semblait pressé et hésitant à écouter Colm. Mais le géant faisait son effet.

Malden se hissa difficilement sur la selle de l’un des destriers. Colm qui l’avait aidé dans la manœuvre plaça les jambes de son lieutenant dans les étriers avant de sauter à son tour sur son propre cheval. D’un coup d’éperon, le soldat en charge des montures fit partir la sienne sans plus attendre bientôt suivis des autres bêtes tirées par leurs rênes.

La petite troupe composée de robustes chevaux remonta au trot la longue procession de blindés. Dans son état Malden ne pouvait marcher bien longtemps, même aidé par sa pesante ombre qu’était le chef mécanicien. Les deux furent plus qu’heureux de se faire conduire au camp. Chacun des mouvements du cheval imprimait toutefois un pic douloureux dans la colonne vertébrale de Malden. Il n’avait pas l’habitude de chevaucher, son état déplorable n’arrangeait pas la chose.

Malden observa la colonne défiler devant lui. Les visages des hommes silencieux se succédaient toujours plus et leur désespoir se lisait facilement. Combien avaient perdu des proches et amis, sûrement trop pour compter…

De nombreux chenillards de tous types composant les restes des brigades présentes. Le cavalier leur apprit durant ses rares réponses que diverses unités s’étaient greffées aux leurs et qu’un disparate corps d’armée s’était formé avec les survivants des différents groupes en déroute.

Malden comprenait bien l’état désespéré de leur situation. L’Empire trop imbu de ses forces avait délaissé depuis longtemps cette guerre et c’était les soldats qui allaient en payer le prix fort. Ou les colonies, mais en aucun cas les politiques qui utilisaient la guerre comme levier dans leurs manigances.

Les plus imposantes machines se trouvaient farouchement gardées par des soldats étonnamment appliqués à leur tâche. Les citernes qui prenaient la majeure partie de ces chenillards ne pouvaient tromper quant à leur rôle. Les engins transportaient le sang noir de l’Empire. Le pétrole nécessaire au bon fonctionnement de toute cette foule de véhicules.

Malden pouvait voir le regard pesant des gardiens et leurs mains dansées sur leur fusil ne demandaient qu’à être utilisées. Chacun était armé sur l’engin, le carburant se voyait rationner, car après tout si un véhicule venait à se trouver à court de pétrole c’était l’abandon pur et simple qui l’attendait. Et une longue marche pour les membres d’équipage jusqu’à Breddas.

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