Troisième voyage (14) — Jouons ensemble !

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24 octobre 200X

Hélène Prokletý

Non… Ce n’est pas normal.

  • Ja...Jahan ?

Quelque chose ne va pas chez moi.

  • Comment…

Je devrais être contente, mon ami est juste là. Et pourtant, j’ai l’impression d’être comme Emilie, je tremble sans m’arrêter. Ce n’est pas normal, je n’ai rien fait de mal, Jahan ne va pas me disputer, il le fait jamais. Alors, qu’est-ce que c’est ? Pourquoi j’ai peur comme ça ?!

  • Hélène, je suis content que tu n’ais rien. Tu es même venu me chercher… Merci.

Non, je dois être bizarre, ce n’est pas moi ! Mon ami… Jahan, il est devant moi ! C’est ce que je veux, je suis venue pour lui !

  • Jahan ! crié-je en prenant son corps déchiqueté dans mes bras.

Comment ai-je pu être aussi méchante ? Il a rien fait de mal. C’est mon ami, celui qui m’aime, le seul qui joue avec moi !

  • M-Moi aussi, je suis contente ! Je voulais te revoir, continué-je en pleurant.

C’est parce qu’il est tout moche maintenant ? Non, c’est faux. J’aime Jahan, peu importe s’il est cassé ou s’il pue, je l’aimerai toujours !

  • Dis, pourquoi t’es comme ça ? On t’a fait du mal ?!

Maman a arraché sa tête, ça, je le sais. Mais pourquoi est-il aussi cassé ? Il a du coton qui lui sort de partout, c’est comme s’il saignait !

  • Disons que c’est le voyage dans le camion poubelle, dit-il en bougeant ses pattes presque déchirées. Et puis, je devais partir avant les explosions.

Oh, mais oui, je les avais oubliées !

  • Tu les as entendu aussi ? Pourquoi elles étaient là ?!
  • Évidemment que je les ai entendues, puisqu’elles étaient pour moi.

Hein ? Mais non…

  • C’est faux !
  • Comment ça, c’est faux, Hélène ?
  • Les explosions, elles étaient pour Emilie. Il y a quelqu’un qui la cherche et elle a très peur.

Elle est même partie en me laissant toute seule…

  • Emilie ? Qui est-ce ? demande Jahan.
  • C’est une ébouleuse ! Elle m’a aidé à te retrouver, mais… Ensuite… Il y a eu un grand boum, et… Et Emilie est partie avant de transformer la pelouse.
  • La pelouse ? Tu veux dire ces pics sont des…. Hélène !

Je sursaute en l’entendant crier.

  • O-Oui ?!
  • Est-ce que tu as touché cette “Emilie” ?! Est-ce que tu étais proche d’elle ?!

Pourquoi il s’énerve comme ça ? Il me fait peur…

  • N-Non, dis-je en tremblant, elle n’a pas voulu que je le fasse. Je l’ai pas touché, je te le jure, j’ai pris que le bout de bois comme elle l’a demandé.
  • Ouf… Pour peu que j’ai cru qu’elle t’avait affectée toi aussi.

Ah, c’était pour ça, il était inquiet pour moi.

  • Affectée ? Par sa maladie ? On dit “contaminer” alors.
  • Sa maladie ?
  • Oui, c’est Emilie qui me l’a dit. Elle est malade alors elle doit toucher personne, sinon elle les contamine. Mais elle, elle va bien ! Alors c’est mieux si elle touche personne, même si elle aurait voulu faire des câlins à son amoureux.
  • Hélène, j’imagine que c’est une histoire très intéressante.
  • Oh oui ! J’ai bien aimé le début, mais la fin était triste...

La patte cassée de Jahan me caresse la joue.

  • Ne t’en fais pas, me dit-il avec une voix toute gentille, il y a moyen qu’on offre une jolie histoire à cette “Emilie”.
  • Ah bon ? Tu peux le faire, Jahan ? Mais tu es tout cassé !
  • Oui, je peux le faire, n’oublie pas que je suis magique. Et c’est pour ça que j’ai besoin de ton aide, nous devons voir “Emilie” tous les deux.

Mais oui, c’est vrai, il peut pas marcher ! Et puis, je dois trouver l’ébouleuse, je veux plus qu’elle soit triste toute seule, je veux la revoir !

  • Je veux retrouver Emilie avec toi !

Heureusement que Jahan est avec moi, car quand il est là, j’ai l’impression d’être plus forte. C’est comme si j’étais une héroïne !

  • Bien, sais-tu où elle est partie ? demande mon ami.
  • Oui, elle est allée dans la forêt à côté de la montagne de déchets, mais c’est tout. Tu penses qu’elle y est encore ?
  • J’en suis persuadé.
  • Comment tu le sais ?
  • Cette “Emilie” cherche à fuir quelqu’un. On est plus discret dans un bois que sur les bords plats de cette route, sauf qu’il y a un problème.
  • Quel problème ?
  • Il faudra être prudent, dit Jahan en me regardant avec sa tête arrachée. À cause de sa présence, la forêt ne sera plus la même. Tu devras être prudente et m’écouter. Nous ne devons pas perdre de temps aussi, il faut la trouver avant qu’il n’arrive.
  • C’est qui “il” ?

C’est comme le disait l’ébouleuse, elle disait qu’il s'appelait... Gretel ? Comme Hallefonce ? Mais il est plus là. Bouh… j’en ai marre de rien comprendre !

  • Un sorcier vraiment très méchant qui veut enlever ton “Emilie”, dit mon ami en souriant.

Je vois, c’était juste ça !

  • Alors allons-y ! On doit sauver l’ébouleuse !
  • Tu es une brave fille, Hélène. J’ai vraiment de la chance de t’avoir.

Wouhou, je suis contente ! Jahan a dit que j’étais “brave”, je crois que ça veut dire “courageuse”, non ? Comme les héroïnes de dessin-animés ! Par contre, pourquoi il parle de la chance ? Encore une phrase que je comprends pas. Bah, c’est pas grave ! Emilie doit être sauvée et c’est à nous de le faire !

 Je serre très fort mon ami dans les bras en évitant que sa tête tombe par terre. Je marche vers la forêt où est partie l’ébouleuse, sans oublier de faire attention aux voitures qui roulent vite. Les arbres sont très grands, je crois que ce sont des sapins vu qu’ils ont des aiguilles. Par contre, ils sont bizarres, ils sont pas très droits et deviennent violets. Leurs branches partent dans tous les sens, on dirait des bras de sorcière. C’est sûrement à cause de la maladie d’Emilie. Je me demande ce qui se serait passé si j’avais touché l’ébouleuse. Moi aussi, je me serais transformée ? Est-ce que ça fait mal ? Est-ce que l’on peut redevenir comme avant ?

  • Allons-y, Hélène, ne perdons pas de temps.

Je hoche la tête avant d’entrer dans la forêt.

 C’est vraiment bizarre. J’ai déjà été dans des bois avec l’école, et ce n’était pas du tout comme ça. Il y avait des oiseaux, des jolies fleurs, et il faisait beau. Alors que là, la terre est toute marron, sans petite plante. Le soleil est plus là, et puis… y a pas d'oiseaux. À la place, il y a un vent qui fait très peur, j’ai l’impression qu’il est en train de pleurer. Je n’aime pas cette forêt, je veux rentrer à la maison...

  • Hélène ? Il y a un problème ? demande mon ami.
  • O-Oui… Je veux rentrer, je veux pas venir ici !

Je n’arrête pas de trembler, j’ai peur, Maman…

  • Hélène, tout va bien, je suis avec toi.
  • Oui, mais… T’es tout cassé !

Si un monstre arrive, Jahan ne pourra pas me protéger, je vais être mangée !

  • Alors… tu veux abandonner Emilie ?
  • Non, je veux pas !
  • Dans ce cas, tu dois devenir courageuse. Elle aussi à peur, mais elle n’a personne pour la consoler.

Oh, mais oui. Moi, j’ai Jahan, mais l’ébouleuse n’a plus Hallefonce avec elle.

 J’inspire en faisant beaucoup de bruit, je continue de trembler. Je déglutis en avançant tout doucement. Tout va bien, je peux le faire !

  • Tu pourrais marcher plus vite, tu sais ?
  • Chut ! Je dois me concentrer pour pas avoir peur.
  • Si tu veux, mais tu sais où aller, n’est ce pas ?
  • Euh…

Zut ! Je sais pas du tout où est Emilie. Je tourne la tête dans tous les sens, je la vois pas !

  • Je m’en doutais, me dit la peluche. Dis-moi Hélène, est-ce que tu l’entends ?
  • Entends quoi ?
  • Le vent, il porte les sanglots de ton ami. On a l’impression que quelqu’un pleure, c’est normal, c’est ton “Emilie”.
  • C’est vrai ? C’est elle qui pleure ?! Alors, je dois suivre le bruit… C’est bien ça ?
  • Oui.

Ouf, heureusement que Jahan est avec moi.

 Je continue de marcher tout doucement vers le bruit. À chaque fois que j’avance, la forêt devient de plus en plus sombre, j’ai du mal à voir. J’ai peur de tomber par terre et de lâcher la tête de Jahan. Mais il faut que j’avance vite, sinon “il” va trouver l’ébouleuse avant nous !

 Hein ? C’est bizarre, je sens quelque chose sur ma jambe. C’est quoi ?

  • Oh, c’est joli ! dis-je en regardant par terre.
  • De quoi ?

Je pensais que la maladie d’Emilie faisait que des mauvaises choses, mais je m’étais trompée !

  • Il y a une plante toute dorée qui s’est accrochée à mes pieds, même qu’elle brille ! En plus, je sais ce que c’est !
  • Oh, dis-moi donc.
  • Hé hé, c’est du Lierre ! Quand je suis allée dans les bois avec l’école, la maîtresse nous en a montré.

D’habitude, c’est tout vert, mais je préfère quand ça brille comme ça. On dirait qu’il vient d’une forêt enchantée. Peut-être que Jahan veut la voir.

  • Attends, je vais te la montrer.
  • Ne touche pas cette saloperie, lâche là ! crie la peluche.

Oh, il a dit un gros mot ! C’est malpoli ! Je sais que Jahan peut dire des mauvaises choses, mais le Lierre n’a rien fait. En plus, il est tout beau…

  • Dis “pardon” !
  • Quoi ?!
  • Dis “pardon” au Lierre, Jahan ! Ce n’est pas gentil de le traiter de sale haut pet rit !
  • J’hallucine, tu veux vraiment que je m’excuse en plus. Ok, j’ai été méchant tout à l’heure, je l’admets. Mais s’il te plaît, éloigne toi de cette plante, je la déteste.

Il l’aime pas ? Alors que c’est vraiment joli.

  • Je t’en prie, Hélène. Nous avons tous nos peurs. Et puis”Emilie” nous attend.
  • D’accord, je vais le laisser.

Dommage, j’aurais bien voulu prendre une feuille et la montrer à l’ébouleuse, elle trouvera ça joli aussi, j’en suis sûre ! Mais… mon ami le saura si j’en prend un peu. Je me demande pourquoi il a peur du Lierre doré. En tout cas, il me reste plus qu’à le détacher. C’est quand même bizarre, il est enroulé autour de mes pieds, heureusement que je marchais doucement, sinon je serais tombée. Voilà, j’ai presque fini. Au revoir joli Lierre.


Voici un conseil :

ne le touche pas,

ne le regarde pas,

ne l’écoute pas,

ou sinon…

Tu seras maudite !

  • Hein ?!
  • C’est bon, Hélène ? Tu peux repartir ?

Qu’est-ce que c’était ? J’ai entendu quelqu’un parler.

  • Tu l’as entendu, Jahan ?
  • De quoi ?
  • Quelqu’un m’a parlé, mais c’était pas toi.

Je tourne la tête dans tous les sens, mais il y a personne. C’est bizarre... Il joue à cache-cache ?

  • Non, je n’ai rien entendu. Tu as dû rêver, Hélène.
  • Mais non, y avait…
  • S’il te plaît, allons nous en maintenant. Je ne veux pas rester à côté de cette plante.

C’est vrai qu’il ne l’aime pas, je dois partir vite alors. Mais je suis sûre que j’ai pas rêvé, j’ai entendu quelqu’un me parler ! On m’a même donné un conseil, mais j’ai rien compris. Ça voulait dire quelque chose ? Et puis, c’était qui ? Il y a personne. En tout cas, je sais que c’est pas le Lierre, ça parle pas les plantes !

 Je continue de marcher sur le chemin que me montre Jahan. Les arbres sont de plus en plus bizarres, il y en a même qui sont tout gris et qui ont plus d’aiguilles. Je me demande pourquoi.

  • Dis Jahan, pourquoi il y a des arbres violets bizarres et d’autres tous gris ?
  • Parce qu’ils y en a qui sont en vie et d'autres non.
  • Il y en a beaucoup dans la forêt ? Ceux qui sont pas en vie.
  • D’habitude, pas autant. C’est à cause de ton “Emilie” et de sa “maladie”. La transformation qu’elle provoque peut être acceptée ou rejetée par d'autres. Dans ces cas-là, ils meurent.

Il sait vraiment plein de choses, Jahan. Je me demande comment il fait, alors qu’il a jamais rencontré l’ébouleuse, enfin… Je crois ?

  • Comment tu sais plein de trucs sur Emilie ? Tu l’as déjà vu ?

Pourquoi il répond pas ?

  • Jahan ?
  • Hélène ? Que fais-tu ici ?!

Je sursaute en entendant la voix de l’ébouleuse. Elle est où ? Je vois rien, tout est sombre à cause des arbres…

  • Emilie ? T’es où ?
  • Ne cherche pas à savoir, retourne d’où tu viens !
  • Mais…
  • Il n’y a pas de “mais”, cet endroit est dangereux à cause de moi. Va t’en et retourne voir ta maman.

J’en ai marre, pourquoi elle réagit comme ça ?!

  • Non ! Je suis venue pour toi, alors je reste !
  • Pour moi ? Arrête donc tes bêtises, tu…
  • Non, non et non, j’en ai marre que personne m’écoute ! Tu es partie en me laissant toute seule et ça m’a rendu très triste. Je t’aime Emilie et je veux que tu souris tout le temps !
  • Hélène, tu…

Je vois l’ébouleuse arriver devant moi, comme si les arbres l'avaient caché tout à l’heure. Je vois son visage qui est tout triste, comme s’il avait beaucoup pleuré.

  • Je suis désolée, dit-elle en baissant la tête. J’ai dû te faire beaucoup de peine.

Je serre très fort la peluche contre moi, je n’aime pas la voir comme ça, ça me donne envie de pleurer aussi.

  • Emilie, pourquoi t’es partie ?

J’en ai marre de rien comprendre aussi. Je veux l’aider et être forte comme Jahan.

  • Eh bien, disons que… Non, tu ne peux pas comprendre. Désolée, Hélène, mais je voudrais que tu me laisses seule. Tu n’aurais pas dû venir ici.
  • Mais…
  • Pardon, dit-elle en me montrant son dos, je suis une mauvaise personne et…
  • C’est faux.

L’ébouleuse et moi sursautons en même temps. Ma bouche s’ouvre en grand quand j’entends mon ami parler. C’est la première fois qu’il fait ça devant quelqu’un d’autre.

  • Tu as dit quelque chose, Hélène ? demande Emilie en tournant sa tête vers moi.
  • Non, c’est...
  • C’est moi, dit Jahan en faisant bouger une patte entre mes bras. Tu n’as plus besoin de me cacher, Hélène, il faut qu’elle me voit.

Je hoche la tête en montrant la peluche à l’ébouleuse. Je suis toute contente, Jahan va pouvoir être ami avec Emilie !

  • Qu’est-ce que c’est ?
  • C’est Jahan ! m’écrié-je toute heureuse, c’est mon ami, celui qui était à la montagne de déchets !

L’ébouleuse recule en voyant la tête de la peluche. C’est bizarre, j’avais jamais vu son visage comme ça. On dirait Maman quand elle voit quelque chose qui lui plaît pas.

  • Ton ami… Ça ? dit-elle en le pointant du doigt.
  • Oui, pourquoi ? Il a quoi, Jahan ?
  • Eh bien, c’est une…
  • Et si on parlait de la raison pour laquelle tu t’es réfugiée ici, n’est-ce pas, “Emilie” ? la coupe mon ami.

Oh oui, j’avais oublié !

  • C’est vrai, tu ne m’as rien dit !
  • Je…
  • Ne t’en fais pas, Hélène, ce n’est pas compliqué. Comme je te l’ai dit plus tôt, ton “Emilie” cherche à fuir quelqu’un. Mais comme elle ne voulait pas te mettre en danger, elle n’a rien dit. Elle est du genre timide.
  • Oh, je vois !

L’ébouleuse recule en nous regardant d’un air bizarre.

  • Comment ? demande-t-elle à mon ami.
  • Plait-il ?
  • Comment peux-tu être au courant ? C’est…
  • Je suis au courant de beaucoup de choses, parce que je suis magique. N’est-ce pas, Hélène ?
  • Oh oui ! Jahan est trop fort ! Même qu’il est venu t’aider... Avec moi !
  • M-M’aider ? Tu ne parles pas sérieusement ?

Je hoche la tête et Jahan lui répond :

  • Je suis tout à fait sérieux. Après tout, tu as accompagné ma chère Hélène jusqu’ici, où j’ai pu la retrouver. Je te dois bien ça.
  • Mais comment est-ce que tu pourrais m’aider ? Qui plus est, accepter l’aide d’une chose comme toi ? D’où tu sors pour en savoir autant ?! Et pourquoi es-tu avec elle ?!
  • Le savais-tu, “Emilie” ? Sur cette route, j’ai aperçu une voiture contenant un passager très beau, blond et à la longue chevelure coiffée en une seule tresse. Ce serait mauvais qu’il te trouve ici, en train de hausser la voix, alors que tu souhaites te cacher, non ?

L’ébouleuse se recroqueville en entendant Jahan, alors que moi, je parle pas. Je préfère regarder.

  • Jusqu’où en sais-tu ? demande-t-elle avec une petite voix.
  • Tu peux partir du principe que je suis tout aussi savant que toi.
  • Impossible, je ne l’ai dit à personne. Tu mens.
  • Donc, tu choisis de douter de moi, c’est ça ? Très bien, alors je peux retourner ma veste et prévenir une certaine personne de ta présence ici.
  • Non, surtout pas.

J’entends Jahan ricaner.

  • Surtout qu’Hélène est très douée pour crier. N’est-ce pas ?
  • Hé hé, c’est vrai, rigolé-je toute contente.

Emilie nous regarde en ouvrant grand la bouche.

  • Hé, Hélène.
  • Quoi, Jahan ?
  • Je te mets au défi de crier le plus fort possible à trois, tu te sens capable ?
  • Oh oui, je suis la plus forte à ce jeu !

Elle ne bouge plus du tout, comme si c’était devenue une statue.

  • Très bien, dit mon ami, à trois tu cries aussi fort que tu le peux. Un…
  • Non, chuchote l’ébouleuse.
  • Deux…
  • Tu vas voir, je vais gagner !
  • Arrêtez…
  • Tr…
  • Stop ! J’accepte, je te fais confiance.

Oh non, je voulais crier moi…

  • Je peux le faire quand même ? demandé-je à Jahan.
  • Non, ton “Emilie” ne le veut pas, elle a mal aux oreilles.
  • Oh zut ! Désolée…

Je regarde l’ébouleuse avec une petite grimace, j’espère qu’elle est pas en colère.

  • Donc, tu as décidé de me faire confiance. Je suis heureux, dit mon ami en souriant.

Emilie est pas très contente, elle a même de l’eau sur le front. Elle doit pas être bien, je me demande pourquoi, mais je ne dois pas demander. Je sais que Jahan veut discuter avec elle. Maman m’a toujours dit que c’était malpoli de couper la parole aux autres.

  • Pourquoi… Pourquoi me proposes-tu ton aide ? Au point où j’en suis, je…
  • Tu t’en rappelles ? lui demande la peluche. Tu as dit plus tôt que tu étais une mauvaise personne et je suis le seul à t’avoir interrompu. Je connais ta valeur, et je sais aussi que tu t’accapares sans cesse le mauvais rôle.
  • Mais c’est la vérité. Il s’est passé d’horribles choses juste parce que j’étais là.
  • Ah, vraiment ? Il me semble pourtant qu’Alphonse était tout aussi présent, pourtant ce n’est pas lui qu’on blâme.
  • C’est parce que…
  • Il est différent, c’est ça ? Facile de protéger l’être aimé, moi-même, je peux le faire. Mais ce qui est encore plus difficile, c’est de regarder la vérité en face. Tu la connais, “Emilie”. Ce n’est pas toi qui as imploré Alphonse de t’emmener. Ce n’est pas toi qui as incité Mavis à te toucher. Ce n’est pas toi qui as provoqué l’incendie. La seule chose dont tu es fautive, c’est de n’avoir rien fait pour arrêter le cours des choses. Tu t’es laissé aller, sans avis, sans caractère, tu as juste fermé les yeux. Tu es d’une passivité déconcertante.
  • Je...

L’ébouleuse cligne des yeux d’un air bizarre, plus rien ne sort de sa bouche.

  • Regarde, même face à une peluche et une gamine, tu ne fais rien. Il faut qu’on te force la main pour que tu réagisses un minimum. Tu es trop tendre, pauvre petite agnelle. Tu crois que c’est en fuyant sans rien dire que Ginkgo comprendra ton geste ? Non, “Emilie”, déclare-lui la guerre ! Montre lui les idéaux que tu défends, dévoile à l’Univers ton avis, es-tu d’accord avec le cours des événements ?
  • N-Non, je ne suis pas d’accord, mais comment puis-je le faire ? Je suis dedans jusqu’au cou.

Jahan ricane encore une fois.

  • Ne t’en fais pas pour ça, je suis prêt à t’aider.
  • Pourquoi vouloir à tout prix me venir en aide ? C’est notre première rencontre.

Mon ami ne dit rien pendant un petit moment. Emilie regarde la peluche avec de gros yeux. C’est la première fois que je la vois comme ça, elle me fait un peu peur…

  • Non, ce n’est pas notre première rencontre, mais il est impossible que tu te souviennes de moi. Je connais ton véritable nom, ton histoire, et je te voue un immense respect. “Emilie”, peu importe le surnom que tu adoptes, je te reconnaîtrais.
  • Jahan… Qui es-tu vraiment ?
  • J’ai bien peur de garder cette information pour moi, le temps nous manque. “Il” se rapproche et te trouveras si nous ne faisons rien. Toi-même tu le sais, n’est-ce pas ?

L’ébouleuse soupire avant de hocher la tête.

  • Tu disais m’aider à m’affirmer face à cet ennemi, comment puis-je le faire tout en l’évitant ?
  • C’est très simple, dit mon ami avec une voix toute joyeuse, jouons ensemble !
  • Pardon ?
  • Oh ouais ! Jouons avec Emilie ! m’écrié-je toute excité.

Je commençais à m’ennuyer en les écoutant parler, en plus je comprenais pas tout. Pourquoi il parlait de surnom ? C’est son vrai nom à Emilie.

  • Non, attendez, je n’ai pas le temps pour jouer, je dois partir.
  • Oh, mais voyons, ce n’est pas un problème, l’Univers sera notre terrain de jeu. Pas vrai, Hélène ?
  • Oui, c’est trop bien ! Mais c’est quoi l’Univers ?
  • Tu le sauras bien assez tôt. En attendant, il faut attribuer les rôles, me répond Jahan.
  • Non, mais je ne peux vraiment pas…
  • “Emilie” sera l’héroïne et je serais le méchant. Toi, Hélène… Tu seras le joker.

Oh non, c’est moi qui est l’héroïne d’habitude. Mais bon, c’est la première fois qu’Emilie joue avec nous, et comme je l’aime, je veux bien lui laisser ! Par contre, je connais pas le joker.

  • N’importe quoi… murmure l’ébouleuse.
  • Je vais à présent expliquer les règles de notre jeu, écoutez moi bien, dit Jahan. “Emilie” est l’héroïne et le jeu commencera dès qu’elle quittera ce monde. Durant le jeu, elle devra m’arrêter, moi qui suis le grand méchant.

L’ébouleuse soupire en mettant une main sur sa tête.

  • Je ne comprends plus rien, tu veux m’aider et ensuite, tu dis que tu es le méchant ? Ça n'a pas de sens.
  • Il est vrai que tu dois être confuse. Dans ce cas, je vais te dévoiler mon objectif. “Emilie”, héroïne de notre jeu, je suis Jahan : le méchant. Et mon souhait est de détruire l’Univers.

Un gros silence arrive juste après que mon ami ai fini de parler. L’ébouleuse le regarde d’un air bizarre, on dirait qu’elle a entendu quelque chose de drôle.

  • Ah… Ah ah ah ! Toi, une pauvre petite peluche, tu veux détruire l’Univers ? C’est si beau de rêver, invente un méchant plus efficace la prochaine fois.
  • Oh, mais je peux le faire.
  • Foutaises, il est impossible de détruire l’Univers, nul ne peut...
  • Tu fais abstraction d’un détail, très chère “Emilie”. Il existe un être capable de le faire, je sais même où il se trouve. Au fait, Hélène, tu vois, l’Univers, c’est un espace très très grand dans lequel on se trouve.

Oh, c’était juste ça. Je pensais que ce serait plus compliqué.

  • D’accord, mais pourquoi tu veux le détruire ? Et c’est qui qui peut le faire ?
  • Je veux le détruire pour toi, mon joker, répond la peluche en me caressant la joue. Je veux recréer un Univers à mon image, et la personne qui peut m’aider est un monstre très violent qui a été enfermé par des déesses. Il se cache au…
  • Arrête, ne dis pas un mot de plus ! le coupe Emilie.
  • Pourquoi ? Je ne vois pas le problème à parler d’une personne qui n’existe pas, ricane Jahan.
  • Comment ?! Comment peux-tu être au courant ?! Personne ne devrait connaître son existence !
  • Je sais beaucoup de choses, tu me crois maintenant ?
  • Quand bien même je te croirais, c’est juste impossible ! Tu ne peux pas libérer cette chose, personne ne peut…
  • J’en suis capable, dit la peluche. Je connais un moyen de le libérer.

L’ébouleuse regarde Jahan avec de gros yeux, comme si elle voulait lui crier dessus, mais rien ne sort de sa bouche. Je tremble un petit peu, elle me fait peur…

  • Dis-moi, “Emilie”, tu connais les malédictions, non ?

Pourquoi il parle de ça ? Je comprends rien.

  • Quel rapport avec notre sujet ? demande-t-elle.
  • Tu seras peut-être étonné d’apprendre que les malédictions contiennent une grande quantité d’énergie. Si on en assemble assez, on peut détruire le sceau qui entrave la bête, et bye bye l’Univers. Je viens de te résumer mon plan, là. Il te plaît ?
  • C’est ridicule ! Comment peux-tu contrôler les maléfices ? C’est impossible !
  • Pas pour moi, je suis capable de grandes choses.

Emilie se met à trembler, mais elle n’a pas peur. Je l’entends même grogner, elle doit vraiment être en colère.

  • Je n’ai jamais entendu un bluff aussi effronté.
  • Considère-le comme un bluff si tu le souhaites, mais ne viens pas regretter ton erreur le jour de ma victoire.

L’ébouleuse ne dit rien après qu’elle ai entendu Jahan, comme si on lui avait volé la parole. Moi, j’arrive pas à comprendre. Mon ami veut être le méchant, comme la dernière fois, et pourtant, quelque chose ne va pas. J’ai l’impression que je suis la seule à vouloir jouer. C’est pas drôle…

  • Fais ton choix, “Emilie”. Tu peux très bien chercher à fuir un homme qui aura toutes les chances de te trouver avant que tu n'ait formulé la moindre objection. Ou bien, tu peux jouer avec nous, en ayant la certitude que jamais il ne te trouvera avant ton sommeil. La balle est dans ton camp.

Un sommeil ? Pourquoi il parle de ça ?

  • Dire que tu as également ce genre d’infos... Et comment comptes-tu me cacher de Ginkgo ? demande l’ébouleuse.
  • C’est simple, Hélène et moi le retiendrons pendant un certain temps. Il te suffira juste de prendre de l’avance, à condition que tu joues avec nous, bien sûr.
  • Je…
  • C’est le seul service que je te demande en retour. Arrête moi, Tsiru-ja, avant que je ne commette l’irréparable. Toi seule en est capable.

Emilie sursaute en entendant la peluche. Il a dit quoi ? Pourquoi il l’a appelé Tsi… Quoi ?

  • Jahan, est-ce que tu…
  • Hélène ! Nous sommes venus te chercher ! Où te caches-tu ?

Oh ! Je connais cette voix, c’est la voisine pipelette ! Zut ! Je croyais qu’elle m’avait oublié !

  • Oh non, je suis désolée, Emilie.
  • Ne t’excuse pas, c’est tout naturel. Tu as de la chance, Hélène, il y a des personnes qui se soucient de toi.

Pourquoi elle dit ça ?

  • Mais Emilie, moi, je…
  • Je vais y aller. Jahan, j’ai du mal à l’admettre, mais je n’ai pas d’autres choix que d’accepter ta proposition. Je jouerais avec toi.
  • Ta décision m'emplit de joie, très chère Tsiru-ja.
  • Cesse de mettre Hélène à l’écart, je m’appelle Emilie, ici.

Tout à coup, l’ébouleuse fait un petit son avec sa bouche, comme si elle sifflait. Et juste après, un truc bizarre apparaît derrière elle. C’est incroyable, on dirait un tableau dans la forêt, mais sans être contre un mur ! Je vois même la mer dedans.

  • C’est quoi ça ? demandé-je en pointant du doigt.
  • Ma porte de sortie, répond Emilie. Je vais devoir te dire au revoir, pour de bon cette fois.

Hein ? Mais je veux pas !

  • Non, reste avec moi !
  • Ne la retiens pas, Hélène. Elle a fait son choix, dit Jahan.
  • Mais, Mais…
  • Il a raison, c’est ma décision. Hélène, j’aurais aimé te faire un câlin d’adieu, mais je vais me contenter d’un simple regard.
  • Parce que tu es malade.
  • Oui, tu t’en rappelles.
  • Mais Emilie, tu vas faire quoi là-bas ?
  • Je vais jouer avec vous, comme l’a proposé Jahan. Mais je dois y aller toute seule, c’est mon devoir. Je veux donner naissance à un Univers capable de rendre heureuses les petites filles comme toi. Tu comprends, n’est-ce pas ?
  • Pas vraiment.

Il y a des mots que je comprends, mais je n'arrive pas à les suivres. Jahan et Emilie sont partis beaucoup trop loin pour moi.

  • Hélène ! Nous sommes là pour toi ! crie la voix d’un monsieur.
  • Il est avec la bonne femme. Vas-y, Emilie, chuchote mon ami.

Elle hoche la tête avant de le regarder d’un air énervé.

  • Je relève ton défi donc attends toi à la défaite. Une fois que j’aurais annihilé tes armes, je reviendrai te réduire en cendres. De cette manière, Hélène pourra vivre en paix.

Emilie nous fait au revoir de la main avant de marcher vers le tableau.

  • Attends ! Dis moi quand tu vas revenir ! crié-je en pleurant.

L’ébouleuse me répond avant de disparaître :

  • Si tu souhaites vivre une vie heureuse, alors prie pour ne jamais me revoir.

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