Chapitre 53

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La vie nous réserve toujours quelque chose qu’on n’aurait jamais pu s’imaginer. Il peut se passer tellement de choses en un jour ! Et c’est bien pour ça qu’il faut trouver la force de se lever tous les matins, parce qu’on ne sait ce qu’il peut arriver. Chaque jour est une opportunité.

Et ce jeudi avait été incroyable, alors que c’était censé être un jour comme un autre, dans la vie d'un garçon introverti : la rencontre entre sa mère et Ruben, son embrouille avec Matt, et puis cette soirée où il s'était confié à son Ruben, où il avait eu l'impression d'un déclic, que quelque chose s'était passé entre eux...

Il s’était écroulé sur son lit à 22 heures sous le coup de la fatigue, et avait dormi comme un bébé, un oreiller calé entre ses jambes, et un autre dans ses bras, en s’imaginant que c’était un certain portugais à la place…

Le lendemain, il s’était réveillé tout frais. Et il avait toujours en tête que la date où ils se mettraient « officiellement » ensemble approchait à grand pas : plus qu’un seul jour à attendre.

Après les cours, Ruben était allé le chercher au lycée. Les parents d'Alec travaillaient tard ce jour-là, et Loïc avait un entraînement avec son équipe de foot : la soirée était libre pour eux deux.

  • Ça te dit qu'on se promène aux Halles ?

Alec se mit à rougir.

  • J'ai pas d'argent...
  • Moi non plus ! Ça t'arrive jamais d'aller dans des boutiques et de critiquer tous les vêtements sans rien acheter ?
  • Euh...
  • On y va !

Il le prit par le bras et ils commencèrent à marcher. Les Halles n'étaient qu'à un quart d'heure de marche, pas besoin de prendre le métro. Il y avait du monde dans les rues de Paris. Il faisait plutôt beau pour un mois de novembre et les gens en profitaient pour sortir.

Les rues qui menaient vers les Halles étaient assez étroites par moment, il y avait du monde, et Alec finit par se faire bousculer par une dame qui fonçait comme un bulldozer sans regarder.

— Jeune homme ! Vous auriez pu faire attention, quand même !

— Pardon Madame… souffla timidement Alec.

Mais elle continuait à le fixer, elle avait l’air super énervée.

— Oh ! On dit pas pardon ? lança-t-elle d’un air méprisant.

Et avant qu’Alec puisse prononcer le moindre mot, Ruben s’interposa entre eux deux et se dressa devant elle.

— Mais il a dit pardon, t’es sourde ?

— Vous me parlez sur un autre ton !

Elle ne savait pas à qui elle avait affaire…

Ruben leva un sourcil, puis lui lança un regard terriblement noir. Ça allait péter, Alec craignait le pire… Il avait l’impression que c’était de sa faute.

— Bah fallait lever les yeux d’votre téléphone. C’est vous qui lui avez foncé dedans ! C’est à vous de vous excuser !

Elle parut choquée. Elle ne s’attendait sûrement pas à ce qu’il lui tienne tête.

— Vous êtes insolent, en plus ! Vous devriez apprendre le respect !

— Le respect ça s’mérite, grosse bagra.

Là, il fallait intervenir. Et personne ne bougeait, tout le monde les regardait du coin de l’oeil en faisant semblant de faire autre chose et n’agissait. Alec s’avança pour essayer de calmer le jeu, mais Ruben l'en empêcha.

— Laisse-moi faire, j'vais la remettre à sa place, cette pute.

Alec la regarda en fronçant les sourcils. Elle avait l’air sincère, et puis il y avait autre chose dans son regard, comme si elle était en train de le supplier.

Alors il se résigna à l’écouter et resta simple spectateur…

— Les jeunes d’aujourd’hui... on se demande comment vous avez été éduqué.

— Sans doute mieux qu’toi, lâcha-t-il.

— En même temps, ça ne m’étonne pas, vu comme vous êtes habillés. Enfin, si on peut appeler ça des habits !

— Eh la grosse vache elle va s’calmer, parce qu’on a pas tous eu la chance de naître dans une famille de bourges. Arrête de t’croire au-dessus de tout, c’est pas parce que t’as un sac Hermès que t’es au-dessus du monde. Dommage que le respect, ça s’achète pas.

Elle ne sut pas quoi répondre, elle semblait sous le choc. Ruben continuait de la fixer droit dans les yeux. Son regard était noir et lui lançait des éclairs.

— Nan mais elle est folle celle-là ! reprit-il. Allez, on s’casse.

Il prit Alec par le bras et s’éloigna, tandis que les autres retournaient à leurs activités comme si de rien n’était, en observant Ruben du coin de l’oeil. Et lui s’en foutait, il regardait droit devant et continuait d’avancer.

— Merci, souffla Alec, à moitié amusé.

Ruben resta sans réaction pendant quelques secondes, puis sa mâchoire se contracta, un petit sourire se forma au coin de ses lèvres, mais il serrait les pommettes.

Et puis finalement, au bout d’un moment, il arrêta de lutter et se laissa prendre par un fou rire.

Il était vraiment lunatique, ce gars…

Et c’est comme si rien n’était arrivé, Ruben se remettait à rire et à raconter sa vie, à se moquer des passants et à se foutre de leur gueule parce qu’ils le dévisageaient. Et tout le monde détournait le regard, honteux.

Alec n'en finirait probablement jamais d'en découvrir plus sur lui. C'était un garçon formidable, au fond. Il n'aurait pas su ce qu'il aurait fait sans lui. Il serait probablement ressorti la tête basse, terriblement honteux et le sentiment d'être coupable...

Ruben s'en foutait. Il vivait sa vie et ce moment ne l'avait pas marqué plus que ça. Et il arrivait à être heureux, même avec cette image de gars bizarre, peu fréquentable.

Peut-être qu’il y a plusieurs façons de trouver le bonheur, ou bien qu’il y avait plusieurs formes de bonheur. Celui qu'Alec partageait avec Ruben était plus doux, plus silencieux, et peut-être plus puissant aussi… Et Alec le préférait, ce bonheur, parce que c’est en partageant un peu de malheur qu’on peut vraiment être heureux ensemble.

En tout cas, il attendait avec impatience le jour où Ruben lui montrerait son malheur à lui, parce que ce caractère ne venait pas de nulle part.

On est ce que les gens ont fait de nous.

Peut-être que ce n’était pas le cas chez Ruben, peut-être qu’il est devenu ce que les gens redoutaient, ce gars qui dérange parce qu’il dit trop de choses et qui parle trop fort.

Il ne savait pas ce qui lui arrivait. Il ne faisait même plus attention à ce que Ruben disait, il se contentait de fixer son portugais en réfléchissant, et en se disant qu’il pourrait peut-être lui…

« Nan, c’est trop tôt » lui souffla sa petite voix intérieure.

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