Chapitre 72

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— Ça y est ? Tu fais déjà partie d’la famille ?

Alec leva les yeux au ciel. Généralement, quand Matthieu se foutait de sa gueule, il le prenait plutôt bien. Mais là, le stress était beaucoup trop fort, et il n’avait aucune envie de rire.

— C’est pas drôle. J’ai vraiment peur d’être pris au milieu d’une grosse embrouille. Imagine si Ruben s’engueule avec le reste de sa famille et qu’on me sort un truc du genre : « Ah, on a qu’à demander son avis à une personne objective, qui est extérieure à la situation. Tiens Alec, dis-nous qui a raison entre lui et nous ? »

— Bah tu te rangeras du côté opposé à Ruben, comme ça ils seront satisfait et tu seras aimé de sa famille. Et ensuite, pour te faire pardonner, t’auras qu’à lui tailler une pipe après !

Alec soupira en secouant la tête, l’air désespéré.

— J’pense que j’vais arrêter de penser à ça… J’vais me concentrer sur le cours, ça me fera du bien.

Il releva la tête vers le tableau et se tourna vers le prof, assis à son bureau, en train de donner des conseils de méthodologie à propos de la rédaction d’une dissertation. C’était chiant, mais ça lui permettait au moins d’oublier ses problèmes pendant un moment.

Mais là, au premier rang, il remarqua une place vide.

Il se retourna alors, et balaya la classe du regard, pour voir qui était manquant. Il avait comme un pressentiment, il avait l’impression de déjà connaître la réponse à sa question, mais il voulait juste être sûr…

Puis il se retourna vers Matthieu.

— Il est pas là, Jordan ?

Il examina le visage de Matthieu, dans l’espoir d’y trouver un petit tic, un mouvement d’un muscle de sa face, mais rien du tout... Aucune réaction.

— Apparemment non, répondit-il naturellement. Il doit être malade.

Alec fut à la fois rassuré et déçu. Jordan ne serait pas là pour le faire chier de la journée, mais en même temps il avait l’impression que quelque chose clochait. Il s’était attendu à ce que Matt lui raconte une histoire, à ce que les choses avancent.

Il voulait vraiment en finir avec Jordan, il souhaitait juste le dégager de sa vie et pouvoir être tranquille, quitte à ne pas avoir de réponse à ses nombreuses questions. Ça l’arrangerait même que Jordan disparaisse aussi mystérieusement qu’il s’était intéressé à lui...

Au moins, il en serait débarrassé.

— Et avec Marion ? demanda-t-il pour changer de sujet.

Là, l’expression de Matt changea, et tout son visage s’illumina d’un coup.

— Je crois que j’ai une touche ! s’exclama-t-il, tout content.

Sa bonne humeur était contagieuse, et Alec avait déjà presque oublié ses soucis.

— Bah raconte-moi ! Il s’est passé quoi ?

— On s’est embrassé !

— Mais c’est trop bien ça ! J’suis super heureux pour toi !

Et il lui donna une bonne grosse tape amicale sur l’épaule, en faisant exprès d’y aller un poil trop fort et de lui faire mal, juste par sadisme. Mais au fond, il était quand même fier de son pote, et ses yeux brillaient un peu comme ceux d’un père qui voit son fils grandir.

— Alors ? lança-t-il. Tu me racontes ?

— On a beaucoup, beaucoup, beaucoup parlé. On s'est posés sur un banc, dans un parc, et on a discuté de tout et de rien. Et puis à force, ça devenait de plus en plus intime, et elle a commencé à me parler de ses problèmes, du fait qu’elle se sentait mal dans sa peau, qu’elle avait peur du jugement des autres, qu’elle avait l’impression d’être mal vue par les autres, et puis j’en ai profité pour qu’on cause de Jordan, et j’ai réussi à lui faire comprendre que Jordan la manipulait.

— Comment t’as fait ?

— Bah… j’ai mis pas mal de temps, elle était beaucoup sur la défensive au début et elle voulait pas entendre mes arguments. Elle disait qu’on le connaissait mal parce qu’on avait vu que sa face extérieure, mais je lui ai posée beaucoup de questions sur leurs relations, comment il la traitait, etc… Et donc c’est elle-même qui répondait, et c’est elle qui se prouvait toute seule que sa relation était toxique. C’est une technique que j’ai apprise en allant sur…

— Mais c’est super ! interrompit Alec, tout heureux. T’es vraiment un mec en or, je sais pas comment t’as fait, mais là, chapeau !

Matthieu détourna le regard et baissa la tête avec un petit sourire. Alec crut voir les joues de son pote rougir.

— J’crois que je l’aime… souffla Matt. Mais genre, aimer… avec un grand A, tu vois ? Même si c’est tôt pour le dire, j’ai vraiment l’impression qu’on va vivre des tas de choses ensemble, et j’ai vraiment envie, je sais que c’est quelqu’un de bien.

Alec ne put s’empêcher de sourire doucement. Il avait l’air apaisé, comme si ce moment sonnait la fin d’une longue histoire…

— Et tu le mérites. J’espère vraiment que vous serez heureux, tous les deux !

— D’ailleurs, on va rendre ça « public ». Donc tu peux le dire à tout le monde !

— J’vois que Monsieur est fier de s’afficher avec sa dulcinée !

Du coup, il avait la réponse à la question qu’il s’était posée avant : Jordan était sûrement absent à cause de sa rupture avec Marion. Mais Matthieu ne semblait pas avoir fait le lien, tellement il était focalisé sur sa Marion.

En tout cas, il était soulagé. Marion allait pouvoir être heureuse, Matthieu s’était enfin trouvé une copine, et les problèmes avec Jordan allaient bientôt toucher à leur fin, maintenant que cette histoire avec Marion était terminée…

Mais soudain, Matthieu sortit Alec de ses pensées :

— Et toi, avec Ruben ?

Il fronça les sourcils.

— Bah quoi ? Je t’ai déjà raconté, nan ?

— Ouais, mais… Tu comptes te cacher éternellement ?

Alec le dévisagea. Il n’aimait jamais quand ce sujet revenait sur la table, et il en comprenait pas pourquoi Matthieu insistait autant.

— Écoute, c’est loin d’être aussi facile d’afficher mon couple que le tien. Y a des vrais nazis ici, j’te rappelle !

— Roooh, tu dramatises tout l’temps, on est quand même au vingt-et-unième siècle, les mentalités ont changé. Tu vas pas te faire tabasser si t’annonces à tout le lycée que t’es pédé.

— Peut-être, mais j’ai pas non plus envie de perdre des potes et qu’on me regarde mal dans les couloirs. Et puis même, regarde comment t’as jugé Ruben alors que t’es mon meilleur pote. Imagine c’que les autres vont en penser !

— Est-ce que j’peux au moins le dire à Marion ? C’est quand même ma copine, maintenant. Et puis c’est aussi ta pote, elle a le droit de savoir.

Alec prit une grande inspiration en fermant les yeux. Il ne se sentait pas bien, il avait terriblement peur des coming-out, ça le terrorisait, il se faisait toujours les pires scénarios…

— Je sais vraiment pas si c’est une bonne idée…

— Ah bah tiens ! fit Matthieu. Quand on parle du loup.

Alec releva la tête et aperçut Marion arriver vers eux. Elle embrassa directement Matt avec passion, et Alec détourna le regard avec une grimace de dégoût, un peu mal à l’aise. Elle s’assit ensuite à côté de Matthieu, et les deux amoureux s’échangèrent un regard complice.

— Je viens de dire à Alec qu’on sortait ensemble, et je crois que lui aussi a une petite annonce à faire !

Alec dévisagea Matthieu et lui envoyait toute la haine qu’il pouvait à travers son regard. Il n’avait jamais pensé que Matt le ferait sérieusement, mais là c’était trop tard : Marion était en train de le fixer, le front plissé, attendant la fameuse annonce.

Il ne savait pas quoi faire et avait l’impression d’être pris au piège. Il n’avait jamais pris Matthieu au sérieux lorsque celui-ci l’avait menacé de le forcer à tout balancer, mais il l’avait mis face à sa plus grande peur, et Alec ne pouvait plus reculer…

Ses joues étaient en train de chauffer, il n’osait pas regarder Marion dans les yeux, et pourtant il arrivait à sentir qu’elle l’observait, et qu’elle attendait quelque chose…

— Alors, euh… en fait… Tu te souviens quand je t’avais dit que j’aimais les…

— Garçons ?

Un frisson traversa tout son corps, en partant de ses pieds puis remontant jusqu’à sa tête. Il laissa échapper un soupir presque inaudible, sa poitrine se souleva…

— Oui… Eh bah, en fait, j’en ai trouvé un… y a pas très longtemps… et puis j’crois que je l’aime.

Le visage de Marion s’éclaira d’un coup, et ses lèvres s’étirèrent en un immense sourire.

— Mais c’est une super nouvelle, ça !

Alec fut rassuré et la pression redescendit d’un coup. Il ne savait même pas pourquoi il avait stressé, peut-être le manque d’habitude.

— Du coup, tu m’le présentes quand, ton copain ?

— Bientôt, bientôt !

— Ça fait combien de temps, vous deux ?

— On a fêté notre premier mois, y a pas longtemps.

— Et vous vous êtes déjà embrassés ?

« On a même fait beaucoup plus, ma cocotte », avait-il envie de dire. Mais il garda ça pour lui, ce n’était pas vraiment approprié.

— Euh, bah… oui !

Elle était tout excitée et elle ne tenait pas en place. Alec comprit qu’il allait devoir répondre à des tas de questions plus ou moins intimes, et qu’il venait de passer au rang de « meilleur ami gay ». Matthieu était sur le côté en train de les regarder tous les deux, un sourire malicieux en coin. Alec ne savait pas trop s’il se foutait de sa gueule ou s’il était vraiment heureux pour lui. Il devait y avoir un peu des deux.

— Il t’a présenté à ses parents ?

— Ouais, d’ailleurs je vais y aller samedi pour aller fêter son anniversaire !

— C’est trop bien, ça ! D’ailleurs, il est comment ?

Alec se mit à sourire doucement.

— Il est… unique au monde.

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