La bête

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Sérieusement ?

- Eh bien, il est déjà l'heure de la visite ? Cela faisait longtemps, Onmyo. Alors ? Comment survit le monde extérieur ? Il y a bien longtemps que le soleil n'a pas fait luire mes écailles... Tu n'es toujours pas décidé à me libérer de ces entraves ? La dernière fois que la chaleur des rayons d'Amaterasu m'a atteint, le bambou ne brillait pas encore.

Une odeur de mort, et une voix à faire trembler les fondations de la montagne... Les gars, vous aviez raison, on aurait dû se barrer.

Sous nos yeux, baignant au cœur d'un bassin remplis de ce qui semble être le sang de la bête elle-même, une créature se cache...

- Hum... Tu m'apportes de la chair fraîche ? Je te savais froid, mais au point de m'offrir de si jeunes hommes... Quelle cruauté, tenir la Bête sous contrôle t'as transformé en monstre mon vieil ami.

Ce rire... Il résonne parmi les murs de la pièce... Une pièce aux proportions inégalée, sous la montagne se cache une véritable antichambre, d'une taille à faire rougir le Kora-Kuen... Et au cœur de celle-ci, se cache l'enfer. Existe-t-il plus mauvais rire ? Si c'est le cas, je ne souhaite pas l'entendre.

- Approchez, jeunes gens, venez voir de plus près, celui qui terrifiait et causé jadis le chaos sur vos terres. Ne craignez rien, les liens des geôliers sont particulièrement efficaces. Et puis que pourrait bien faire un serpent sans ses têtes ?

Ce n'est qu'en levant la mienne, que je comprends enfin. Ces choses, aussi larges que des troncs de sequoia... Ce sont les huit nuques de la bête, huit nuques dont les têtes ont disparu... À moins que... Suivant le flot incessant d'hémoglobine, les voilà, huit, monstrueuses, laide, et bougeant à l'unisson quand sa voix résonne... Pendue au-dessus du corps sans vie, le noyant en permanence, les ignobles têtes serpentines du monstre se tiennent fières. Comme si elles étaient encore attachée à leur corps...

- Alors ? Que faites-vous, jeunes gens ? Celui dont les têtes furent tranchées par La Tempête Vivante se tient devant vous. Vous assistez à l'Histoire, votre peuple aurait-il oublié la terreur que je lui inspirais par le passé ? Avez-vous besoin que je vous rafraichisse la mémoire ?

Impossible de répondre. J'ai beau savoir que la bête est inoffensive à cet instant, mon corps refuse de m'obéir. Pour la première fois... Je tremble, mes membres menacent de me lâcher, et mes jambes me hurlent de fuir. Et pourtant, chacune de ses larges nuques sont scellées par huit Torii, et un nombre incalculables de sceaux, je serais de mauvaise foi si je disais qu'ils n'ont pas mis les moyens... Mais aucune protection ne saurait protéger nos cœurs de la terreur causée par sa simple présence... Son odeur, il sent le cadavre, une voix qui ferait trembler le plus puissant des lions, et ce massif amas de chair qu'il appelle un corps, est-ce cela que le Dieu Susanoo mis à mort il y a des siècles ? Je comprends mieux le nom de ces Moines, il ne s'agit pas d'une métaphore, ces gens vivent, en permanence, avec la menace de Yamata no Orochi sous les pieds.

- Ma petite Kiku, ne veux tu pas lâcher ton pinceau pour me laisser respirer un instant ? Cela fait bien longtemps que mes poumons ne se sont pas gonflé d'air, et mes têtes manquent un peu à leur corps. J'apprécierais que tu me les rendes.

Kiku ? C'est forcément la personne dans le fond... Elle peint, ici ? Surprenant.

- Suivez-moi, allons saluer celle qui tient la bête en respect, nous dit le bonze Onmyo.

Une femme qui dessine ? Elle tient la bête en respect ?

- Je vous présente Kiku, Le Ciel d'Encre comme on la surnomme ici, c'est elle qui tient Yamata no Orochi en respect. Ses planches ont une capacité... Unique. Tous les soirs, quand la nuit est noire, et que le ciel est d'encre, elle vient y remplir son secrétaire. Les sceaux qui ornent la porte, les Torii, les murs de cette antichambre, et le corps de la bête ont tous étaient peint par cette dame. Jours, comme nuit, son pinceau ne cesse jamais son œuvre, seulement une heure lui est offert pour respirer, le temps nécessaire, à voler l'encre des dieux.

L'encre des dieux ? C'est quoi ce délire ? Une métaphore ou un truc du genre ? Dans tous les cas, Le Ciel d'Encre lui va bien. Si elle est d'un blanc presque maladif, sa peau est tâchée çà et là de traces d'encre, certaines semblant si vieilles que je doute qu'elles puissent s'effacer. Une chose comme ça retiendrait la bête ? Elle qui est pourtant si frêle, si petite, même pour une Japonaise, elle semble menue, comment cette femme peux bien tenir cette bête à l'écart du monde ?

- L'encre des dieux ? Le ciel d'encre ? Tout ça, ce sont des métaphores, pas vrai ? J'y pige que dalle.

Elle rit ? Elle rit ? ! Elle se fout d'ma gueule ? !

- Jeune homme, si vous saviez à quel point le monde, est vaste, vous seriez surpris. Il est bien peu de choses qui échappent aux dieux, votre monde rationnel, de science et de logique, tout cela, ce n'est qu'une distraction. Un moyen de protéger les faibles. La, dehors, la réalité, n'est pas ce que vous croyez, le monde réel est... Comment le dire... Bien moins limité que votre monde. Ici, dans cette antichambre, une faible femme, tient en joue une bête séculaire grâce à de la peinture, son encre est celle qui noircit le ciel chaque soir, et la bête aux têtes tranchées s'exprime en permanence. Tout semble sortis tout droit d'un livre de fiction, mais il n'en est rien, tout cela, est bien plus réel que toutes les théories que vos scientifiques pondent. C'est ici, que naissent les Perdus, et également en ces murs, que se révèlent les puissants. Il n'est en ces lieux aucune magie, rien d'autre que le monde dans son état pur, pas dénaturé par les technologies humaines, simple, brute. Pouvez-vous l'accepter, vous dont l'esprit a été bombardé d'informations, de théories, nommant notre réalité " légende ", nommant notre quotidien " mythe ", serez vous perdu entre la réalité et la fiction ? Où ouvrirez-vous les yeux pour observer le monde tel qu'il est réellement ?

Ou j'suis tombé putain ?

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