A table.

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- Merde... C't'enfoiré m'a vraiment buté du coup... Galère.
L'autre félin se marre... J'viens d'crever enflure, c'est pas super drôle putain !
- Hehe, t'as vraiment une manière bizarre de présenter les choses. Tu viens de te prendre trois balles, tu es mort, et c'est " galère ". Tu n'es vraiment pas normalement constitué, tu es au courant de ça, pas vrai ?
J'ai déjà entendu parler de cette théorie, oui, ça me dit un truc.
- C'est pas comme si je comptais rester moisir ici. Suffit juste que je trouve COMMENT me casser de cet endroit... Comment il avait fait dans la légende déjà ?
Izanagi était rentré dans le Yomi pour retrouver son aimée... Sauf que lui, il connaissait l'entrée... Pas moi. C'est chiant.
- Tu comptes te barrer du Yomi ? T'es au courant que c'est tout simplement impossible ? Il n'y a qu'Izanagi qui a réussi, et c'est un dieu ! Pas toi !
C'est ça la solution !
- Si c'est que ça... J'ai qu'à devenir un dieu ! Et hop !
Je suis un génie putain.
- Tu dois te moquer de moi, tu es au courant qu'on ne devient pas un dieu, n'est-ce pas ?
Tu diras ça à Momotaro.
- Au lieu de te plaindre, pourquoi tu ne me dis pas comment on so-
- Personne ne sort du Yomi, jeune homme.
Hein ? C'est qui ce type ? Il a quelques problèmes de peau lui... Et pas qu'en fait, la moitié de son visage est dévoré par les vers, ce type me débecte... Physiquement, j'veux dire, c'est dégueulasse !
- T'es qui, toi ?
- Le Geôlier. Pour vous autre, ce serait un peu comme... Le bras droit d'Izanami, c'est celui qui vient nous offrir notre premier repas ici.
Toi, j'te sens pas... Enfin, si, j'te sens un peu trop... Pourquoi d'ailleurs ? J'suis mort, j'devrais plus avoir de sens.
- Désolé, j'ai pas faim, et puis vu l'endroit, j'suis pas sûr que la gastronomie soit votre truc.
Hors de question que j'bouffe les trucs du coin, j'veux bien être curieux, mais là, c'est du suic-... Est-ce que je peux mourir du coup ? Vus qu'j'suis mort ?
- Ce n'est pas une option, jeune homme. Vous avez beau être mort, il vous faut vous nourrir, sinon, vous disparaîtrez sans la moindre trace, votre existence cessera d'être, vous n'aurez jamais été.
Il me prend pour un con.
- J'boufferais pas les trucs du Yomi. J'compte bien m'barrer. J'suis pas un idiot. Mange la nourriture du monde des morts et deviens en un habitant. C'est mort.
C'est bien connu. Ils en ont même parlé dans Le Voyage de Chihiro ( super film d'ailleurs, je conseil ). Si tu manges la nourriture du monde des esprits, tu fais parties du monde des esprits.
- Cela faisait longtemps que nous n'avions pas eu de problème similaire... Enfin, tant pis.
Il siffle, qu'est-ce tu siffles toi ?
- C'est quoi c'bord-
- Emmenez-le. Cela ne me plaît pas, mais nous allons devoir nous servir du Vieil-homme.
Le Vieil-homme ? C'est quoi cette connerie maintenant ?
****
Eikichi, sous les yeux de celui qui fut par le passé surnommé Le Seigneur, fut traînez sur de nombreux lieux. Traversant le monde des morts, l'observant autour de lui, un monde de pourriture et de soufre. Il n'est pas étonnant qu'Izanagi lui-même l'ait fuis. Il comprenait mieux cette crainte de la mort que le Shintoïsme enseigné. Ce monde n'était pas celui que les Occidentaux imaginés. Il y avait ici, des bons, des mauvais, il n'y avait pas de discriminations, le bien, et le mal se trouvait ici.
Au bout du chemin, une route au cours de laquelle le jeune homme crut vieillir de plusieurs dizaines d'années, il se sentit faiblir, maigrir, son corps souffrait du manque de nourriture, ici, tous, devaient se soumettre à cette loi. Celui qui ne mange pas, disparaît. Face à lui, le fameux Vieil-Homme. Un arbre distordu, semblable en tout point à la silhouette d'un vieil homme, rachitique, faible, se tordant sous la douleur.
Son chatiment commencerait maintenant. Le jeune homme tentait de se débattre, mais ses forces s'étaient considérablement affaiblies, et ces esprits qui le retenaient, eux, n'avaient rien à envoyer au plus puissant des hommes.
- Ne vous fatiguez pas, jeune homme, ici, vous êtes impuissant... Voyez-vous, vous ne vous en rendez pas compte, mais en ces lieux, le temps passe à une vitesse des milliers de fois supérieurs à celle du monde des vivants. Nous avons marché dix ans pour atteindre ce lieu. Depuis le moment de votre mort, il ne s'est passé que quelques secondes. Impressionnant, n'est-ce pas ? Vous avez subi dix-ans sans nourriture, vous ne vieillissez pas, évidemment, vous êtes mort. Mais vous ne faites pas encore partie de ce monde, ainsi, il vous est impossible de combattre un de ces esprits. Eux, qui possèdent leurs force complète ne ferait qu'une bouchée de vous. Vous voyez, il n'est rien que vous ne puissiez faire. Vous êtes affaibli par le manque de nourriture, et n'êtes pas à votre place, ce qui vous affaiblit plus encore. Vous avez perdu, abandonné, prenez ce bol, avant que nous ne vous liions à cet arbre et que vous ne disparaissiez pour de bon.
" Heh, c'est pas parc'que j'ai la dalle qu'j'vais disparaître, mec. "
- Attache ces putains de liens, qu'on en finisse. J'resterais accroché ici, jusqu'à ne faire plus qu'un avec ce foutu arbre s'il le faut... Mais j'disparaitrais pas, j'me casserais de c'monde débile, on m'attend là haut.
Riant autant que sa frêle condition lui permettait, Eikichi cracha au visage du Geôlier. Mais impossible de se débattre, il fut attaché au Vieil-Homme. Seul, il y resterait des journées entières. Rapidement, ces journées se transformèrent en semaines, mois, années.

Il passerait tant de temps, lié à l'arbre, que même parmi les habitants du Yomi, il devint un conte.

Celui de l'homme qui survivait encore aujourd'hui, après plusieurs siècles sans le moindre grain de riz sur la langue.

De temps à autre, il avait droit à de la visite. Ca et la, les esprits de pauvres enfants ayant perdu la vie dans le monde d'au-dessus, venaient voir le corps émacié de cet homme qui s'accrochait à sa propre existence avec la hargne d'un carcajou.

Il n'était plus rien qui restait d'Eikichi. Seulement la peau de son visage, son squelette visible en certains endroits, et son souffle. Ses côtes étaient à l'air, et en dessous de celle-ci, son cœur continuait de battre, refusant de se plier aux lois de la logique, il battait d'une vigueur qui ne s'était jamais éteinte malgré l'absence de la moindre goutte de sang dans son corps. Ses poumons continuaient d'absorber l'air putride de ce monde sale et laid, se gonflant avant de se vider sans défaillir. Mais de loin, la vision qui hantait le cœur de tous ceux qui l'avaient observé assez longtemps, était celle qui se cachait derrière ces crevasses noirâtres ou furent par le passé ses belles prunelles. Autrefois d'un blanc profond, aujourd'hui, de simples orbites noires, qui pourtant, caché en leur cœur, une flamme qui refusait de s'éteindre malgré son pitoyable état. Lui qui aurait du disparaître, cesser d'exister depuis des éons, affichait encore et toujours, là où se trouvait par le passé ses lèvres, un sourire. Celui d'un homme qui avait en lui-même, une confiance indéfectible, il sortirait de ce monde, cela ne faisait aucun doute pour lui. Il n'était pas un seul lien, une seule prison capable de le retenir.

De temps à autre, le Geôlier venait le voir, lui qui était une énigme pour ce monde ou les règles étaient immuables, était pour le bras droit d'Izanami un mystère qu'il devait résoudre.

- De quoi es-tu fait ? Toi, comment fonctionnes-tu ? Il n'est plus rien de toi. Plus le moindre muscle, tes os sont à l'air, une large partie de tes organes sont si atrophiés qu'ils sont à peine visible. Tes yeux ont disparu, et pourtant, tu continues d'être. Un corps qui survit, ton âme elle-même est-elle encore en toi ? Où as-t'elle, elle aussi abandonnée ce véhicule vulgaire ? Es-tu seulement capable de me répondre ? Toi, qui ne conserve de ton ancienne gloire que ta mâchoire, tes dents, et ta langue pour goûter l'air putride que tu respires ? Es-tu toujours capable de parler ?

Un rire traversa la distance qui le séparait du Geôlier. Un rire faible, et pourtant, qui résonnait à travers le Yomi, un rire qui fit frémir le gardien des morts. Qui fit trembler les branches du Vieil-Homme.

" J't'avais bien dit que j'disparaitrais pas ".

Ces mots, à peine chuchotés, eux, peinèrent à entendre les oreilles décomposées du mort.

Certain que son interlocuteur était maintenant bien trop faible pour tenter quoi que ce soit, le Geôlier s'approcha d'un pas certain. Eikichi était si faible, si maigre que les cordes qui le liaient à l'arbre étaient devenue lâche, son poids n'étant même plus suffisant pour les tendres. Si le moindre vent existait en ce monde, il aurait chut depuis longtemps. Par chance, ici, il n'existait que les vapeurs de soufre, et l'odeur de la putréfaction.

- Que dis-tu ? Je ne t'ai entendu.

" Approche, si tu veux savoir. "

À nouveau, les sons peinaient à l'atteindre, il n'était rien d'autre qu'il ne puisse faire, que de s'approcher. Attiré par ces paroles, il avança, tendant son oreille vers les restes de lèvres d'Eikichi. Son souffle chaud caressé les restes d'oreilles du Geôlier et son odeur de pourri envahis les sens du pauvre homme. Cette odeur, bien qu'il pensait s'y être habitué, causa chez lui un mouvement de recul... Où aurait dû le faire, sans le moindre muscle, impossible de se mouvoir.

" Bon appétit. "

Les orbites pourries du Geôlier s'ouvrirent en un instant sous la surprise. Puis, un hurlement perça le silence de mort du Yomi.

Malgré son état, à peine, avait-il fini sa phrase, que sa mâchoire, à la manière d'un piège à loups vint se refermer sur la gorge du Geôlier.

Pour la première fois depuis bien trop longtemps, Eikichi sentit sur sa langue le goût de la chair. Malgré son état, à peine, avait-il fini sa phrase, que sa mâchoire, à la manière d'un piège à loups vint se refermer sur la gorge du Geôlier. Lui, qui n'avait pas la force de reculer, de bouger le moindre muscle il n'y avait que quelques instants, venait d'arracher avec une grande force, un large morceau de chair de l'homme qui l'avait lié à l'arbre.

Le goût, ce sens qu'il avait jusqu'à présent maudit, et pourtant, cultivé, fit de cette expérience la pire de sa vie... Et la meilleure. De cette simple bouchée, de l'odeur, du goût de ce sang immonde, souillé, Eikichi retirait la force nécessaire à se libérer de ses liens. En quelques à-coups, il brisait sa prison de bois et de cordes. Chut au sol, et rampait jusqu'au Geôlier qui l'observait avec une peur et un désespoir palpable. Ses yeux étaient encore creux, et vide, et pourtant, il visualisait parfaitement l'emplacement de sa proie.

Le Geôlier tenta de fuir, mais ses mouvements, hasardeux, paniqué, causèrent sa perte. D'une main, Eikichi saisit la cheville de son bourreau, et se tira jusqu'à lui...

Quelques heures plus tard, il ne restait que le jeune homme, assis sur une pierre. Face à lui, les renforts du Geôlier, des esprits, armés jusqu'aux dents, prêt à renvoyer le jeune homme à sa place.

" Vous tombez bien, l'entrée m'a laissé sur ma faim. "

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