4. ANDRE

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André devrait déjà être rentré, pourtant il continue de déambuler dans les rues illuminées. Son cerveau tourne à plein régime, le froid le stimule. Il pense à Maria, à cette maladie qui ne signifie pas grand-chose pour le moment, mais qui gagnera du terrain, tôt ou tard.

Jamais l’envie de rompre sa promesse ne l’a tourmenté à ce point. C’est à Maria qu’il doit sa deuxième vie. Sans elle, sans sa présence, il aurait capitulé. Mais au lieu de sombrer, il s’est accroché à sa main tendue, a pleuré tout ce qu’il avait à pleurer, a parlé de lui, de sa fille, de sa femme, des heures durant. Maria l’a écouté comme elle avait promis de le faire lors de leur première rencontre. Elle ne l’a pas jugé, n’a pas essayé de lui ôter ce sentiment de culpabilité qu’il ressentait. Elle lui a juste offert une oreille attentive, une épaule sur laquelle s’épancher et quelques mots réconfortants. Pas de ceux qui rassurent ou disculpent. Simplement des mots sincères. Des mots qui font mal tant ils sont vrais. Elle ne lui a pas menti. Il se sentira responsable de l’accident jusqu’à la fin de sa vie. Comment peut-il en être autrement ? Il pleurera l’absence de sa fille jusqu’à sa mort. Mais, lorsque le désespoir se révèle trop grand et l’engloutit, il ferme les yeux et, comme Maria le lui a suggéré, il se rappelle. Les heures passées à veiller Sarah, sa main dans la sienne pour qu’elle n’ait plus peur des monstres sous son lit. Ses bras autour d’elle et ses T-Shirt mouillés de larmes lorsqu’elle se blottissait contre lui pour essuyer ses chagrins d’enfance. Les queues de cheval un peu lâches qu’il lui faisait pour ne pas qu’elle ait mal sous sa bombe d’équitation. Les petits mots qu’il laissait dans sa lunch-box ou sous son oreiller. Les jurons qu’il taisait devant les copains qu’elle lui présentait. Les « Je t’aime » qu’il lui murmurait chaque soir avant de la border.

C’est aussi à Maria qu’il doit de s’être rapproché de Nathalie. Il l’a d’abord laissée pleurer seule et le haïr. Puis, suivant les conseils de son amie, il lui a rappelé sa présence, par petites touches pudiques. Ils ont mis des années à se retrouver, à essuyer les larmes de l’un pour se guérir du chagrin de l’autre, à combler le manque de Sarah par des anecdotes qui aujourd’hui les font sourire.

André pousse finalement le porche de son immeuble et monte jusqu’à son appartement. Dès l’entrée, il entend le violoncelle grincer de douleur. Il s’approche et observe Nathalie depuis l’embrasure de la porte du salon. Les yeux fermés, le front plissé, elle accompagne d’un mouvement de tête les notes écorchées qui émanent de l’instrument calé entre ses jambes. Nathalie a trouvé un exutoire à sa peine et s’accorde chaque jour une plongée dans sa mélancolie musicale. Étrangement, lorsqu’elle en sort, André la trouve plus sereine, plus vivante. Nathalie ouvre les yeux, se dégage de l’instrument et s’avance vers lui.

— Continue…, lui dit-il en l’embrassant sur le front.

— Non, j’ai assez torturé cet instrument pour aujourd’hui. Je te sers quelque chose.

— Une citronnade.

Tandis qu’André s’approche de la platine, Nathalie s’éclipse en cuisine pour préparer les verres. Depuis l’accident, il n’a plus jamais touché à une goutte d’alcool, qu’il a remplacé par la saveur du citron, le parfum préféré de Sarah. Il a longtemps cru que Nathalie lui en voulait d’avoir bu avant de prendre la route mais à vrai dire c’est à elle qu’elle en voulait. De ne pas avoir été assez présente pour lui et pour leur fille. De n’être jamais parvenue à les faire passer avant son travail. Incriminer André lui permettait de ne pas regarder sa propre culpabilité en face… C’est ce qu’elle lui a avoué un soir où ils se recueillaient tous deux sur la tombe de leur fille. Sa rencontre avec Maria lui a fait regarder les choses en face. La voir assumer son désespoir en dépit de ce qu’on pouvait bien penser d’elle l’a reconnectée à son couple, à sa tendresse pour André, à leur chagrin commun que eux seuls pouvaient absorber l’un de l’autre.

— Comment va Maria ? lui demande Nathalie.

— Elle fait l’autruche comme d’habitude.

— C’est peut-être plus facile à gérer ainsi.

— Mmm…

— Je n’aime pas cet air soucieux. Qu’est-ce que tu ne me dis pas ?

— C’est grâce à elle qu’on en est là aujourd’hui.

— En partie oui.

— Je voudrais pouvoir lui rendre la pareille.

— Tu es présent pour elle, c’est déjà beaucoup.

— Je voudrais faire plus.

— Tu penses à quoi ?

André hésite. Il a refoulé son idée des dizaines de fois sur le chemin du retour mais elle se rappelle sans cesse à lui.

— Je parle de rompre ma promesse.

Il s’est à présent tourné vers elle pour la sonder, pour obtenir son soutien aussi.

— Elle risque de t’en vouloir.

— Elle finira par oublier…

— André !

— Si avant d’oublier toute ta vie, tu avais de nouveau l’occasion de passer du temps avec Sarah, que ferais-tu ?

— La situation n’est pas la même.

André ne répond pas. Nathalie a raison. Pour eux la question ne se pose même pas. On ne fait pas revenir les morts. Mais les vivants ?

**

Quand Nathalie se réveille, André est déjà attablé devant son ordinateur. Son regard fixé sur l’écran tout noir en dit long. Il rumine. Une tasse de café en main, Nathalie s’approche et lui presse l’épaule.

— Bien dormi ? lui demande-t-il en revenant à lui.

— Mieux que toi j’imagine. Tu as décidé ?

— Oui.

— Et comment comptes-tu t’y prendre ?

— Je n’en sais foutre rien !

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