Chapitre 2

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J'ouvrai la porte sur ma mère qui me tendit le sac d'Oly en même temps qu'elle l'invitait à entrer. Je les regardai avancer toutes les deux dans mon salon tandis que je restai planté là, pieds nus sur mon paillasson, à me demander quel train j'avais manqué.

  • Et ta chienne ? demandai-je finalement en refermant la porte.
  • Poppy ?

Poppy ! Mais quel con !

  • Elle est chez Martha, répondit ma mère comme une évidence. C'est toujours là qu'elle va quand je ne peux pas la prendre avec moi.

Et elle pouvait pas prendre la gamine aussi ? Je gardais cette question pour moi et lui demandai plutôt :

  • Et elle ne devrait pas être en relais ?
  • Normalement si, avoua t-elle, hésitante. Mais l'opération a été avancée et les familles ne sont pas disponibles. Tu sais comment c'est...

Je ne l'écoutais plus. Ce martellement sous ma tempe droite. Le mal de crâne me menaçait de nouveau. Ma mère s'approcha doucement de moi et posa sa main sur mon épaule.

— Ce n'est que pour un jour. Je viendrai la rechercher demain soir. Elle ne t'embêtera pas.

Puis, reposant ses yeux brillants sur Oly elle ajouta :

  • C'est de loin la jeune fille la plus douce que je connaisse.

Elle allait encore s'attacher. Comme elle l'avait fait des dizaines de fois avant ça.

Des gamins, j'en avais vu passer ! Je devais avoir 8 ans lorsque mes parents m'avaient annoncé qu'on allait accueillir un autre enfant. Moi qui n'avait ni frère, ni sœur, j'étais content à l'idée d'avoir enfin quelqu'un avec qui jouer. « Il faudra être gentil avec lui, il n'a pas eu une vie facile », m'avaient dit papa et maman. Alors, je l'avais accueilli avec le sourire et lui avait fait une place dans ma chambre. J'avais été gentil. Mais Robin n'avait rien du « frère » que j'espérais. A 6 ans, il ne parlait pas, chouinait tout le temps, pissait au lit, et suivait ma mère partout. Petit à petit, il se l'était accaparée. Elle l'avait câliné et consolé et lui avait cessé de chouiner. Quant à moi, j'étais retourné à ma solitude.

Après lui, il y avait eu Anna. J'avais 10 ans. Autant je m'étais réjoui de l'arrivée de Robin, autant l'idée d'accueillir une fille m'avait rebuté. Je n'avais pas tort. Anna était une teigne. Incapable de gérer la moindre frustration. Elle balançait tout, se jetait par terre et hurlait à la mort. Et puis quand elle avait terminé, elle se blottissait dans les bras de ma mère, qui, toujours aussi douce et aimante, lui chantait des berceuses. Au fil du temps, ses crises s'étaient espacées. Et moi, j'avais laissé entrer la colère.

Il y avait aussi eu, Bastien, Kenzo, Mya, Axel, Peter, Krystal et peut-être d'autres dont je ne me rappelle plus les noms. Certains n'avaient été que de passage, le temps d'un relais ou d'un placement provisoire, d'autres étaient restés plus longtemps. Un an, parfois deux.
Ils avaient tous des problèmes, des souffrances que ma mère tentait tant bien que mal d'apaiser, et tandis que leur cœur se remplissait de son amour, le mien se vidait.

Je l'entendais souvent pleurer, dire à mon père qu'elle n'arriverait jamais à combler leurs manques. J'avais envie de lui hurler dessus, de lui dire qu'elle en faisait déjà beaucoup trop ! Pourquoi s'acharnait-elle ? Qu'est-ce qu'elle cherchait à prouver ? Je les haïssais, tous autant qu'ils étaient, du mal qu'ils lui causaient avec leurs emmerdes. Et secrètement, je haïssais aussi mes parents de les avoir fait entrer dans ma vie. L'amour ça peut parfois faire plus de mal que de bien !

Je n'ai jamais réussi à protéger ma mère de cette souffrance. Elle est comme ça. Elle donne. De son temps, de son amour, de sa vie. J'ai appris à l'accepter mais j'me suis juré de ne jamais aimer à ce point et surtout de ne jamais faire de gosses !

  • Ça va aller ? me demanda t-elle, sensible à mes remarques silencieuses.
  • Ben ouais.
  • Bon alors j'y vais, s'il y a le moindre soucis...
  • ...je t'appelle ! Allez va !

Ma mère me gratifia d'un sourire ému, puis s'approcha d'Oly pour la serrer dans ses bras avant d'en faire autant avec moi.

Je m'affalai dans mon fauteuil au moment où la porte d'entrée claquait. Je fermai les yeux. Les coups de marteau se faisaient plus forts. Tic-Tac, Tic, Tic-Tac. Agacé par cette foutue pendule, je rouvrai les paupières. Oly était toujours plantée au même endroit, sa veste en jean sous le bras.

  • Y'a une patère, fis-je en désignant l'entrée du menton.

D'un pas hésitant, elle alla accrocher le vêtement puis ne sachant pas trop quoi faire, elle parcourut des yeux l'ensemble de la pièce, tout en tenant devant ses genoux, un vieux sac à dos élimé. Je l'observai d'un œil. Elle portait des Converse, un jean large et un T-shirt noir sur lequel elle avait rajouté une chemise à carreaux, large elle aussi. Ses longs cheveux pendaient devant son visage pâle. Elle me donna l'impression de vouloir se cacher des autres, à moins qu'elle ne cherche à se cacher d'elle-même ?

Elle décida enfin à s'asseoir sur le canapé en face de moi puis ouvrit son sac duquel elle sortit un baladeur MP3. Un de ceux que j'avais dans les années 2000 lorsque j'avais à peu près son âge. Qui avait encore ça de nos jours ?

Elle enfonça le premier écouteur dans son oreille gauche et laissa le second pendre sur sa poitrine, puis elle ouvrit un cahier à spirales et plongea son regard dans le mur à sa droite. Dans mon vieux canapé en velours marron, usé sur l'assise, elle semblait comme à sa place. Elle resta comme ça de longues minutes. Tic-Tac, Tic, Tic...

Je me rendis compte que je la dévisageais depuis bien trop longtemps alors je décidai de refermer les yeux. Je sentais la fatigue me gagner et laissai soudain le noir qui attendait derrière mes paupières soudées, m'envahir.

« Elle était là depuis quoi ? 3 jours maintenant ? Je ne lui avais pas adressé la parole, me contentant de descendre manger quand ma mère m'appelait pour le diner et de remonter une fois le repas terminé. Sans lui accorder le moindre regard. Elle non plus, n'avait pas cherché à m'approcher, ni à me parler. Elle ne parlait pas beaucoup d'ailleurs. J'entendais ma mère lui poser des questions auxquelles elle répondait laconiquement. Mais toujours poliment. Elle ne faisait pas de bruit. Pas autant que les autres. Et elle ne cherchait pas à attirer l'attention sur elle. Elle passait le plus clair de son temps, assise contre le bow-window du salon. Je le savais parce que j'entendais ma mère lui parler du jardin. Il n'y avait que de cet endroit qu'on pouvait en apprécier la vue.

Assommé par les basses qui vrillait mes tympans depuis un moment, je m'étais décidé à quitter mon antre. J'avais sorti une cannette de soda du frigo et entamé l'ouverture de ma barre de snickers quand je l'avais vue, assise contre les fenêtres, les genoux remontés contre sa poitrine. Q'est-ce qu'elle foutait encore là ? Elle ne sortait donc jamais ? m'étais-je demandé. J'avais été agacé mais j'étais chez moi après tout ! Et j'avais décidé de m'imposer. Je m'étais vautré dans le canapé, en faisant claquer mes pieds sur la table basse. Je l'avais vue lever son nez de mon bouquin et m'adresser un regard furtif.

  • Qu'est-ce que tu lis ? lui avais-je craché.

Elle avait refermé son livre pour m'en montrer la première de couverture. « L'Odyssée, d'Homère. » J'avais levé un sourcil.

  • Ça doit être chiant !

Elle avait souri. Un de ces sourires qui veulent dire que tu ne partages pas le même avis que l'autre mais que t'es assez indulgent pour comprendre. J'avais affaire à une intello polie. Jamais testé ! D'ordinaire c'étaient des rebelles, insolents, limite psychopathes. Toutes les bonnes raisons de les détester. Mais elle ?

Je lui avais lancé :

  • C'est quoi ton nom ?
  • Rave.

« Reiv ? » J'avais décidé de la provoquer un peu.

  • Comme dans « Rave party » ? avais-je demandé , un sourire moqueur sur les lèvres.

Elle avait planté ses iris bleus dans les miens.

  • Sans doute ! Ma mère est une junkie, c'est assez logique en fait.

Elle avait continué de me regarder pendant que je me raclais la gorge, pris au dépourvu par sa répartie. Puis, elle avait replongé dans sa lecture, imperturbable. Je m'étais levé pour retourner dans ma chambre.

« Rave » Encore une timbrée ! »

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