Chapitre 13

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« Véra observait cette plume dont les aigrettes soyeuses semblaient incrustées d'infimes éclats de diamants. Un pur joyau sorti des entrailles de la Terre. »

  • Tu lis toi maintenant ?

Je me retournai. Absorbé par ma lecture, je n'avais pas entendu ma mère arriver. Je m'étais levé quelques minutes plus tôt, réveillé par un silence environnant. Dans la cuisine, les effluves de café envahissaient la pièce et deux tasses séchaient à côté de l'évier. Olympe et ma mère devaient être parties. Je me demandais bien où elles pouvaient se trouver alors qu'il n'était pas encore 9 heures. Après m'être servi un mug rempli de café noir, je m'étais installé à table pour reprendre ma lecture de la veille.

Les mains sur les hanches, ma mère me regardait avec surprise. J'étais sûr que des flashes de moi devant mon manuel de lecture devaient défiler devant ses yeux. Elle en avait passé du temps à mes côtés, pour suivre du bout des doigts, les lignes que j'ânonnais. Elle s'était toujours montrée douce et patiente alors même que les mots, bloqués dans ma gorge, franchissaient péniblement la barrière de mes lèvres. C'est le regard d'encouragement qu'elle me portait qui avait engagé ma persévérance. Sans cela, j'aurais balancé ce foutu cahier en hurlant ces putains de mots qui me pourrissaient la vie.

Elle s'avança finalement pour m'embrasser sur le front.

  • Qu'est-ce que c'est ?
  • Le carnet de Rave.

Je la vis se raidir tandis qu'elle me tournait le dos pour prendre une tasse sur l'évier. Son geste était furtif, presqu' imperceptible mais je l'avais saisi en plein vol.

  • Tu savais qu'il était là depuis toutes ces années ? lui demandai-je.

Elle fronça les sourcils.

  • Où ça ?
  • Dans la chambre de Rave. Enfin...celle d'Olympe maintenant. C'est elle qui l'a trouvé.
  • Impossible. Je l'aurais aperçu en faisant le ménage.
  • Peut-être que tu n'y as jamais prêté attention...ou peut-être qu'il était dans un tiroir...
  • J'ai toujours vidé la chambre des objets que les enfants avaient laissés, avant d'en accueillir d'autres. Non Hector, si ce carnet avait été ici, je le saurais.

Une lueur s'alluma dans le regard de ma mère qui se retourna brusquement pour vider la tasse qu'elle venait de se servir. Ses gestes étaient rapides.

  • Je...je vais au cimetière. Je vais retirer les emballages des fleurs avant qu'elles n'étouffent. A tout à l'heure.

Je la vis quitter la maison précipitamment. J'étais persuadé que c'était cette conversation qu'elle fuyait avec autant d'empressement. Qu'est-ce qu'elle me cachait ? Et d'où sortait ce carnet ? Olympe m'aurait-elle menti ?

Les questions se bousculaient dans mon esprit et je sentais ma confiance en elles s'égrener à mesure qu'une boule de colère enflait dans ma poitrine. Je sortis à mon tour. Je comptais sur l'air printanier pour balayer les doutes qui s'immisçaient en moi. Le soleil chauffait mon visage tendu vers un ciel bleu, tout juste strié de nuages cotonneux.

Je ne comprenais pas la dimension dans laquelle j'étais plongé depuis quelques jours. Les événements s'enchainaient sans que j'en saisisse le sens et j'avais la curieuse sensation d'être une marionnette suspendue à des fils qu'une main ferme agitait à son bon vouloir. Cette chienne de vie, assurément.

Mon regard délaissa l'immensité pour se fixer sur la grange devant moi. Je m'avançai vers la porte cochère que je poussai, le cœur battant. Le silence et le froid transpercèrent mes souvenirs. Devant moi, s'étalaient les fours éteints. Seules les flammes du passé dansaient au creux de mes yeux et illuminaient cette vaste pièce devenue aussi sombre que mon cœur. Je m'approchai des tables sur lesquelles gisaient les pâtes de verre et les outils de mon père. Combien de fois étais-je venu ici, pour réchauffer mon âme qui se cristallisait comme de la glace ? Combien de fois avais-je observé, mon père, le front perlant de sueur, donner vie au verre en fusion ?

Je balayai la pièce du regard. Il ne restait plus rien des traces de l'incendie qui avait tenté de ravager l'univers de mon père. Fort de patience et de persévérance, il avait reconstruit son atelier à l'identique, prenant soin d'effacer, une à une, toute ces trainées de suie qui léchaient les quelques pans de murs restés debout. Je laissai mes doigts effleurer les tables en métal dont le froid contrastait avec ce feu que je sentais brûler en moi. Sur l'établi à ma gauche, étaient punaisées quelques photos. Des clichés de ma mère ou de moi à différents âges. Une photo attira particulièrement mon attention. Nous étions tous les trois serrés devant l'objectif. Mon père enlaçait d'une main l'épaule de ma mère tandis qu'il tenait sa canne à pêche dans l'autre. J'étais juste devant eux. Mes yeux étaient fermés et un large sourire étirait mon visage. Ma mère regardait mon père avec une fierté qui s'illustrait sur le papier glacé par cet éclat brillant qu'on voyait poindre au coin de ses yeux. Quant à mon père, sa moustache brune ne suffisait pas à dissimuler la joie qu'il ressentait. Je l'avais rarement vu aussi expressif.

Un bruit de pas me fit sursauter. Olympe se trouvait là, son sac sur le dos.

  • Salut, me lança t-elle.

Je ne lui adressai qu'un bref regard enrobé d'amertume. J'avais été beaucoup trop loin en si peu de temps, emporté par des émotions que j'avais pourtant pris soin de maitriser depuis des années. La mort de mon père, la douceur d'Olympe qui me rappelait sans conteste celle de Rave avaient percé cette armure que je m'étais forgée, me replongeant dans des souvenirs plus doux qu'ils n'étaient en réalité.

Car la réalité c'était que Rave était morte et que mon père n'avait plus jamais été le même après ça. Et ce carnet que la gamine m'avait mis entre les pattes n'y changerait rien. Je ne voulais plus rien savoir, ni d'où il sortait, ni ce qu'il contenait. Je voulais retrouver ma maison, mon fauteuil et mon semblant de tranquillité.

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