Chapitre 1 [Olympe]

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** Attention, changement de point de vue **

Ce n'était pas le premier portrait d'Hector que j'esquissais. Je l'avais tant observé ces derniers jours qu'il m'était facile, aujourd'hui, de le dessiner sans qu'il soit présent à mes côtés.

La première fois, c'était le soir où j'étais arrivée chez lui. Il était assis dans son fauteuil, la tête légèrement renversée en arrière, laissant deviner des micro-coupures sous le menton. J'avais attendu qu'il s'assoupisse pour tracer le contour de son visage. Les cernes sous ses yeux et l'air soucieux qui plissait le creux de ses sourcils avaient attiré mon attention. J'avais passé un certain temps à ombrer la partie inférieure de ses paupières afin de rendre compte, le plus fidèlement possible, de cette légère teinte cendrée qui semblait vouloir lui manger les yeux.
Je voyais sa mâchoire se contracter tandis que le pli entre ses yeux ne se relâchait pas. On aurait dit qu'il luttait contre des songes désagréables. C'était peut-être la raison pour laquelle il possédait ces ombres grisâtres sous le regard.

Le lendemain, il était sorti dehors pour s'installer sur les marches de son perron. Il était resté un long moment à fouiller le ciel des yeux, comme s'il cherchait quelque chose – ou quelqu'un – au milieu de cette immensité. J'avais voulu rendre compte de la poésie que ce moment m'inspirait. Il m'aurait été plus facile de le photographier mais j'aimais tout particulièrement le grain charbonneux du fusain qui ajoutait une sorte de profondeur à la nostalgie d'un portrait.

Sur le troisième feuillet qui lui était consacré, c'était l'amour qu'il avait pour sa mère que j'avais voulu dessiner. J'avais vu la façon dont il la regardait à l'église, cet éclat de douleur qui se répercutait dans ses propres yeux. Est-ce qu'il savait que sa seule présence à ses côtés atténuait déjà un peu son chagrin ?

J'aimais beaucoup cette famille qui, sans se parler, savait véhiculer tant d'émotions. Chacun de leurs gestes sonnait juste et témoignait de la tendresse qu'ils se portaient. J'appréciais le calme qu'ils m'offraient, ces moments de silence qui faisaient taire la colère et le chagrin en moi.

Je regardai la page sur laquelle je venais de griffonner. J'avais dessiné Hector tel qu'il m'était apparu ces derniers jours : les traits plus détendus avec l'ombre d'un sourire sur les lèvres. Tout en passant le doigt sous son œil droit pour atténuer la noirceur du trait, je me demandais où il en était de sa lecture. Avait-il compris ? Était-ce pour cela qu'il s'était enfui ?

Lorsqu'il s'était emporté en voyant le carnet entre mes mains, j'avais deviné qu'il était lié d'une manière ou d'une autre à cette histoire que je lisais. Par la suite, j'avais compris que le pêcheur que Rave mentionnait dans son récit n'était autre qu'Hector. Alors, les choses s'étaient bousculées dans mon esprit. J'avais saisi les raisons pour lesquelles ma mère m'avait conduite jusqu'ici et pourquoi elle avait laissé ce carnet à ma portée. Car c'était elle, j'en étais certaine, qui avait fait en sorte que je tombe sur cette histoire.

Je délaissai mon cahier et me levai pour faire le tour du salon. Je laissai ma main caresser les meubles que je frôlais tandis que mes yeux étaient plongés dans mes pensées. Lorsque mon regard se fixa sur la couverture en cuir, mon cœur se mit à battre plus fort. Hector ne l'avait donc pas emporté. C'est la main tremblante que je l'ouvris pour découvrir à quel moment du récit il était arrivé.

« Véra observait cette plume dont les aigrettes soyeuses semblaient incrustées d'infimes éclats de diamants. Un pur joyau sorti des entrailles de la Terre. Elle ne cessait de la détailler, fascinée par le scintillement que provoquait le tournoiement de cette plume sous ses doigts. Le pêcheur, lui, semblait amusé par tant d'émerveillement.

  • Pourquoi ne la gardes-tu pas pour toi ? avait demandé la jeune femme.
  • Parce que tu en as plus besoin que moi.

Il avait dit ça et s'en était allé, laissant Véra songeuse. De quoi avait-elle le plus besoin ? Elle avait quitté cette terre de malheur où elle avait grandi et s'était enfin trouvé un abri. Sa seule volonté était de rester dans cet endroit que la présence de ce pêcheur rendait aussi troublant qu'apaisant. »


Je levai le nez du carnet, ne pouvant m'empêcher de superposer l'histoire de Véra à celle de Rave. Je ne connaissais rien de la vie de cette jeune fille de dix-sept ans et j'avais espéré qu'Hector la partagerait avec moi lorsqu'il comprendrait l'importance que cela pouvait avoir pour moi. Je l'avais vu se métamorphoser sous mes yeux, passant de l'alcoolique chronique qui n'aime rien ni personne à l'homme bienveillant qui se soucie autant de sa mère que d'une simple étrangère.

Malheureusement, il avait quitté la maison, sans même que son départ ait un quelconque rapport avec ce carnet. Il était peut-être tout simplement aussi incapable de donner qu'il le prétendait. Je ravalai la boule de déception qui nouait ma gorge. Si je devais retenir une leçon de cette pauvre vie que l'on menait, c'était qu'on était finalement bien seul au monde.

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