Chapitre 4

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Une fois le médecin parti, Marianne et moi étions restées, immobiles, les yeux perdus dans le vide. Nous savions depuis plusieurs jours que ma mère avait entamé sa course vers la mort mais, bien que nous nous soyons préparées à entendre les mots qui venaient de nous être dits, la stupeur demeurait.

Se prépare t-on seulement un jour à affronter le départ de nos proches ?

Marianne rompit le silence que nous avions laissé s'abattre sur nous. Elle s'approcha de ma mère et, de sa main chaleureuse, lui caressa le crâne. Des larmes avaient envahi ses petits yeux sombres, pourtant je la voyais lutter pour ne pas les faire couler. Pour ma part, j'étais incapable de bouger, meurtrie par les émotions qui se bousculaient à l'intérieur de moi. Je me sentais si égoïste de n'avoir pensé qu'à ce fichu carnet et aux questions qui me taraudaient au point d'en avoir presqu' oublié tous ces merveilleux moments passés aux côtés de ma mère

Chacun de mes souvenirs en sa compagnie était empreint de douceur et de poésie. Et tout me revint en mémoire, comme ces bouts d'étoffes décousus qui à la fin forment un beau patchwork : nos balades en forêt lorsque je courais partout pour débusquer les lièvres cachés et que ma mère, loin de m'arrêter, riait ; les recettes que nous inventions avec nos visages poudrés de farine et nos quatre mains unies dans le même saladier ; les musiques que nous écoutions et sur lesquelles nous chantions à tue-tête ; nos fous-rire endiablés et les discussions que nous partagions l'une contre l'autre serrée. Je n'avais manqué de rien hormis peut-être la présence d'un père que Papé essayait de combler comme il le pouvait. Mais, je crois que pas une seule fois, ma mère n'avait oublié de me montrer combien le cœur d'une mère est grand. J'avais appris à comprendre que le monde n'était pas rose, que les gens n'étaient pas tous bienveillants, mais ma mère savait poser un regard particulier sur tout ça et dans chacun de ces gestes, elle tentait de me l'enseigner.

Je ne sais pas combien de temps nous restâmes auprès de ma mère avant de décider qu'il était l'heure pour nous de rentrer. En quittant l'hôpital, je croisai Caroline. Elle tenta de me rassurer en me promettant que son collègue Dimitri et elle prendraient bien soin de ma mère mais je n'eus pas la force d'acquiescer.

Dans la voiture, je regardais défiler la ville comme un film en avance rapide. Je ne voyais ni les immeubles qui se succédaient, ni les feux tricolores qui nous sommaient de nous arrêter. Le visage de ma mère s'étalait sur le pare-brise, aussi éblouissant que le soleil qui darde ses rayons dans notre direction et entrave notre vision. Malgré les douleurs de son passé, malgré ce cancer qui la rongeait, elle me souriait.

J'aimais ce sourire et cette façon qu'elle avait de me regarder quand je lui parlais, comme si, chaque fois, elle me redécouvrait. J'aimais ces histoires qu'elle me racontait. Des mondes tissés de fil d'argent qu'elle déroulait dans le crépuscule de nos journées. J'aimais sa voix qui me guidait comme le murmure du vent dans le matin naissant, et ses gestes qui m'accompagnaient pour m'apprendre comment tomber.

Elle m'avait tout appris. Sans finalement jamais rien me dire. Cette vérité m'explosa en plein visage et je restai un moment à considérer le point de vue qui venait de faire surface au beau milieu de ces fragments de vie.

Elle ne m'avait jamais rien dit parce qu'elle me faisait suffisamment confiance pour me laisser appréhender la vie par moi-même.

Je fouillai dans mon sac et en sortis le carnet en cuir. Je feuilletai les pages avec frénésie jusqu'à parvenir à ce dernier chapitre qu'elle avait écrit.

« Véra repensait à cette plume souillée de son propre sang. C'était avec l'encre de ses veines qu'elle avait enfin trouvé le courage de réécrire son histoire. Les monstres avaient disparu, tout autant que cet horrible corbeau au cœur de pierre qui, pendant bien trop longtemps l'avait glacée d'effroi. Il ne lui restait plus beaucoup de temps mais Valraven* était vaincu. Elle pouvait à présent mourir en paix.

Elle s'allongea dans l'herbe putride, berceau de sa naissance, et ferma les yeux. Elle pensa à cet enfant qu'elle avait eu la chance de sentir grandir en son sein, et qu'elle avait sauvé de ce monde cruel et dénaturé. Elle pensa à ce pêcheur qu'elle avait continué à aimer malgré le sort qui les avait frappés. Il lui avait offert bien plus qu'une simple rémige. Il lui avait fait cadeau de ce dont elle avait toujours été privée : un nouveau souffle de vie. Et, tandis que les battements de son cœur murmuraient leurs derniers accords, elle se mit à rêver. D'une jeune fille qui glissait sa main dans celle d'un pêcheur. »

  • Je ne crois pas que ta mère voulait te laisser la responsabilité de poursuivre cette histoire, déclara Marianne, l'air soucieux. Quand je te parlais de choix, je parlais...
  • ...de choisir moi-même ce que je voulais pour moi.

Marianne se tourna vers moi et me sourit tristement.

  • C'est ça.

À travers l'histoire de Véra, mise en mots par Rave, le message qu'elle voulait me faire passer c'était que peu importent les obstacles qui jalonnent notre vie, on peut toujours choisir de poursuivre ses rêves.


*Dans le folklore danois, un valraven est un corbeau surnaturel décrit comme le corbeau des tués, qui consomme les corps des morts sur les champs de bataille . Ils se transforment alors en créature surnaturelle qui acquiert la mémoire et les dons de celui qu'il dévore.

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