Chapitre 11

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La main d'Hector n'avait pas lâché la mienne.

On entendait toujours la machine émettre la fréquence cardiaque de ma mère. L'oscillation était anarchique mais témoignait du reste de vie qui pulsait encore en elle.

Caroline s'approcha de ma mère et retira le masque à oxygène. Je l'interrogeai du regard.

— Nous lui avons administré un protocole de détresse pour mettre fin à son agonie.

Je ne l'avais pas vue faire.

Je sentis les doigts d'Hector serrer un peu plus fort les miens. Je songeai qu'il ne se remettrait sans doute jamais de ce départ. Il avait cru pendant toutes ces années à la mort de Maman mais lorsqu'il pensait à elle, c'était la jeune fille aux longs cheveux blonds avec un sourire au coin des lèvres qu'il voyait. À présent, ce serait une femme amincie, le crâne lisse, les yeux fermés, cernés avec une cicatrice de brûlure sur la joue gauche qu'il se rappellerait. Je priais pour que des souvenirs plus heureux résistent à cette vision.

— Elle ne souffre plus, rajouta t-elle.

— C'est comme si elle dormait ?

— C'est ça.

Caroline tendit la main vers ma joue.

— Elle va partir doucement, enveloppée dans l'amour de sa famille. Tu as réussi Oly !

Ses mots firent remonter la boule coincée dans ma gorge jusqu'à la faire jaillir. Hector lâcha ma main pour me caler contre sa poitrine. Je sentais sa barbe me piquer le front et ses bras me serrer de toutes ses forces. Ça pulsait sous son T-Shirt, suivant le rythme de mes sanglots. Son cœur aussi pleurait.


**


Lorsque nous regagnâmes la maison, Marianne se déchaussa et enfila ses chaussons, Hector en fit de même mais resta en chaussettes. Quant à moi, je restai pieds nus, laissant la froideur du carrelage se mêler à celle de mon cœur. Puis je sentis la main de Marianne saisir mon bras pour me faire asseoir tandis qu'Hector sortait une casserole. C’est bête comme des gestes aussi simples peuvent apporter autant de réconfort. Je me sentais à la fois vide et remplie. Étrange sensation.

— Tiens avale ça.

Hector déposa un bol de soupe devant moi. L’odeur de poireaux et de céleri me renvoya à mon enfance quand, après avoir accompagné Papé au jardin, je ramenais les légumes fraichement cueillis à Maman pour les cuisiner. Une larme silencieuse roula sur ma joue. Remplie de tristesse et de joie.

Hector et Marianne échangèrent un regard.

— Ça va aller ? demanda Hector.

— Oui, je suis juste contente de sentir l’odeur des poireaux.

Il acquiesça sans comprendre. Moi je savais que cette soupe c’était à la fois le souvenir de Papé et Maman mais aussi, à compter de ce jour, l’image de Marianne et d’Hector auprès de moi.

Après que nous eûmes terminé notre repas, Marianne me serra longuement dans ses bras.

— Si tu as besoin de quoi que ce soit cette nuit, n’hésite pas à me réveiller, d’accord ?

— Promis.

— Je suis fière de toi !

Elle monta. Je scrutai Hector qui, assis dans le canapé, regardait le vide devant lui. Je grimpai l’escalier, fouillai ma chambre et lorsque je trouvai ce que j’étais venue chercher je redescendis et m’assis à ses côtés.

— Tiens, lui lançai-je.

— Qu’est ce que c’est ?

— Des albums de moi petite. Avec Maman.

Il me dévisagea. Je n’ajoutai pas que j’espérais ainsi remplacer le visage malade et sans vie auquel il avait dû se confronter plus tôt par celui lumineux et joyeux figé à jamais sur ces pages nacrées. Il avait compris.

Je regardai moins les photos que le visage d’Hector. Ses traits semblaient se détendre au fur et à mesure qu’il tournait les pages de l’album. J’étais sûre qu’il verrait dans le regard de ma mère combien il lui avait manqué toutes ces années. Alors je le laissai seul avec elle et m’endormis.


**


Les jours suivants, je laissai Hector et Marianne s’occuper des funérailles. Je n’avais ni le courage ni l’énergie de choisir le cercueil, les fleurs, les textes, toutes ces démarches pourtant essentielles à une cérémonie d’adieu. Au lieu de ça, je restai étendue dans l’herbe au bord du ruisseau à fouiller le ciel des yeux. Je comprenais aujourd’hui que ce que ma mère avait cherché entre deux nuages n’était rien d’autre que le souvenir d’un amour avorté. Elle avait fui pour je ne sais quelle raison mais avait contemplé chaque jour ses regrets dans l’immensité bleuté. Là où les rêves ne finissent jamais.

Lorsqu’ Hector venait me chercher, je rentrais manger puis nous nous rendions tous les trois au salon funéraire. Marianne et moi nous installions au chevet de ma mère, Hector restait dehors. Comme un air de déjà vu. Il passait ces après-midis devant le salon, assis sur un banc à détailler chaque photo des albums que je lui avais confiés et moi je passais mon temps à dessiner ma mère.

Je m’appliquais sur sa chevelure. La voir sans ses longs cheveux blonds c’est ce qui avait été le plus dur à accepter pour moi. Lorsque les premières mèches étaient tombées, elle s’était rendue chez le coiffeur et avait demandé la coupe la plus courte possible. L’homme avait désépaissi sa chevelure jusqu’à dégager toute sa nuque. Sur le devant il lui avait dessiné une coupe asymétrique, laissant une mèche un peu plus longue descendre au creux de sa joue gauche. Une jolie façon de recouvrir sa peau brûlée. Lorsque nous étions allongées dans l’herbe, ses cheveux ne me chatouillaient plus. Elle était toujours aussi jolie mais un bout d’elle était parti. Il ne revint jamais. La coupe courte devint très courte puis rase avant qu’il ne reste plus un seul cheveu. Elle ne pouvait plus camoufler sa grande cicatrice. Elle s’était faite une raison et avait continué à sourire.

Mes doigts caressaient ensuite ses lèvres de façon à atténuer la teinte charbonneuse du fusain puis, allaient se loger un peu plus haut là où son sourire creusait sa joue droite dans un petit pincement.

Chacun à notre façon, nous nous attachions à faire renaitre dans notre esprit, le visage radieux que nous lui avions toujours connu.

Toujours allongée au bord du ruisseau, je sculptais son visage dans les nuages.

— Olympe, c’est l’heure.

Hector me tendit la main pour m’aider à me relever et je le suivis sans protester. Je revêtis la robe que m’avait repassée Marianne, une robe trapèze à l’encolure ronde, et je brossai mes cheveux, les laissant retomber de chaque côté de mon visage.

Lorsque nous fûmes prêts, nous nous rendîmes au salon funéraire pour nous recueillir une dernière fois auprès de ma mère avant de sceller son cercueil. Cette fois, Hector entra. Il lui jeta un bref regard avant de le replonger sur le mur en face de lui, là où il pouvait redessiner à sa guise les contours d’un visage qu’il connaissait mieux.

Le reste s’enchaina sans que j’en mesure réellement la teneur. Je fus surprise de voir autant de personnes à l’église. Pas qu’il y ait une foule immense mais des personnes qui l’avaient connue plus jeune ou des connaissances de Marianne s’étaient déplacées pour lui dire au revoir. Peut-être une seconde fois pour la plupart d’entre-eux. Il y avait aussi Caroline.

Les choeurs de l’église entamèrent la cérémonie puis le prêtre la présenta sous ce prénom qu’elle détestait et évoqua rapidement son parcours d’une manière si impersonnelle que j’en eus la nausée. Je regrettai soudain de ne pas m’être investie dans la cérémonie, de ne pas avoir eu la force d’écrire quelques mots comme je l’avais fait pour Francis.

« Qu’il est difficile, parfois, d’exprimer ce qu’on ressent. » C’est ainsi que débutait l’éloge funèbre que je lui avais écrit. C’était encore plus vrai aujourd’hui. Pourtant je ressentais un mélange de honte et de culpabilité.

Les larmes que je retenais tant bien que mal glissèrent sur mes joues lorsque je vis Hector s’approcher du micro.

— Rave,

On s’était promis tout un tas de choses il y a de ça une paire d’années. Un soir, alors que nous fixions les étoiles endormies à la surface de notre ruisseau, je t’avais fait promettre d’écrire mon éloge funèbre lorsque viendrai l’heure pour moi de quitter cette Terre. Toi seule étais à mes yeux capable de parler de moi avec simplicité et sincérité. Ce que je n’avais jamais imaginé c’est que tu partirais avant moi. Tu l’avais évoqué en riant, me faisant promettre à mon tour de ne jamais lire à voix haute les lignes d’adieu que je t’adresserais. Tu avais trop peur que mon discours soit un ramassis d’injures. Tu me connaissais si bien. Je suis désolé Rave mais je romps aujourd’hui cette promesse. Sois rassurée, je ne serai ni long ni grossier. Je voulais juste que les personnes ici présentes sachent à quel point tu as été une fille, une amie et une mère généreuse. Tu étais un puits de lumière. La vie sans toi sera bien sombre. Mais lorsque nous fouillerons le ciel à ta recherche, sois sûre que dans notre regard, brillera l’éclat d’un rêve. Celui de te retrouver dans une autre réalité.

Hector regagna sa place et baissa la tête. J’étais abasourdie par les mots qu’ils avaient osé partager avec nous. Ses mots qui étaient les siens mais qui résonnaient en moi comme si je les avais écrits moi-même.

Je n’entendis plus rien du reste de la cérémonie. Ce n’est que la chanson choisie par Marianne qui me ramena au coeur de cette église. Alors dans un souffle à peine audible je lui souhaitai bon voyage et la laissai partir.

Vole, vole petite aile….

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