Chapitre 15

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— Tu t’es pas demandé comment ce briquet s’était retrouvé dans les affaires de ton père ?

Elle doubla sa question d’un mouvement de menton dans ma direction.

— Tu donnes ta langue au chat ?

J’étais incapable de répondre quoi que ce soit.

— Encore une fois, c’est fascinant ce qu’un vieux pêcheur peut consigner dans un si petit carnet.

Elle saisit ledit carnet et l’ouvrit à l’une des pages qu’elle avait marquées de post-it colorés.

— « La culpabilité me ronge. Avais-je le droit de prendre une vie pour en réparer une autre ? » Tu te rends compte Hector du poids de cette phrase ?

Mon père ? Un criminel ??

— Ne doute pas Hector, tout se tient.

Je fouillai mes souvenirs. Je me rappelai vaguement d’un soir où ma mère m’avait appelé, paniquée. Mon père était parti en fin d’après-midi et n’était pas rentré à minuit passé. Je l’avais questionnée : s’étaient-ils disputés ? Elle m’avait assuré que non, qu’il lui avait simplement dit s’en aller  pêcher. La conversation avait cessé à l’instant où elle avait entendu la voiture remonter l’allée. Elle s’était excusée de m’avoir réveillé et dit qu’elle me rappellerait le lendemain. Chose qu’elle avait effectivement faite. L’histoire que mon père lui avait contée n’avait ni queue ni tête si bien que ma mère s’était imaginée qu’il la trompait. J’étais allé trouver mon père quelques jours plus tard pour en discuter avec lui. « Tromper ta mère ? Mais vous êtes fous » avait-il dit en riant. Je lui avais demandé, droit dans les yeux, ce qu’il était alors parti foutre tout ce temps. Il avait soutenu mon regard en me répondant qu’il était sorti pêcher un gros poisson. On n’en avait plus jamais reparlé. Sa phrase résonnait aujourd’hui d’une étrange façon.

— Écoute un peu ce qu’il a écrit il y a cinq ans : « Je l’ai croisé par hasard, il ne m’a pas reconnu. Je croyais l’avoir tué. »

Les suppositions devenaient des aveux. Olympe poursuivit la lecture.

— « Savoir qu’il respire encore et file le parfait amour me révulse. J’ai longtemps culpabilisé, je n’aurais pas dû. » Quelques jours après cette dernière phrase, ton père faisait un AVC. Le passé oublié pour les deux parties. Elle est pas belle la vie ?

Elle actionna la molette du zippo une fois, puis deux. Aucune flamme ne surgit.

— Olympe, qu’est-ce que tu fous là ? lui demandai-je, las.

— Je suis venue achever l’oeuvre de Francis.

— « L’oeuvre de Francis » ? Mais tu t’entends parler ?

Elle me considéra d’un air surpris.

— Je croyais que tu serais avec moi. Que tu comprendrais...

— Comprendre quoi Olympe ?

— Que ce putain de monstre a détruit ma mère ! Qu’il mérite pas d’habiter cette baraque, qu’il ne mérite ni Caroline ni Eva.

— Et tu vas le cramer c’est ça ? Ça changera quoi, dis-moi ?

Elle hocha la tête de gauche à droite, incrédule devant ma réaction.

— Il ne mérite pas non plus ta rage. Allez, viens, on se casse d’ici.

— Toutes ces années, j’ai eu besoin d’un père, Hector. Un père à la hauteur de mes prières. Un père qui avait profondément aimé ma mère.

Sa voix cassée crachait des flèches droit sur mon coeur.

— J’ai été tellement soulagée de lire le carnet de ma mère. Cette fille qui glissait sa main dans celle d’un pêcheur… J’y ai cru, bêtement, de toutes mes forces.

Je lui tendis ma main.

— Elle est là ma main Oly, prends-la.

— Ma mère m’a dupée.

—Ta mère voulait te protéger. Elle te connaissait mieux que quiconque, elle savait que tu interpréterais cette histoire à ta façon. Elle voulait seulement t’offrir cette vie qu’elle avait toujours rêvée pour toi.

— Mais les rêves n’ont pour seule frontière que la triste réalité…

— Les frontières n’existent que pour être dépassées. On va partir loin Oly, le plus loin possible.

Des larmes roulaient sur les joues d’Olympe tandis qu’elle jouait dangereusement avec la molette du briquet.

— Peu importe ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Le message de ta mère à travers tout ça c’est que notre histoire nous appartient. On peut décider d’affronter le destin plutôt que de le subir. C’est à nous de décider.

— Alors je choisis la vengeance.

— Non, Olympe ! Regarde-moi. Tu n’es pas comme ça.

— Je suis la fille d’un violeur ! hurla t-elle. Quelle part domine en moi, selon toi ?

— Tu n’es pas comme lui ! Ce ne sont pas tes gênes qui déterminent qui tu es.

— Ce sont mes actions c’est ça ? Et bien regarde !

Elle actionna encore une fois la molette, faisant surgir la flamme qu’elle espérait.

— Tu n’as pas envie de faire ça.

— Oh que si.

— Pense à sa femme, à sa fille. Tu n’as pas envie de voir leurs visages défigurés par le chagrin te faire face pour le restant de ta vie. Pense à Marianne...

La flamme vacillait, secouée par les spasmes d’Olympe qui sanglotait. Je m’approchai doucement d’elle en tendant ma main.

— Pense à moi, Oly. Peu importe que tu ne sois pas ma fille. C’est toi qui m’a ramené à la vie, toi qui m’a réappris à aimer. Alors, laisse-moi te montrer combien je t’aime. Donne-moi ce briquet…

Mes doigts se refermèrent sur l’objet et Olympe s’écroula dans mes bras.

— C’est fini. On va partir d’ici, OK ? Attends-moi dans la bagnole.

Je la suivis des yeux jusqu’à la voir s’asseoir dans ma Golf, puis je me tournai vers Peter. Il chialait comme un bébé. J’attrapai le coupe-papier qui reposait sur le secrétaire à mes côtés et m’approchai de lui.

— Pitié ! Pitié ! hurla-t-il.

— Abruti, lui lançai-je en coupant les liens qui le retenaient prisonnier.

Il m’observa, l’air hagard.

— La vie t’a offert une seconde chance, profites-en !

Je tournai les talons, le laissant avec son air pathétique. Au moment de quitter la maison, il me sembla l’entendre ricaner dans mon dos.

— Ah ce putain de Franjo !

Mon sang ne fit qu’un tour. Avant même de me demander si j'avais rêvé, je me retrouvai face à lui, le manche du coupe-papier dans ma main, la lame dans son bide.

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