Chapitre 17

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Je n’avais qu’une envie : balancer ma chaise dans la gueule de ce connard de Peter ! Lui, une victime ? Sa défense était vraiment excellente. Faire passer le bourreau pour la victime. Tous mes applaudissements ! J’espérais que ce beau parleur de Maitre Baron serait encore meilleur. Mais avant cela, il nous fallait nous farcir le réquisitoire de l’avocat général.

Il s’avança, le regard dur et froid.

« — Mesdames et messieurs les jurés, nous sommes ici pour débattre de la culpabilité de Monsieur Guillot. Nous avons entendu les souffrances de la victime et écouté les raisons qui avaient motivé l’accusé à se rendre chez Monsieur Lefreux. Nous avons été informés du passé de chacun, du moins, de ce qu’il était possible de prouver devant cette Cour.

Nous avons alors affaire, d’un côté, à un homme qui fut d’abord un enfant maltraité avant d’être placé au sein de la famille Guillot. Madame Guillot elle-même parle d’un adolescent compliqué. Qui ne le serait pas avec un tel passif ? Quoi qu’il en soit, cet adolescent est devenu un adulte dont la vie nous prive malheureusement d’un pan entier. À en croire les témoignages reçus aujourd’hui, Monsieur Lefreux semble désormais mener une vie respectable. Il est marié, père d’une jeune enfant de quatre ans. Il exerce le métier de responsable financier au sein d’une entreprise de transport et apporte satisfaction à son employeur ainsi qu’à ses collaborateurs.

De l’autre côté, Monsieur Guillot a eu la chance de naitre et de grandir dans une famille unie et aimante. Certes, il ne doit pas être facile de voir défiler dans sa vie des enfants évoluant dans des contextes aussi difficiles. Cependant, le partage et l’entraide sont quelques-unes des valeurs importantes de notre société. C’est ce que Monsieur et Madame Guillot ont souhaité inculquer à leur fils. Libre à lui, ensuite, d’avoir emprunté un tout autre chemin.

L’accusé est décrit comme une personne solitaire, isolée de sa famille et de tout autre entourage. Il a exercé plusieurs métiers, s’est fait renvoyé de certains d’entre-eux pour des raisons liées à une consommation excessive d’alcool. Depuis peu, il exerce la profession de menuisier sous la supervision de Monsieur Blanchard que nous avons entendu tout à l’heure.

L’arrivée de Mademoiselle Olympe Sénéchal chez Madame Guillot semble être l’élément déclencheur de cette affaire que nous avons à juger aujourd’hui. L’accusé a récemment appris le lien de parenté que cette jeune fille possédait avec, d’une part, Véra Sénéchal, son amour de jeunesse, et, d’autre part, Monsieur Lefreux. Nous pouvons comprendre que ces révélations, succédant au décès tragique de Madame Sénéchal, survenu lui-même après le décès du père de l’accusé, aient tourneboulé l’esprit de Monsieur Guillot. Apprendre – dans un contexte émotionnellement difficile – que sa petite amie avait entretenu une relation sentimentale avec une personne considérée comme... un rival ? un ennemi ?, et que de cette union soit née une enfant ! On peut bien se l’avouer : n’importe quel homme se verrait bouleversé.

La question que je me pose pourtant est : quoi que nous ressentions, quoi qu’il se soit passé de tragique dans nos vies, avons-nous le droit de pénétrer chez quelqu’un, de le ficeler, de lui faire subir un interrogatoire puis, de le poignarder ? La réponse est évidente : non ! Nous devons garder la maitrise de nos émotions et s’en remettre à la justice.

Mesdames et Messieurs les jurés, il convient de parler de sécurité. Chacun a le droit de vivre serein. N’est-il pas inconcevable de se sentir menacé, qui plus est dans sa propre demeure ? N’est-il pas dramatique de voir les gens faire justice eux-mêmes ? Il suffirait donc, pour je ne sais quelle raison, de se présenter chez un voisin, un ami, une connaissance, un inconnu et, pour un quelconque litige, s’emparer du premier objet qui se présente à nous pour tenter de lui ôter la vie ? Mais où allons-nous ?

Alors oui ! Monsieur Guillot a utilisé un coupe-papier et non un couteau, une baïonnette, une arme à feu, que sais-je ? Oui ! Monsieur Lefreux s’en est sorti ! Il n’en demeure pas moins que Monsieur Guillot a commis un crime grave, puni par la loi, et je vous demande, Mesdames et Messieurs les jurés, d’appliquer cette loi avec toute la rigueur qu’elle mérite. Pour la sécurité de nos concitoyens, pour celle de nos enfants.

C’est pourquoi, je considère Monsieur Guillot coupable de tentative d’homicide et requiers une peine maximum de quinze ans d’emprisonnement, assortie d’une période de sûreté de dix ans. »

La sentence requise associée aux paroles posées mais tranchantes de l’avocat général me firent l’effet d’une claque qu’on reçoit en pleine tronche. Je pensais aux jurés qui ne connaissaient de moi que ces lamentables faits exposés dans ce tribunal et, je me demandais ce que mon avocat serait en mesure d’avancer pour alléger ma peine. Je crois, qu’avant d’écouter ces plaidoiries, je n’avais pas conscience de ce que je risquais. Je me savais coupable d’un crime – que je ne niais pas ! – et m’attendais à une peine d’emprisonnement. Sans doute avec sursis. Mais me figurer passer dix ans de ma vie derrière les barreaux m’acheva.

Maitre Baron se leva à son tour. De lui, dépendait une part de mon avenir. Serait-il suffisamment convaincant pour faire réfléchir les jurés et les mener à un verdict qui soit le plus juste possible ?

Un silence de mort précéda son intervention. J’esquissai un geste que je n’avais jamais fait de toute ma vie : je joignis mes deux mains en signe de prière.

« — Monsieur le Président, Messieurs les juges, Mesdames et Messieurs les jurés, nous sommes ici pour décider de l’avenir d’un homme. Un homme qui, certes, n’est pas parfait. Un homme qui s’est longtemps cherché et qui se cherche encore. Mais l’imperfection et les doutes font partie de notre condition humaine. Qui ne s’est jamais montré émotif, jaloux, colérique, violent ? Cette question est évidemment rhétorique. Personne n’a envie d’avouer ses faiblesses et la part sombre de son être.

Mais, Monsieur Guillot, lui, reconnaît ses fautes. Il ne nie pas avoir poignardé Monsieur Lefreux. Il a fauté et il le sait. Il connaît la loi et les conséquences de certains actes. Cependant, malgré le passif susceptible d’avoir existé entre ces deux hommes, Monsieur Guillot n’avait pas prémédité son geste. J’insiste là-dessus. Il ne savait pas que Peter – l’adolescent qu’a connu mon client – se trouvait derrière l’identité de Pierre Lefreux. Il ne l’a découvert qu’en se rendant chez lui afin de retrouver Mademoiselle Sénéchal. On peut bien évidemment imaginer l’émotion qui a submergé Hector – je peux vous appeler Hector ? – lorsque bien des années après, le passé a refait surface.

Les écrits de Madame Sénéchal n’ont pas été retenus comme pièces à conviction et je ne contesterai pas ce fait, cependant pour Monsieur Guillot, ils sont sujets à un contexte émotionnel particulier. Sans nous attarder davantage sur ce fait, j’ajouterai que malgré ses sentiments, mon client s’est efforcé de mener une discussion cohérente avec Monsieur Lefreux et Mademoiselle Sénéchal qui, troublée par ses récentes découvertes avaient besoin de comprendre la relation que cet homme avait entretenu avec sa mère. Malheureusement, cet entretien s’est soldé par un acte aussi imprévisible que surprenant. Des zones d’ombre demeurent quant à ce qu’il s’est passé à ce moment là et ce qu’il s’est dit. Ce dont, je suis intimement persuadé, c’est que mon client n’avait pas l’intention de donner la mort à Monsieur Lefreux. Je vois, dans ce geste impromptu, la volonté de protéger une jeune fille dont le lien tissé entre elle et mon client surpassait tout. Même la raison.

Nous avons parlé de Monsieur Guillot en des termes peu élogieux, nous amenant à retenir l’isolement et la jalousie comme principales caractéristiques de sa personnalité. Cependant, depuis le récent décès de son père, Hector s’est montré très présent auprès de sa mère et de cette jeune fille qui, à quelques semaines d’intervalle, vivait la même perte que lui. Sa mère évoque un fils sensible et bienveillant. Son employeur actuel le décrit, lui, comme un homme passionné par la nature, notamment par le bois. Il le qualifie de travailleur, de sérieux et de patient. Voyez : il existe autant de versions d’un même homme que de points de vue qu’on récolte.

Il vous incombe de décider du sort d’un homme aux multiples facettes, un homme à l’intérieur duquel le bien et le mal se sont disputés ses faveurs. Réfléchissez bien ! Allez-vous le condamner pour ce geste impulsif qu’il regrette ou lui offrir l’opportunité de se racheter et de prouver que de nos erreurs les plus graves en ressort parfois d'importantes leçons de vie. La décision vous appartient. »

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