Nicolas baissa la tête. Il n'avait pensé qu'à la jeune fille, sur le moment, et son sang n'avait fait qu'un tour. Il avait pris sur lui et supporté Louis vaillamment toute la journée, en attendant le bon moment pour crever l'abcès et parler de la situation, mais quand Louis avait vanté longuement la douceur des lèvres de la jeune fille, Nicolas avait craqué. A aucun moment il n'avait pensé aux conséquences. Il se rendait compte à présent qu'il était en bien fâcheuse posture, cette fois.

  – Je suis désolé, ma tante. Que puis-je faire ?

Sa tante soupira. Elle espérait que le garçon avait enfin compris. A son air contrit, elle se rendit compte qu'il était sincère dans ses excuses. Néanmoins, sa sincérité n'allait pas le tirer de ses ennuis…

  – Il veut bien retirer sa plainte sous certaines conditions. Donc je vais devoir ponctionner tes prochaines paies. Nous n'avons pas le choix.

  – Il demande combien ?

  – Pour retirer sa plainte ? Vingt livres pour la visite du chirurgien, seize livres de dédommagement pour Louis, encore trente pour M. Jottay et quarante livres pour l'établissement des papiers par le notaire et les autres frais, fit-elle en comptant sur ses doigts ridés. Je te laisse calculer…

Nicolas ouvrit la bouche en grand et ses yeux s'arrondirent. Plus de cent livres ! Même s'il était sûr que sa tante avait délibérément listé tous les frais pour l'impressionner, les faits étaient là. Il était horrifié par la somme astronomique demandée par le patron du garçon pour le traitement de l'affaire. Il ne trouvait même pas les mots pour exprimer sa stupéfaction.

  – On va devoir se serrer la ceinture pendant un long moment et sûrement emprunter un peu à la famille. Et je vais aller demander à Antoine, ton patron, s'il veut bien embaucher ton frère Félix, même s'il n'a que treize ans.

Nicolas, devenu soudainement très sérieux en comprenant la gravité de la situation, hocha la tête. Marie attendit quelques instants, puis lâcha la dernière information en le regardant droit dans les yeux.

  – On va aussi devoir prendre Louis à la maison, et s'occuper de lui jusqu'à ce qu'il guérisse.

  – Quoi ? Ah non, pas ça, ma tante. Je n'y arriverai jamais ! Il m'a volé Marguerite !

Elle fronça les sourcils.

  – Il n'a rien volé du tout, Nicolas. Marguerite est une jeune femme libre. Donc on va prendre Louis chez nous et…

  – Mais !

  – Et c'est toi qui vas t'occuper de lui, insista-t-elle. C’est-à-dire refaire ses bandages et lui porter ses repas.

  – Je… Bien, ma tante, capitula Nicolas, en grinçant des dents. Je m'occuperai de Louis, mais jusque fin juin, pas plus.

Elle hocha la tête et le regarda de nouveau, les yeux à présent plus doux.

  – J'ai croisé Marguerite, ce matin, en venant. Elle discutait tout bas avec son amie, tu sais, la petite blonde de la ferme de la Rova… Elle parlait de toi. Elle disait qu'elle avait hâte de te voir à la fête de la Saint-Jean, à la fin du mois, et qu'elle espérait que tu la ferais danser. Apparemment, Louis ne lui a pas fait bonne impression.

Le sourire de Nicolas fendit son visage d'une oreille à l'autre. Il grimaça aussitôt : sa lèvre était encore très sensible. Cela lui fit penser à celles de Marguerite, qui devaient être chaudes et douces, comme Louis l'avait dit. Il se redressa. Il avait tellement hâte de la revoir. Elle lui donnerait assez d'énergie pour affronter les prochaines semaines.

Il remercia sa tante et repartit dans le hangar, le cœur plus léger et un sourire béat sur les lèvres. Même s'il avait encore une cinquantaine de planches à charger sur la mignole, finalement, cette journée ne commençait pas si mal.