Chapitre 2 - Un passé futur

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Jeudi.

Je me réveille à peine. Je jette un regard furtif à mon téléphone : il est presque 9h.
Bizarre... J'ai l'impression de sortir d'une nuit agitée, comme si j'avais une gueule de bois sans avoir touché une seule goutte d'alcool. Mon crâne est lourd, douloureux, comme si quelqu'un s'était amusé à y marteler des secrets toute la nuit, à coups de masse.

Je me redresse lentement dans mon lit.
Les draps sont en désordre, ma gorge est sèche, mon cœur un peu lourd.
Il y a dans l'air une étrange sensation... comme si quelque chose m'avait suivie jusque dans mon sommeil.
Quelque chose de familier... mais que je ne parviens pas encore à nommer.

J'ai pris quelques minutes pour repenser à la journée d'hier.
Toutes ces trouvailles, ce coffre, ces objets imprégnés de la mémoire de ma grand-mère... et surtout, ce livre. Ce livre sans mots mais chargé de sens.
Et puis il y a Jules. Cette rencontre improbable, irréelle... et pourtant si vivante dans mon esprit. Comme un rêve, mais avec ce quelque chose en plus, cette consistance étrange que les rêves n'ont jamais. Je revis chacune des scènes, les mots échangés, le regard de Jules, les révélations.
Et cette voix. Ce mot : Clé.
Qu'est-ce que tout cela voulait vraiment dire ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?

Et si tout ça n'avait été qu'un rêve ? Une hallucination née d'une fatigue accumulée ?

Mais non. Les livres sont là. Et avec eux, toutes les questions qui me hantent depuis maintenant quelques jours.

Je me lève alors, encore un peu engourdie, pour me faire un café... ou deux peut-être. J'en ai bien besoin pour me réveiller, pour remettre un peu de clarté dans ce brouillard.

Tasse chaude entre les mains, je retourne sur ma terrasse. L'air est doux, le soleil commence à réchauffer les dalles sous mes pieds nus. Je m'installe dans mon fauteuil préféré, et laisse mes yeux se perdre un instant dans les feuillages en face.

Maintenant que mon esprit est un peu plus reposé, je tente de remettre les morceaux ensemble. Je rassemble tout ce que j'ai vécu — ou plutôt traversé. Jules. Sa maison. Le livre. Ma grand-mère. Cette voix. Clé.

J'essaie d'en faire un tout, de donner une forme cohérente à ce puzzle impossible. Mais plus j'y pense, plus je sens que quelque chose m'échappe encore... comme s'il me manquait une pièce, essentielle, pour comprendre.

Aujourd'hui, je décide de mettre ce livre de côté.

Je le dépose sur mon bureau — ce maudit livre — puis je vais m'habiller pour sortir prendre l'air, direction l'océan.

11h12

J'adore faire ça quand le temps me le permet : m'asseoir sur un banc, face à l'immensité, écouter les vagues se briser sur le sable, et respirer cette odeur salée qui m'apaise sous un grand ciel bleu.

J'adore faire ça quand le temps me le permet : m'asseoir sur un banc, face à l'immensité, écouter les vagues se briser sur le sable, et respirer cette odeur salée qui m'apaise sous un grand ciel bleu.

C'est alors que le temps d'un instant, en fermant les yeux, j'aperçois une image... ou plutôt une scène : deux enfants courant sur une pelouse verte, éclatant de rires, baignés par la lumière dorée d'un après-midi d'été. Une sensation de joie pure, familière, presque oubliée, s'empare de moi. Mon cœur se serre sans savoir pourquoi. Je connais ce jardin. Ces fleurs, ces couleurs...

Je ne connais pas ces enfants, je ne reconnais ni leurs visages ni leurs voix. Et pourtant, ce qu'ils ressentent résonne en moi. Leur joie insouciante, leur liberté, cette impression d'éternité dans l'instant... C'est comme si une partie de moi se souvenait. Comme si cette scène m'était destinée, glissée là par le livre ou par quelque chose d'encore plus ancien.

Cette scène ne dure que quelques secondes, puis s'évanouit. Elle laissa derrière elle une chaleur réconfortante, comme un rayon de soleil niché au creux de mon cœur.

Avant de rentrer chez moi, j'ai décidé de m'arrêter chez le poissonnier pour acheter quelques fruits de mer pour le déjeuner. Un verre de vin blanc sec pour accompagner le tout, installé·e sur ma terrasse, baignée de soleil... L'idée me réchauffe autant que le souvenir fugace de cette scène.

14h48.

Je ne sais pas quoi faire. Je suis tourmentée, partagée entre l'envie d'ouvrir ce livre, mon livre, encore une fois, et celle de le jeter au feu avant que le pire n'arrive.

Il est là, posé sur mon bureau. Je suis appuyée contre l'embrasure de la porte de ma chambre, le fixant intensément les bras croisés. Comme si j'attendais qu'il dise ou fasse quelque chose. Comme si j'espérais qu'il s'ouvre, qu'il m'explique de vive voix son existence et la solution à tout ce bordel — ce qui n'est pas possible, je le sais bien.

Et au même moment, me reviennent en mémoire toutes les paroles de Jules... Tout ce que j'ai essayé de remettre en place dans mon puzzle mental. Je repense aussi au flashback de ma grand-mère. À ces enfants courant dans un jardin. Après tout, je pourrais donner ce livre à l'un de mes cousins. Lui dire qu'il ne m'est d'aucune utilité, qu'il me rappelle trop ma grand-mère... et qu'il réveille une douleur que je ne parviens pas à contrôler. Mais confier l'avenir de notre monde à des hommes comme eux... Est-ce vraiment une bonne idée ? Je n'en suis pas certaine.

C'est alors que je sortis de cette phase d'attente et pris mon courage à deux mains. Lentement, je m'approche du livre... et le prends entre les miennes. C'est alors que je me retrouve enfermée dans ma propre chambre. La porte est close. J'essaye de l'ouvrir, en vain. Une fois encore, elle est verrouillée.

Sans même comprendre pourquoi, j'ouvre le livre. Il n'y a aucun numéro de page. Juste une phrase, posée là comme une évidence : « Si la porte est fermée, toquez trois fois et vous saurez où vous devez aller. »

C'est donc ce que je fais : trois coups brefs, nets, audibles. Un cliquetis résonne aussitôt dans la serrure. Je saisis la poignée et l'abaisse. La porte s'ouvre... sur un salon. Celui de Jules.

J'entre, doucement, presque sur la pointe des pieds. Jules est là, dans son jardin, absorbé dans ses activités de jardinage. La porte se referme derrière moi dès que j'ai franchi le seuil — sans un bruit.

Me voilà donc là, debout, le livre entre les mains, dans le salon d'un homme que je ne connais pas vraiment. Une situation qui, avec un peu de recul, pourrait facilement passer pour une scène paranormale...

Jules semble sentir ma présence. Il se retourne lentement vers moi. Surpris, d'abord. Puis un sourire, discret mais sincère, effleure ses lèvres — comme s'il était à la fois étonné et soulagé de me voir.

Je lui rends son sourire — timidement, presque en guise de salut.

Une sensation étrange m'envahit tout entière. Sa présence m'est familière, inexplicablement. Comme si nous nous étions toujours connus. Comme si nos âmes s'étaient déjà reconnues, ailleurs.

Il s'approche, enlève doucement ses gants de jardinage, les pose sur la table de la véranda, à côté d'un plateau en verre. Puis il arrive à ma hauteur, me salue, accompagné de ce même sourire doux.

— Bonjour, Annabelle ! Je ne m'attendais pas à te revoir de si tôt...

— Bonjour, Jules. Je t'avoue que j'ai hésité, le temps d'une matinée... à faire comme si rien de tout ça ne s'était passé. Mais finalement, je me suis ravisée. J'ai beaucoup réfléchi à ce que tu m'as dit, et à tout ce qui s'est passé avant et après notre rencontre. Et je ressens ce besoin d'en savoir plus sur tout ça.

Il ne répond pas tout de suite. Ses yeux intenses me fixent. Il a cette manière de dire, par le regard, ce que ses mots ne parviennent pas à exprimer...

Finalement, Jules brise le silence.

— Installe-toi, Annabelle, je t'en prie. Un café, un thé...? À toi de choisir.

— Un café, sans sucre, s'il te plaît.

C'est comme ça que je les aime. Brut, sans subterfuge. Après s'être préparé un café à lui aussi, il s'installa en face de moi. La musique passait doucement à la radio, ajoutant une sorte de douceur à l'ambiance. Une belle odeur de café flottait dans l'air. Beaucoup de questions résonnent dans ma tête, et je ne sais pas par laquelle commencer. Jules semblait sentir ma tension, cette perte d'équilibre en moi. Il se leva, m'invitant à quitter le salon.

— Viens, allons dans le jardin.

Nous traversons d'abord son salon. Il est rectangulaire, avec la cuisine et la salle à manger à l'avant, et un espace plus vaste à l'arrière où trônent une cheminée, un canapé... Le tout dégage un charme rétro, typique d'un cottage anglais, lumineux et accueillant. Deux portes battantes séparent la pièce de la véranda, dernière étape avant le jardin.

En franchissant cette véranda, un étrange sentiment m'envahit. J'ai soudain l'impression d'être dans la maison de ma grand-mère. Cette véranda... ce lieu où, autrefois, j'ai partagé tant de moments en silence avec elle.

Sa véranda est un véritable jardin secret, débordant de fleurs aux couleurs éclatantes. Une forte odeur de lys flotte dans l'air, douce et entêtante. Dans un coin, deux petits sièges en bois, accompagnés d'une table basse. Sur le plateau, une pile de livres soigneusement posés. Puis, du coin de l'œil, je remarque quelque chose d'encore plus étrange : sous une étagère, un petit coffre en bois, à peine dissimulé par les lianes d'une plante et un morceau de tissu blanc.

Nous arrivons enfin dans son jardin. Finalement, nous décidons de nous asseoir sur la pelouse. Je suis en claquettes, pas vraiment préparée. La scène a quelque chose de léger, presque banal... mais en moi, une impatience grandit, si forte qu'elle efface toute autre sensation. L'herbe fraîche effleure mes pieds. Un rayon de soleil caresse mon visage. Je n'ai pas froid, au contraire. Ce moment devient un refuge, une pause bienvenue dans le tumulte de mes pensées.

C'est alors que je brise le silence, me sentant enfin prête à poser la question qui me brûle les lèvres.

— Qu'est-ce que le Sacer Codex ?

J'avais laissé mon livre en toute confiance sur la table de la salle à manger, comme si tout ça appartenait désormais à un autre monde.

Jules me regarda, une lueur sérieuse dans les yeux, avant de répondre lentement, comme pesant chaque mot.

— Le Sacer Codex est un livre... ou plutôt un grimoire, transmis depuis la nuit des temps, réservé aux élus d'une même lignée. Chaque enfant, chaque membre de cette lignée, hérite de celui-ci, transmis par ceux qui ont été choisis. Il contient des savoirs anciens, des secrets... que seule une poignée de personnes ont le droit de connaître.

Jules marqua une pause, comme s'il mesurait l'impact de ses paroles avant de poursuivre :

— Il n'en existe qu'une poignée dans notre monde. Des grimoires rares, précieux, presque intouchables. Leur valeur ne réside pas seulement dans ce qu'ils contiennent, mais dans le fait qu'ils sont réservés à ceux qui en sont dignes. Ceux qui ont le pouvoir et la force.

J'entends ses mots, je les reconnais, ils résonnent en moi comme une vérité déjà connue. Je les ai déjà entendus. Lui aussi me les avait dits, de la même manière. Mais cette fois, j'ai besoin de les comprendre profondément, de mesurer l'importance de tout cela. Parce qu'il y a quelque chose de plus, quelque chose que je n'arrive pas encore à saisir.

— Jules, dis-moi sincèrement... L'importance de tout ça ? Ce livre-là, celui que j'ai avec moi, et qui repose sur ta table à manger. Ce livre qui, parfois, ne contient aucun mot, et puis, s'ouvre à une page quelconque et me donne exactement ce que je cherche, comme par enchantement. Pourquoi ? Pourquoi tout ça ? Pourquoi moi ?

Jules est hésitant face à toutes mes questions. Son visage se ferme, stoïque. Pas un seul poil de son visage ne bouge... Il fixe un point invisible devant lui, comme s'il cherchait ses mots, ou comme s'il pesait le poids de chaque vérité qu'il s'apprête — ou non — à me révéler.

Je perçois un léger tremblement dans sa main lorsqu'il saisit une brindille et la casse entre ses doigts. Un silence s'installe, épais, presque gênant. Puis enfin, sa voix s'élève, plus basse qu'à l'accoutumée :

— Ce que je vais te dire, Anabelle... Tu dois comprendre que ce n'est pas facile. J'ai grandi avec ces secrets, et on m'a toujours appris à me taire. À protéger. À cacher.

Il tourne lentement la tête vers moi, son regard plongé dans le mien.

— Mais tu mérites des réponses. Et je crois que le moment est venu.

C'est alors qu'il se lève, d'un air décidé, et me demande d'attendre.

Je le regarde s'éloigner vers la véranda, intriguée. J'entends des bruits discrets : un meuble qu'il déplace, un objet qu'il dépose avec soin. Il semble chercher quelque chose de précis, quelque chose de caché. Il remue deux ou trois affaires, remet en place quelques plantes, puis un silence... Un long silence, suivi du grincement d'un couvercle.

Lorsqu'il revient, il tient dans ses mains un petit coffre en bois, sombre et ancien. L'objet dégage quelque chose d'étrange, presque mystique. Il s'assoit face à moi, posant délicatement le coffre entre nous, comme s'il renfermait un fragment d'histoire, ou un secret trop longtemps gardé.

— Ce coffre, dit-il enfin, appartenait à mon grand-père. Je ne l'ai jamais ouvert en dehors des instructions qu'il m'avait laissées. Mais aujourd'hui, je crois qu'il est temps, pour moi et pour toi.

Jules pose ses mains à plat sur le couvercle du coffre, le regard grave. Il me fixe un instant, puis prend une profonde inspiration.

— Avant d'ouvrir ce coffre, je dois t'expliquer certaines règles. Il faut que tu les comprennes... et que tu t'engages à les respecter, Annabelle. C'est important, vital même, si tu veux que tout se passe bien.

Son ton est ferme. Mon cœur s'accélère.

— Premièrement, commence-t-il, toujours vérifier que les portes de la pièce, ou de la maison dans laquelle tu te trouves, sont bien fermées à clé. Je t'expliquerai pourquoi après. Ce n'est pas par paranoïa. C'est... une nécessité.

Il marque une pause, me scrutant du regard pour s'assurer que je suis bien attentive.

— Deuxièmement, ce n'est pas qu'un simple coffre en bois, Anabelle. Ce que tu as devant toi ne contient pas que des objets ou des souvenirs. Mon grand-père me l'a confié en me révélant qu'il était un passeur. Un gardien de frontière entre ici... et ailleurs. Et je suppose que, dans ta famille, quelqu'un l'a aussi été. Peut-être ta grand-mère. Ce n'est pas une coïncidence si tu as toi aussi reçu un coffre. Je t'expliquerai cela tout à l'heure, en détail.

Il inspire à nouveau, plus lentement cette fois, comme pour appuyer la dernière règle.

— Enfin, dernière chose. Toujours... toujours te protéger. Peu importe ce que tu verras ou entendras, souviens-toi que ta sécurité dépendra de ta vigilance et de ton discernement. Rien n'est laissé au hasard. Et le danger ne vient pas toujours de là où on l'attend.

Il se tait. L'air semble plus lourd.

— Tu es prête ? me demande-t-il doucement.

Je me sens comme une enfant à qui l'on confie un grand secret, une vérité qu'elle n'est peut-être pas encore prête à entendre, mais qu'elle veut connaître à tout prix. Un frisson me parcourt l'échine. C'est un mélange étrange — une euphorie presque électrique, une peur douce et sourde, une excitation qui fait battre mon cœur plus vite. Je ne saurais l'expliquer, mais au fond... j'aime ça. J'aime cette sensation d'être au seuil de quelque chose de plus grand que moi... Puis ces yeux qui me rappellent quelque chose, quelqu'un peut-être. Mais je suis incapable de dire qui ou quoi. C'est comme une impression ancienne, enfouie sous des années de souvenirs, qui refait surface sans crier gare. Ce sentiment de déjà-vu me trouble, mais il me rassure aussi.

Jules m'inspire une confiance que je ne saurais expliquer rationnellement. C'est instinctif, viscéral. Comme si nos chemins s'étaient déjà croisés, ailleurs, autrement. Peut-être dans une autre vie... ou dans un autre monde.

Quelques secondes s'écoulent avant que je ne réalise que je le fixe, les yeux ancrés dans les siens, comme un chat hypnotisé par un oiseau derrière une vitre : attentive, curieuse, presque fascinée. Jules ne dit rien, mais je crois qu'il a remarqué. Il esquisse un léger sourire, puis détourne le regard, me laissant à mes pensées et à ce trouble inexplicable qu'il éveille en moi.

Jules saisit délicatement le couvercle du coffre. Il le soulève lentement, dans un silence qui donne à ce geste une importance particulière. Le bois grince légèrement sous le mouvement, et lorsque l'intérieur se dévoile enfin, mes yeux s'élargissent, happés par les objets qu'il renferme. Rien ne brille, rien ne clignote, et pourtant, tout semble chargé d'histoire, de sens, d'une énergie palpable.

Il saisit une montre à gousset, ancienne, dont le métal patiné témoigne du poids des années. Elle appartenait à son grand-père, me dit-il d'un ton bas. Il la tient dans sa main droite, la fait tourner doucement entre ses doigts, puis l'ouvre d'un petit clic discret. Son regard se pose sur le cadran, comme absorbé par le tic-tac silencieux d'un temps révolu. Quelques secondes s'écoulent ainsi, suspendues, avant qu'un léger sourire en coin ne se dessine sur son visage. Un sourire de nostalgie, de tendresse... ou peut-être de souvenir partagé avec quelqu'un qu'il a aimé.

— Cette montre, vois-tu, dit-il en me la montrant doucement, appartenait à mon grand-père. Et lui-même l'avait reçue du sien, et ainsi de suite...

Il marque une pause, son regard toujours posé sur l'objet.

Tous les objets que tu vois ici ont été transmis de génération en génération. Pour la plupart, cela fait déjà quelques siècles qu'ils existent. Ils ont traversé des histoires, des conflits, des familles entières... et aussi des énergies. Des intentions différentes, parfois contradictoires.

Il relève la tête vers moi, le regard grave, presque solennel.

C'est alors que mon regard fut attiré par un objet posé soigneusement dans un coin du coffre, comme si on avait voulu le garder à l'abri du reste.
Un livre. Le livre.

Il n'était ni identique au mien, ni à celui de ma grand-mère. Mais je savais. Je sentais qu'il était de la même essence. Similaire, profondément lié. Sa couverture sombre, ornée de symboles à peine visibles, semblait vibrer sous mes yeux, comme s'il reconnaissait ma présence.

Je n'osa pas le toucher tout de suite. Il émanait de lui quelque chose de fort, presque vivant.

Tu peux le prendre, murmura Jules, il t'a déjà reconnue.

Je décide alors de le prendre. Entre mes deux mains.
Confiante et hésitante à la fois.

Le contact est immédiat, presque magnétique. Une chaleur douce émane de la couverture, comme une pulsation discrète, régulière, qui répond à celle de mon propre cœur. Le livre semble respirer.

Je le fixe un instant, le souffle court, puis l'ouvre doucement. Une page, puis deux. Les premières sont vierges. Mais très vite, des symboles apparaissent. Fins, anciens, presque dansants. Comme si le livre écrivait pour moi, devant moi.

Je lève les yeux vers Jules. Il m'observe en silence, le regard plein de choses qu'il n'a pas encore dites.

Jules me dit alors, le ton calme mais le regard profondément sérieux :

— Si tu sens qu'à son contact, un lien se forme, et que tu ressens une terrible attirance, cette envie irrépressible de l'ouvrir et de feuilleter les pages... ça, je ne saurais te dire si c'est mystique ou simplement humain. En revanche... (il marque une pause, me fixant droit dans les yeux) si tu l'ouvres, et que sur la première page que tu choisis de regarder apparaissent des symboles... là, c'est mystique. Et pas commun.

Je baisse à nouveau les yeux vers le livre. Mon cœur s'accélère. Mes doigts frémissent légèrement. Je sens cette envie monter, presque comme un appel.

Jules poursuit, la voix grave et posée, presque solennelle :

— Je souhaite tout simplement te faire comprendre que le livre que tu tiens dans les mains n'est pas un simple ouvrage sur un sujet quelconque.

Il me fixe un instant, pour s'assurer que je suis bien avec lui, puis reprend :

— Comme je te l'ai déjà expliqué, c'est un Sacer Codex. Un grimoire ancien, contenant des formules, des incantations magiques, et des clés ouvrant des portails vers d'autres mondes. Chaque Codex est à la fois unique... et similaire. Il n'en existe qu'une dizaine dans le monde.

Il marque une nouvelle pause, laissant le poids de ses mots s'installer dans l'air.

— Tous peuvent être utilisés par les Passagers. Mais pas n'importe comment. Le Codex révèle ses incantations selon l'intention de celui qui l'ouvre. Alors, et seulement alors... la magie se manifeste.

Son regard se fait plus intense. Je sens que ce que je tiens entre les mains est plus vivant que je ne l'aurais imaginé. Jules reste silencieux un instant. Il observe le cadran de sa montre à gousset, la referme doucement, puis plante ses yeux dans les miens.

— Le temps... ne s'écoule pas de la même façon ici que chez toi. C'est l'un des mystères liés aux Portes. Quand un Passager passe d'un monde à un autre, il franchit une frontière qui défie les lois habituelles de la réalité.

Il se lève, fait quelques pas dans l'herbe, les mains croisées derrière le dos.

— Dans ton monde, le temps peut sembler figé pendant que tu es ici. Comme s'il t'attendait. Mais attention : ce n'est pas un privilège... c'est une conséquence. Et parfois, un avertissement. Car cela signifie que tu appartiens déjà un peu moins à ton monde. Et un peu plus au nôtre.

Il se retourne vers moi.

— Plus tu franchis la Porte, plus ton lien au monde d'origine s'affaiblit. Tu ne le remarques pas tout de suite. Mais les signes s'accumulent. Jusqu'au jour où...

Il s'interrompt, comme s'il hésitait à finir sa phrase.

— ...où tu ne peux plus revenir tout à fait comme avant.

Jules me regarde, attentif, sans dire un mot. Il semble comprendre ce qui se passe en moi. Je serre mes bras contre moi, un frisson me traverse l'échine. Le ciel se couvre de plus en plus, comme s'il reflétait le tumulte dans ma tête.

Tu n'es pas obligée de tout comprendre aujourd'hui, dit-il doucement. Ce monde... ces objets, le Codex... Tout ça prend du temps. Il faut l'apprivoiser.

Je hoche à peine la tête. Une autre goutte. Puis une deuxième. L'odeur de la pluie imminente emplit déjà l'air, mêlée à celle des fleurs de la véranda. Je sens mes pieds s'enfoncer légèrement dans l'herbe humide. Je crois que j'apprécie ce moment. Les pieds dans la terre, le vent dans mes cheveux, cette pluie qui semble me rafraîchir face à toute cette tension émanant de l'inconnu...

Viens, dit Jules. On rentre. Il est temps de fermer le coffre pour aujourd'hui.

Jules laisse les portes grandes ouvertes, comme s'il voulait que la pluie entre un peu avec nous, qu'elle purifie l'atmosphère lourde de nos pensées. Le parfum de la terre mouillée et des fleurs gorgées d'eau se mêle à l'air frais, et, étrangement, cela m'apaise.

Nous nous installons sans un mot. Le silence n'est pas pesant, il est doux, presque complice. J'observe Jules du coin de l'œil. Il regarde la pluie tomber, perdu dans ses pensées. Je sens qu'il a encore tant de choses à dire, à me transmettre, mais que le moment n'est pas encore venu.

Un éclair lointain déchire brièvement le ciel, sans un bruit, comme un simple rappel que l'orage peut gronder à tout instant. Pourtant ici, dans cette véranda baignée de pluie et de calme, tout semble suspendu.

Pendant un instant, je le fixe du coin de l'œil. Il ne dit rien, mais tout en lui dégage une sérénité troublante. Sa posture détendue, ses yeux posés quelque part au loin, son léger sourire... Il semble toujours en train d'observer le monde comme s'il en percevait les moindres subtilités. J'aime sa présence, calme et rassurante, comme un ancrage dans ce flot de révélations qui me dépasse encore.

Je me surprends à me demander comment une personne aussi étrange et mystérieuse peut, en même temps, sembler aussi proche de moi. Comme s'il avait toujours été là, quelque part, dans ma vie. Une certitude silencieuse s'installe en moi : Jules n'est pas arrivé par hasard.

J'ai envie d'apprendre à le connaître un peu plus, connaître son histoire, et tout ce que je suis à même de comprendre... Alors je décide de briser cette paix ambiante :

— Jules, jusqu'à présent, nous n'avons parlé que de magie, de livres, de passagers... Mais est-ce que tu serais d'accord pour qu'on fasse un peu plus connaissance ? Je t'avoue que j'ai besoin de retourner à des choses simples, les relations humaines...

Jules tourne lentement la tête vers moi, surpris d'abord, puis souriant doucement, comme s'il attendait cette question depuis un moment.

— Bien sûr, Anabelle, me dit-il d'un ton posé. Tu as raison. Ce monde est fait de tant de mystères qu'on en oublie parfois les choses simples... comme se connaître.

Il se redresse légèrement sur sa chaise, croise les bras et ajoute, presque amusé :

— Par quoi veux-tu commencer ? Mon plat préféré ? Mon premier souvenir d'enfance ? Ou peut-être... ce que je faisais avant tout ça ?

Son regard se fait un peu plus intense, mais toujours bienveillant. Il semble prêt, sincèrement prêt, à s'ouvrir.

Jules se penche légèrement en avant, les coudes posés sur ses genoux, le regard pleinement attentif. Je sens que je peux y aller. Je prends une inspiration, et je me lance.

— Dans l'autre monde, je suis... quelqu'un d'ordinaire, tu sais. Je vis seule dans un petit appartement, j'ai un travail qui m'occupe sans vraiment me passionner. Mes journées se ressemblent. Mais il y a toujours eu ce truc... ce pressentiment qu'autre chose m'attendait, ailleurs. Et puis il y a eu ce coffre, ce livre, et toi.

Je parle doucement, sans trop de gestes, comme si je déposais chaque mot au bon endroit, avec soin. Je lui raconte ma relation avec ma grand-mère, ce lien inexplicable, presque télépathique, que j'ai toujours ressenti avec elle. Je parle aussi de cette impression constante d'être entre deux réalités, cette sensation que quelque chose m'échappe depuis toujours.

— J'ai toujours eu l'impression d'être en décalage. Comme si je voyais des détails que personne ne voyait. Comme si... comme si mon esprit marchait dans un monde pendant que mon corps vivait dans un autre.

Je relève les yeux vers lui. Il ne dit rien, mais il m'écoute, vraiment. Il semble comprendre ce que je dis sans que j'aie besoin de trop expliquer.

— Je suis une femme simple, qui n'a pas besoin de beaucoup pour être heureuse. J'ai toujours vécu dans une famille qui se serrait les coudes. Quand mes deux grands-parents sont décédés, mes parents ainsi que mes oncles et tantes se sont tous aidés afin de garder leur maison dans notre famille. Qu'elle puisse devenir notre refuge familial.

Jules hoche lentement la tête, visiblement touché par tes mots. Il garde un silence respectueux, comme si ce que tu venais de dire avait une valeur sacrée.

— C'est beau, dit-il finalement, une vraie maison de cœur. Ces endroits-là deviennent rares. Des racines vivantes, pas seulement des murs et des souvenirs.

Tu continues, la voix un peu plus douce :

— J'ai grandi dans cette atmosphère-là. On partageait tout. Les joies, les peines, les silences. Et même si parfois on se disputait, on n'a jamais cessé d'être là les uns pour les autres. Cette maison... Elle représente bien plus qu'un lieu. C'est un morceau de nous tous.

Jules t'observe avec une intensité tranquille, presque reconnaissante. Il t'écoute comme on écoute une vérité qu'on avait oubliée.

— Aujourd'hui, à bientôt 30 ans, je veux renaître. Apprendre ce qu'on ne m'a pas appris, découvrir, aimer, partager... Et que ce soit dans ce monde ou dans le mien. Finalement, je crois que tout ça, c'était inévitable pour moi.

Jules incline légèrement la tête, attentif. Son regard devient plus doux encore, comme s'il voyait en toi quelque chose qu'il reconnaissait.

— C'est une belle chose, Annabelle... de vouloir renaître. Peu de gens osent le dire, encore moins le faire. Tu n'es pas seulement en train de vivre une aventure, tu es en train de te choisir. Et ça... ça change tout.

Il marque une pause, regarde brièvement à travers les vitres ruisselantes de la véranda, puis revient vers toi.

— Tu sais, entre vouloir et être prêt, il y a parfois un gouffre. Mais toi, tu as déjà sauté. Ce n'est plus une question de si, mais de comment.

Annabelle lui répond alors qu'elle aimerait savoir, le connaître. Comment il est dans la vie de tous les jours, quel est son métier... Et d'ailleurs, comment se passe la vie dans son monde ? Est-ce qu'il est différent du sien ? Qu'a-t-il de différent ?

Jules esquisse un sourire en coin, comme s'il s'attendait à cette question. Il s'installe un peu plus confortablement sur sa chaise, croise les bras, puis te regarde avec bienveillance.

— Dans la vie de tous les jours ? Eh bien... je suis quelqu'un de plutôt discret. J'aime le calme, la nature, les choses simples. J'ai un petit atelier, pas loin d'ici, où je restaure des objets anciens. Des montres, des livres, parfois même des meubles. J'aime l'idée de redonner vie à ce qui semblait perdu. J'ai toujours été bricoleur, et j'ai longtemps fait ça en compagnie de mon père et de mon grand-père.

Il regarde ses mains, calleuses, marquées de son travail.

— Je ne suis pas très "ville", je préfère la tranquillité de mon monde. Même si... — il te lance un regard complice — j'ai toujours été curieux de l'autre.

Il marque une pause, le regard toujours ancré dans le tien, comme pour s'assurer que tu comprends bien ce qu'il veut dire. Puis, d'une voix un peu plus posée, presque murmurée :

— Ici, on prend le temps de ressentir. De comprendre. De guérir, aussi. Les conflits ne sont pas absents, mais ils sont affrontés avec d'autres armes : le dialogue, l'écoute, parfois même... le silence. Il y a des Conseils pour certaines décisions importantes. Et puis, il y a des passeurs, comme mon grand-père l'a été, comme peut-être tu es en train de le devenir. Ils sont là pour maintenir l'équilibre entre les mondes, les âmes, et parfois... les vérités qu'on ne veut pas toujours voir.

Il baisse un instant les yeux vers le livre que tu tiens encore entre tes mains, puis les relève vers toi.

— Ce monde n'est pas un paradis, Annabelle. Mais c'est un monde où la magie n'a pas été chassée. Où l'intuition a sa place. Où les souvenirs ne sont pas seulement ce qui a été, mais parfois ce qui pourrait revenir. C'est une terre de passage, de transformation.

Il sourit, plus doucement, plus humainement.

— Et toi, tu es au bon endroit. Même si tu ne sais pas encore pourquoi.

Je l'observe, en silence, portée par le timbre de sa voix et les mots qu'il choisit avec soin. Il ne parle pas seulement de son monde — il l'incarne. Il y a dans ses gestes, ses regards, cette manière douce et assurée de s'exprimer, une harmonie rare. Une cohérence entre ce qu'il dit et ce qu'il est.

Je ressens quelque chose de profond, presque magnétique. Comme si une part de moi, enfouie depuis longtemps, reconnaissait enfin un écho, une résonance.

Cette attirance n'a rien de superficiel. Ce n'est pas juste lui, ce n'est pas juste son monde. C'est ce qu'il dégage, cette impression qu'il marche avec un but, une foi invisible mais inébranlable. Je vois dans ses yeux une lumière discrète mais puissante, un feu calme mais bien réel. Jules croit en ce qu'il fait, et plus encore, il croit en ce qui est possible.

Je sens alors que ce que je vis dépasse largement la simple curiosité. Il y a là un appel — discret mais clair — vers quelque chose de plus grand que ma simple personne. Je ne sais pas encore si c'est ce monde, Jules, ou cette mission dont il parle... mais une chose est sûre : Je suis déjà en train de changer.

Jules me tend un papier, qui était dans son coffre, et sur lequel est inscrit un petit texte. Il ne m'explique pas tout de suite son contenu et me demande simplement de le lire.

" Dans ce monde, la philosophie qui sous-tend chaque geste et chaque pensée repose sur trois piliers : l'Équilibre, l'Intention consciente et la Résonance.

L'Équilibre
Ici, on ne cherche pas à dominer la nature, ni à la soumettre. On apprend plutôt à circuler avec elle, comme l'eau suit son cours, sans rupture ni excès. Chaque décision, chaque acte, est pesé à l'aune de son impact sur l'ensemble : l'individu, la communauté, le monde.
Pour toi, cela signifie réévaluer tes propres ressorts intérieurs : prendre le temps d'écouter l'écho de tes actes, mesurer leurs répercussions. Tu apprendras à agir sans te précipiter, à ménager autant le terrain de tes pensées que le sol que tu piétines.

L'Intention consciente
La magie n'est pas un artifice : c'est la cristallisation de la volonté pure. Chaque formule, chaque incantation ne répond pas seulement à un mot, mais à l'intention profonde qui l'accompagne. Un Passager ne manie le Codex qu'avec une détermination éclairée, jamais par curiosité vaine ou désir de pouvoir.

Pour toi, cela veut dire que tes émotions deviennent des leviers. Ta peur, ta colère, ton amour—tous peuvent nourrir la magie, mais c'est à toi de choisir le souffle qui animera tes sorts. Apprendre à discerner ton intention la plus juste sera l'un de tes plus grands défis.

La Résonance
Tout est lié : les mondes, les âmes, les souvenirs, et même les objets. Un battement d'aile dans l'un peut faire tanguer un souvenir dans l'autre. Les Sacers Codex eux-mêmes vibrent selon les cœurs qui les ouvrent.
Pour toi, cette résonance se traduit par une sensibilité accrue : la moindre émotion forte peut ranimer un souvenir ancien, la plus petite pensée peut provoquer un frisson dans le tissu même de la réalité. Tu devras apprendre à canaliser ta résonance, à transformer ces échos intérieurs en guides plutôt qu'en mirage.

En embrassant cette philosophie, tu cesses d'être un simple voyageur d'un monde à l'autre : tu deviens un véritable Passager, conscient de l'impact de chacun de tes pas, prêt à avancer, avec soin et volonté."

— C'est fascinant qu'ici, la magie soit l'essence même des intentions. Il va falloir que je m'y habitue.

Jules esquisse un léger sourire, comme s'il s'attendait à cette réaction. Il me regarde avec douceur, puis répond :

— C'est normal que ça te semble étrange au début. Là d'où tu viens, on vit dans un monde où l'on sépare tout : le visible du caché, le réel de l'invisible, la raison de l'émotion... Ici, on apprend à tout relier. La magie, ce n'est pas un tour, ce n'est pas un pouvoir au-dessus des autres. C'est une mise en forme de ce que l'on porte déjà en soi.

Il marque une pause, puis poursuit :

— C'est pour ça que l'intention est si essentielle. Tu ne peux pas lancer une incantation juste pour voir ce que ça fait. Il faut vouloir, sentir, et surtout comprendre. Le Codex ne répond qu'à une âme prête.

Puis, se penchant légèrement vers moi :

— Tu verras, Annabelle... le jour où tu comprendras que ta vulnérabilité est une force, que ton intuition est un guide, et que ton histoire est une clé... ce jour-là, la magie ne te semblera plus étrangère. Elle sera toi.

Peut-être, au fond, je sens déjà quelque chose naître — pas encore une certitude, mais une vibration. Un écho en moi. Je lui dis alors :

— Si l'intention est l'essence de la magie, alors ça signifie que tout ce que j'ai vécu jusqu'ici a un impact, d'une certaine manière.

Jules acquiesce lentement, le regard plongé dans le mien, comme s'il pesait chaque mot avant de répondre.

— Exactement. Rien n'est jamais inutile, ni anodin. Chaque douleur, chaque joie, chaque choix que tu as fait... tout ça a façonné ton intention. Et donc, ta magie.

Il se lève, fait quelques pas dans la véranda, les mains croisées dans le dos, puis poursuit :

— La plupart des gens croient qu'il faut oublier le passé pour avancer. Mais ici, on pense l'inverse. Ton passé est une carte. Il montre où tu as été brisée, où tu as aimé, où tu as lutté. Et c'est à travers ces chemins-là que la magie se manifeste le plus puissamment. Parce qu'elle sait que tu n'es pas en train d'inventer une force... tu es en train d'éveiller ce qui dort déjà en toi.

Il se retourne vers moi, un sourire doux aux lèvres.

— Ce que tu as vécu jusqu'ici est précieux, Annabelle. Même si tu n'en comprends pas encore le sens. Tout a une résonance, même les silences. Ce monde ne t'a pas choisie par hasard.

Un silence s'installe. Mais cette fois, il n'est pas vide. Il est plein de sens, de vérité.

— Je ne sens plus de peur face à tout ça. Après tout, je n'ai rien demandé de tout ça, et pourtant, je le vis. Peut-être bien qu'accepter que la magie doit avoir une place dans ma vie, c'est accepter le passé que mes ancêtres ont vécu...

Jules s'approche doucement, son regard toujours aussi calme et sincère.

— C'est exactement ça. Ce que tu ressens, ce n'est pas juste du courage. C'est de l'alignement. Ce moment où tu arrêtes de lutter contre ce que tu portes depuis longtemps. Ce que tes ancêtres ont transmis, ce n'est pas un fardeau... c'est une voie.

Il marque une pause, puis ajoute, plus doucement :

— Accepter la magie, ce n'est pas fuir le réel. C'est le regarder en face, avec d'autres yeux. C'est comprendre que le visible ne dit pas tout, et que les racines invisibles sont parfois les plus puissantes.

Il se tourne vers le jardin, là où la pluie s'est calmée, et où un rayon de soleil commence à percer entre les nuages.

— Tu n'as rien demandé, non. Mais peut-être que c'est justement pour ça que tu es la bonne personne. Parce que tu ne cherches pas le pouvoir. Tu cherches la vérité. Et c'est toujours là que la magie commence à se révéler.

Un silence apaisant suit ses mots. Pour la première fois depuis longtemps, tout semble à sa place. Je sens en moi cette acceptation prendre racine, doucement, naturellement.

Après ces mots, Jules me fixe du regard. Un regard rempli de bienveillance. Peut-être est-ce le moment d'accepter ma place dans cette histoire, d'explorer plus avant la magie des ancêtres.

Jules te regarde, presque comme s'il t'attendait à cet instant précis depuis toujours. Il hoche lentement la tête, comme pour approuver silencieusement ta pensée.

— Oui, dit-il, la voix basse mais ferme. C'est le moment. Pas parce que tu y es forcée. Pas parce que tu dois réparer quoi que ce soit. Mais parce que tu es prête.

Il s'approche d'un meuble en bois ancien dans un coin de la véranda et en sort un petit carnet relié de cuir, usé par le temps. Il le dépose devant moi.

— Ce carnet n'est pas comme les autres. Il ne se remplit qu'avec ce qui est vrai. Ce que tu vis, ce que tu ressens. C'est un pont entre toi, tes ancêtres, et ce que tu deviendras. Ce n'est pas un livre de sortilèges. C'est un livre de vérité. Ton grimoire.

Il me fixe droit dans les yeux.

— Si tu veux explorer cette magie, tu dois commencer par y inscrire ton intention. Ce que tu portes. Ce que tu es. La magie des ancêtres ne se transmet pas seulement par le sang, mais par le choix. Et tu viens de faire le tien.

Autour de moi, l'air semble plus dense, comme chargé de quelque chose d'invisible mais réel. Une énergie douce, ancienne, enveloppe la pièce. Je sens que rien ne sera plus jamais tout à fait comme avant — et que c'est exactement ce que tu veux.

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