XX

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Ratih connaissait à peine le système judiciaire de son pays. Inutile de dire qu’à part quelques lieux communs, tirés de séries télévisées, elle ignorait tout du fonctionnement de celui de l’État de New York.

C’est donc complètement affolée et ignorante de ce qui allait lui advenir qu’elle fut arrêtée, menottée, amenée au Commissariat le plus proche, interrogée par deux inspecteurs, puis par le procureur du district, et enfin transférée au NYPD Central Booking, pour la prise d’empreintes et les photos anthropométriques.

Quatre heures s’étaient écoulées depuis son arrestation. Juste avant qu’on la lui retire, ainsi que sa ceinture, sa montre indiquait trois heures et demie du matin.

Elle n’était plus que le matricule 33-455, pris dans l’engrenage d’une machine infernale.

À l’issue de ce cérémonial, conduit par un flic écrasé par la chaleur ambiante, qui bâillait et s’épongeait le front toutes les trois minutes avec un mouchoir d’une noirceur inquiétante, elle fut mise en cellule.

C’était un espace rectangulaire de trois mètres sur deux, tout au plus, carrelé de blanc du sol au plafond, éclairé en permanence par une rampe lumineuse aveuglante, fermé par une porte grillagée, équipé d’un WC, d’un lavabo, ébréchés et sales, et d’un bat-flanc en béton de soixante centimètres de large, intégré au mur.

À ce stade, Ratih avait droit à trois appels téléphoniques. Hélas, il lui restait tout juste assez de monnaie pour appeler Garin depuis le téléphone à pièces accroché dans le couloir.

Celui-ci lui offrit immédiatement de payer sa caution, si la possibilité lui en était donnée par le juge. Elle le remercia avec effusion et lui demanda de prévenir avec ménagements sa mère et Lia de sa situation.

Puis, un auxiliaire médical lui fit subir un rapide questionnaire de santé, avant son entrevue avec un représentant de la Criminal Justice Agency.

C’est au représentant de cette Association qu’il appartenait de recommander au juge du Tribunal Pénal, devant lequel aurait lieu sa comparution dans les 24 heures, si Ratih pouvait bénéficier ou non d’une mesure de liberté sous caution.

Hélas, son avis fut négatif, au motif que le crime présumé était de classe A, la plus grave, et qu’il existait un risque qu’elle tente de se soustraire à la justice de l’État de New York. C’était ridicule étant donné qu’on lui avait confisqué ses papiers !

Mais c’est ainsi qu’elle se retrouva dans une cellule de détention de la chambre criminelle de Manhattan, attendant de passer devant le juge.

Les cellules ressemblaient en tous points à celles de garde à vue, mais cette fois la sienne était fermée par une grille à barreaux ronds, dans laquelle était ménagée une petite porte.

Le juge Parker, un Afro-Américain d’une cinquantaine d’années, cheveux blancs et petite moustache grisonnante, vous regardait par-dessus des lunettes aux verres en demi-lune, d’un air renfrogné et sévère. Il faisait penser un peu à un bouledogue.

C’est lui qui devait la mettre en accusation ou non, après avoir entendu, à huis clos, les représentants de la police qui avaient procédé à son arrestation, déterminé si celle-ci s’était passée dans les règles et entendu l’avocat qu’elle s’était choisi ou qui avait été désigné pour l’assister.

Ce n’est qu’après une fin de nuit inconfortable, en chien de fusil sur sa dure couche, qu’elle put comparaître, le lendemain dans l’après-midi.

En guise de petit déjeuner, on lui avait servi un bol de céréales avec du lait, qu’elle s’était forcée à ingérer, en dépit d’un écœurement certain. Elle avait ensuite procédé à une toilette de chat, à l’eau froide, dans le lavabo, et satisfait à ses besoins à la sauvette, en raison du manque d’intimité.

À midi, on l’avait gratifiée d’un sandwich au thon et d’une pomme, avec une demi-bouteille d’eau.

Avant l’audience, elle eut droit à un entretien avec son avocate, dans un parloir exigu attenant aux cellules.

Une gardienne armée surveillait la porte. Au centre de la pièce, une table métallique fixée au sol et deux chaises.

L’avocate engagée par Garin pour la représenter était une fille noire, la petite quarantaine, élégante, à l’élocution soignée, membre d’un cabinet réputé, spécialisé en matière criminelle.

Elle communiqua à Ratih les charges retenues contre elle, à savoir, blessures volontaires ayant entraîné la mort, crime de classe A, punissable d’une peine d’emprisonnement de cinq à vingt ans, selon les circonstances retenues.

Ratih s’était effondrée en larmes :

— Mais je n’ai rien fait, je vous jure ! Oui, d’accord, on s’est disputés. Je voulais qu’il parte, il a refusé, m’a injuriée, alors je l’ai menacé de partir, moi, et je suis sortie dans le couloir, c’est tout !

— Vous maintenez que vous ne l’avez pas frappé, qu’il était en vie lorsque vous êtes sortie ?

— Absolument.

— Vous vous rendez compte que toutes les apparences sont contre vous ? Vos empreintes sur le pied de la lampe, le sang de la victime sur celle-ci, la moquette et le drap, les témoins auditifs de la dispute... Il vaudrait mieux reconnaître l’agression et plaider la légitime défense.

— Je refuse de reconnaître quelque chose que je n’ai pas commis !

— Un dossier pareil, avec le juge Parker, ça n’est pas gagné, je vous préviens !

Lors de l’audience, en dix minutes, son cas fut réglé. Une trentaine d’autres étaient inscrits à l’ordre du jour du juge, qui n’avait pas de temps à perdre ! Les policiers relatèrent les faits, firent constater qu’ils avaient suivi en tous points la procédure et, vu qu’il s’agissait d’un homicide au premier degré, l’avis de la CJA fut suivi. La mise en accusation formelle de Ratih fut décidée et elle fut transférée au RMSC (1) en attente de sa comparution devant le Grand Jury, deuxième étape du long parcours judiciaire qui allait être le sien.

C’était son premier jour de privation de liberté. Elle ignorait qu’elle allait être condamnée à mille huit cent vingt-cinq de plus !

(1) Rose M. Singer Center (RMSC), prison pour femmes et adolescentes, ouverte en 1988, 800 lits, située sur l’île de Rikers, à New York.

(à suivre)

© Pierre-Alain GASSE, 2017.

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