Le Monde aux sens

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C’est en se penchant par dessus la balustrade rouge du pont japonais, qu’on entrait dans « le Monde ».

J’y suis allée, et je vais vous raconter ce que l’on y voit. Et peut-être que vous aussi, vous souhaiterez y séjourner.

C’est un lieu composé de lumières et de couleurs. Elles dansent ensemble sensuellement un tango suffocant ; tandis que les autres meurt, seuls, de froid sur Terre. Ce monde de reflets et de velours, c’est tous les plis de la robe d’une danseuse : des creux, des bosses, des ondulations à n’en plus finir. L’œil s’y perd avec un réconfort gourmand. Il n’y a de place que pour les tourbillons de folies qui éclatent, ça et là. Et pour les couleurs, elles s’y sont bien installées : on croiraient (et certains disent que c’est bel et bien vrai), qu’elles sont les habitantes de ce « Monde », tant elles y siègent avec harmonie. Je n’avais pas compris cet équilibre précaire, la toute première fois que je m’y étais rendue : habituée aux ténèbres et à la pénombre, j’avais été éblouie et effrayé par cette effusion de vie qui m’avait jailli au visage, un peu à la manière des flammes qui nous surprennent lorsque l’on attise un feu. Je ne savais plus ou j’étais. Et lorsque mes sens m’étaient revenus, quel spectacle s’offrait à moi ! Un volcan bouillonnait à l’extrémité, telle une fontaine de jouvence dangereuse, qui rejetait sans cesse des pluies d’éclairs. Je cru qu’on tirait depuis son centre un feu d’artifice. Mais en pressant mes côtes de plus belles contre la balustrade, j’appris de mes yeux plissés par la concentration que me demandait l’effort - tant le point de vue était éloigné de ma position-, j’appris que ce phénomène était pourtant banale. Il se produisait en moyenne toute les deux minutes trente sept secondes pour être exacte.

Dans notre Monde, il est certain que si ce genre de phénomène se produisait, on crierait à la fin de notre ère. On s’affolerait, on courrait partout, en tout sens et sans but. Ici, la folie n’existe, car elle est chose courante. Je me demande même si ce mot aurait un sens dans cette dimension. La folie y est permanente, immanente à ce qui se dégage de ce paysage, avant tout sensoriel. Car peut-être ne vous l’ais-je pas précisé, mais on embrasse ce paysage lors de la toute première contemplation les yeux clos, tant la multitude d’émotions qui s’en dégage est déroutante. Épileptiquement parlant, ça vous remue un Homme.

Cependant, folie n’est pas synonyme ici de toute puissance destructrice, mais plutôt de fragilité, d’une délicatesse peux évidente à vivre et à sonder. Car comme une robe de soirée, son étendue plissée est sensible aux accros, changeant d’aspect sans cesse, à la manière des reflets de lumière sur le velours. Depuis la balustrade, on croirait survoler une immense nappe de papier que l’on aurait froissé suite à une fête (peut-être un mariage, toujours dans cet idée de folie ultime, comme si c’était la dernière fois qu’on voyait une bande d’amis, et que l’on souhaiter se souvenir à jamais de ce moment) ; les plis oniriques du papier créant collines et vallées. Dans ces dernières, des amas de paillettes jetés par des invités en délire témoignent d'une célébration menée à tambour battant, sous un torrent de musique et de rire qui s’échappent des gorgent déployées haut vers le ciel étoilé de dix-sept astres aveuglants. Se forme, en contre bas, des lacs miroitant dans les cavités formées. Ces lacs, éclatants de rires électriques, sont ici comme un symbole du retour au calme provisoire après la fête. Car une autre bat déjà sont plein, par delà le volcan en éruption de feux d’artifices.

La fragilité de l’écorce terrestre du " Monde" est, parait-il, du à l’activité qui s’y déroule en dessous : des escaliers gravés dans la pierre y conduisent. Mais ici, personne n’est intéressé par l’idée d’aller de l’ "Autre côté " voir ce qu’il se passe : on a déjà assez à faire en haut pour s’y intéresser. C’est fort dommage me diriez vous. Pourquoi avoir construit de tels escaliers, si ce n’est finalement pas pour s’en servir ? De la, vous venez de mettre le doigt sur l'énigme de ce continent habité par la folie : ce qui ne sert à rien sert, puisqu’il à l’inutilité d’exister, et quand bien même ce n’est pour avoir aucune fonction. Car dans le " Monde ", être là, exister, est déjà un miracle. Et quoi de plus fou qu’un miracle ?

A ce rythme, les yeux s’habituent aux éclats de lumières, les oreilles à la musique tonitruantes des volcans qui crachent leur jets de couleurs, la peau aux vagues de chaleur qui viennent la mordiller et le nez et la bouche à cette odeur de souffre qui devient presque agréable. A ce stade, on se doute que l’on est entré dans une autre pièce de la conscience, puisque ce qui nous semblait désagréable tout à l’heure devient maintenant banal. Tout semble s’inverser. Ce " Monde " est en réalité un anti lieu. Un " Mi-lieu " à mi-chemin entre l’Enfer et le Paradis.

Mais, ce lieu n’est-il pas habité par de quelconque créatures ? Et contre toute attente, je vous répondrez que non. On ne sait comment sont apparu les escaliers qui mènent en son centre, mais il est sure que le Monde est aussi désert qu’une île. Mais je ne conçoit pas le " Monde " comme un lieu désert : en effet, désert rime pour moi avec vide mortel, et non avec inhabité. Car à l’instant même où l’on en foule le sol meuble et confortable, nous sommes immédiatement happé par un sentiment de bien être, confirmé par les éclats des volcans au loin, comme une symphonie pour cuivre qui se trouverait éloignée de l’endroit où l’on se situe, et par la chaleur rayonnante de l’étrange végétation qui se propage en son plancher.

Car cette unique végétation qui le recouvre intégralement est une espèce endémique de mousse rose. Une mousse rose bien tendre et humide, où les orteils s’enfoncent avec délectation dès que l’on y pose le pied. Une mousse douce et dense, qui n’a rien de comparable avec la barbe à papa des fêtes foraines, écœurante, pleine de sucre et d’air. Une mousse d’un rose aussi éclatant que les vertes prairies d’Islande où s’égaillent les moutons, sous le vent marins et la pluie diluvienne. Ce rose qui fait tourner les têtes, est aussi la couleur la plus représentative de la folie ambiante qui règne sur ce " Monde ". Imaginez un peu : une mousse rose à perte de vue sur laquelle les pieds sont happés une fois posés dessus … Qu’elle bien étrange vue ! Sans compter l’agréable chaleur qui s’en émane. Il est sans conteste que cette pelouse irradie de bonheur ! Étonné par cette bien étrange propriété, je m’était renseigné auprès d’amis scientifiques, qui me conseillèrent de leur rapporter des échantillons afin de pouvoir au mieux l’analyser. Ce que je m’empressais d’exécuter dès mon retour au sein de mon si cher " Monde " : quel ne fut pas ma surprise de constater qu’il était impossible de saisir cette mousse ! En effet, dès que j’en approchait un outil métallique, la mousse se rétractait sur elle même, devenant subitement extrêmement compact, au point de lui faire prendre la même consistance que les outils de récolte eux même. J’eus beau essayer de toute les manières que me portèrent mon imagination, rien n’y fit : le pire fut de la caresser comme un animal, puis de tenter d’y planter un couteau prestement ; je ne réussit qu’à en briser la lame, et mon cœur par la même occasion. Ce fut comme trahir ce " Monde " au sein duquel je me sentais si bien, à l’abri de toute menace extérieur. Selon mes amis scientifiques, ce devait sûrement être une espèce de mousse qui ne supportait pas les métaux. Ensemble, nous la baptisèrent Metallumphobia rosaea, et en restèrent là en manière de torture végétal.

Quant à l’odeur qui flotte à travers le " Monde ", je la comparerai à un mélange de souffre et de musc : terriblement entêtante et agréablement enivrante à la fois. Elle est de ce genre de parfum que l’on hume avec écœurement à la première salve et qui fini par être rassurante au fur et à mesure que les sinus s’y habituent. A la manière d’un fond sonore, on finit par l’oublier, et c’est quand l’odeur cesse que l’on remarque qu’une soustraction olfactive c’est opérée. Suave et subtile.

J’ai plaisir à séjourner de temps à autre dans le " Monde " : c’est toujours une expérience à la fois divertissante et ressourçante. Allongée dans la mousse, entre deux collines de mousses rose, bercée par les odeurs soufrées et les bruits d’explosions des volcans, je mesure à qu’elle point je suis un être privilégié de connaître un tel lieu. Je hume l’air avec délectation, étourdie par les effluves enivrante qui se dégage des profondeur du " Monde ". J’en serais presque écœurée, tant j’inhale puissamment le souffre qui se dégage des volcans pétaradant. Je me laisse bercer par les messages que reçoivent mes sens et, comme à chaque fois que j’en ai achevée l’inspection, et que je m’y allonge, je ferme les yeux sur le " Monde ", lovée entre les collines. Le bruit s’estompe peut à peux, à l’instar des images de ce merveilleux endroit que je souhaiterai à jamais gravées sur ma rétine, pour y retourner à chaque moment douloureux que je vis sur Terre.

L’alarme de mon réveil me crispe. Il est déjà sept heure trente.

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