04. Monologue du fou amoureux

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Arthur

Je regarde la porte se refermer sur Julia qui part rejoindre le Président et mon cerveau se met en branle. Les scénarios les plus fous se bousculent dans ma tête, tous plus scabreux les uns que les autres. Je me retiens à plusieurs reprises de sortir de notre chambre pour aller la rejoindre. Les rejoindre, je devrais dire. Qu’est-ce qu’il peut bien être en train de lui faire ?

- Ils ne sont pas en train d’enfiler des perles, Tutur. Il faut te faire une raison. Si c’est aussi long, son absence, c’est qu’elle doit être en train de lui faire apprécier les petites Françaises !

Long, en fait, ça ne l’est pas tant que ça. Je regarde ma montre et constate que ça fait juste vingt minutes qu’elle est sortie, mais j’ai l’impression d’avoir déjà pris dix ans sur cette courte période. L’idée que Gros Porc Premier est en train de la toucher, de profaner tout ce qu’elle m’a offert et dont je ne peux plus me passer me révulse. Comment en est-on arrivé là ?

Pour me calmer un peu, j’essaie de me repasser ce qu’elle m’a dit juste avant de s’éclipser pour son rendez-vous avec la Peste. Elle m’aime. Tout simplement, a-t-elle ajouté comme si tout était simple dans notre situation. Non, mais c’est vrai quoi ! Rien n’est simple ! Elle m’aime, je l’aime et c’est avec un autre qu’elle est actuellement. Un autre qui est pervers en plus ! Un autre qui veut la mettre dans son lit alors que c’est dans le mien qu’elle devrait être.

- Oui, mais Tutur, elle t’aime. Fais-lui donc un peu confiance, non ? Elle a survécu à tellement d’autres choses, elle va réussir à se tirer de ce mauvais pas. Pourquoi tu ne penses pas juste à ces trois mots qu’elle a prononcés ?

Parce que je suis un con jaloux et frustré de ne pouvoir rien faire pour l’aider. Parce que c’est à cause de moi qu’elle se retrouve dans cette situation. Parce que je suis totalement impuissant et dans l’incapacité la plus complète de lui venir en aide. Parce que je tourne en rond dans ma tête comme je tourne en rond dans cette chambre.

J’ouvre en grand la fenêtre et je respire l’air frais de ce soir de janvier. La vue depuis le Palais est magnifique. Les montagnes au loin sont enneigées et leur chapeau blanc est un vrai décor de carte postale. La petite colline sur laquelle nous sommes nous permet d’avoir un panorama sur toute la vallée et je réussis enfin à calmer mon esprit dérangé et perturbé par ce qu’est en train de faire la femme que j’aime. Mon regard se pose sur la façade et je me dis qu’ils ont bien choisi le lieu où ils nous ont mis. Vu l’étage à lequel nous sommes, aucun moyen de fuir par l’extérieur. Un saut serait fatal. Et aucun moyen d’accéder à une autre partie du bâtiment, même en faisant l’équilibriste.

- Tu sais que tu n’es pas James Bond, Tutur ? Tu es fou ou quoi d’imaginer des trucs comme ça ? Tu ne te souviens pas qu’il y a encore quelques mois, l’aventure pour toi, c’était d’aller à la boulangerie dans un autre quartier ?

Des fois, quand j’entends ma petite voix, ma conscience, me parler ainsi, j’ai presque envie de me frapper la tête contre un mur tellement elle m’exaspère. Je suis vraiment fou, je crois. Heureusement que personne ne sait tout ce qui se passe dans mon cerveau, sinon ce n’est pas au Palais Présidentiel que je serais enfermé, mais bien à l’asile psychiatrique !

- Peut-être que c’est vraiment là-bas ta place… Au moins, tu serais bourré de médicaments et tu ne penserais pas à Julia toute nue dans les bras du Président.

Et mince, voilà que mon esprit torturé me ramène à nouveau à ce qui est en train de se passer à quelques mètres de cette chambre. Je reprends mes déambulations dans la chambre et je butte contre mon sac que je n’ai pas fini de vider. Je me dis que vu ce qui a été annoncé sur la durée de mon séjour ici, je ferais mieux de tout ranger et de m’installer comme si j’allais rester des mois. Il va falloir que je fasse ramener d’autres affaires d’ailleurs, si mon invitation est prolongée aussi longtemps.

En enlevant mes deux chemises à carreaux et mes sous-vêtements, un papier tombe à mes pieds. Je me baisse et le récupère. Je ne peux retenir un sourire en voyant qu’il s’agit du dessin réalisé par Lila, ma petite protégée que j’aimerais tant pouvoir ramener avec moi en France.

- En France ? Parce que tu penses que tu vas réussir à y retourner ? Pour ça, il faudrait déjà que tu puisses te sortir de ce Palais dans lequel tu es enfermé !

Je déplie le petit papier et j’y découvre avec plaisir les traits enfantins qu’elle a déposés avec tout l’amour qu’elle éprouve pour nous. Elle a dessiné trois personnages qui se tiennent la main. Une petite fille au centre, avec un sourire plus grand que sa tête. Les boucles noires que je vois autour de son visage me confirment qu’il s’agit de Lila et je suis content de voir qu’elle est heureuse de sa situation. L’homme à ses côtés a l’air d’un géant. Il est barbu et elle a maladroitement dessiné des carreaux sur sa chemise dont les boutons semblent eux-aussi gigantesques par rapport au reste des habits. Il arbore lui aussi un grand sourire et regarde vers la jeune femme qui tient l’autre main de la petite fille. Cette femme est magnifique avec un fusil à la main et des cheveux que Lila a dessinés en marron avec du rouge dedans. Elle aussi regarde vers le barbu et je suis touché par cette vision de la petite fille que j’aime tant. Comme si elle anticipait un futur où nous formerions tous les trois une petite famille. Un futur rêvé et fantasmé qui m’apporte une réelle joie et une vraie sérénité.

Cette sérénité vole en éclats quand la porte s’ouvre avec fracas et que Julia entre comme une furie avant de claquer le battant brutalement derrière elle sur notre nounou silvanienne chargée de notre protection et de notre sécurité. Tout de suite, elle se dirige vers la fenêtre qu’elle ouvre en grand et pousse un grand cri qui résonne à l’extérieur. Je suis pétrifié sur place et n’ose pas bouger. Tous les scénarios que je m’étais faits dans ma tête me reviennent et j’imagine le pire alors qu’elle ne bouge pas, me tournant toujours le dos, les bras appuyés sur le rebord de la fenêtre.

- Julia… Ça va ? tenté-je timidement sans bouger du lit où je me suis assis.

- Oui, ça va, ça pourrait être pire, marmonne-t-elle avant d’inspirer profondément. Ce type est… J’ai même pas de mot !

- Il a… abusé de toi ?

J’hésite sur mes mots, je n’ose pas m’approcher et venir la prendre dans mes bras alors que j’en meurs d’envie. Je ne sais même pas pourquoi je demande, même si j’ai envie de savoir. J’ai même besoin de savoir, mais est-ce qu’elle va me dire tout ce qu’elle a subi ? Est-ce qu’elle va accepter de se confier à moi ?

- Non… Pas vraiment… Je… Merde, salle de bain ? soupire-t-elle en refermant la fenêtre et en se dirigeant vers la porte sans m’accorder un regard.

Oh non ! Il l’a salie à ce point là ? Elle a besoin de se laver de toutes les horreurs qu’il lui a fait subir ? Je me lève précipitamment et la rejoins avant de buter contre elle alors qu’elle n’est pas entrée dans la douche comme je m’y attendais mais a juste lancé l’eau. Quel con je fais, elle veut juste parler sans qu’on nous entende ! Je la prends néanmoins dans mes bras et la serre contre mon torse, profitant de cette proximité enfin retrouvée.

- Ce type est dingue, je te jure. Rien que ses mains sur moi, beurk, chuchote-t-elle en frissonnant. Je te jure que si ta mère ne le bute pas, je vais me faire un malin plaisir de lui couper son service trois pièces dégueulasse et ses mains baladeuses.

- Il t’a fait quoi exactement ? Je te jure que c’est moi qui vais aller le tuer. Après l’avoir torturé, ce salopard !

- Il… Je sais que ça aurait pu être pire, mais c’est déjà bien trop pour que je ne me sente pas dégueulasse, grimace-t-elle en me serrant contre elle. Je crois qu’un massage des épaules ne m’a jamais été aussi désagréable, ni… Bref, c’est pas utile que tu saches, mais la Ministre est arrivée à temps pour m’éviter le pire, je crois…

- La Ministre est arrivée pour te sauver ? Ce n’est pas ça qui va le satisfaire longtemps, le pervers, m’énervé-je. Comment on va faire pour éviter que ça ne se reproduise ?

- Se barrer d’ici aussi vite que possible… Je ne sais pas encore comment, mais je te jure qu'on ne va pas s'attarder ici.

- Ouais, on va pas se sauver par la fenêtre, je peux te le garantir. Il y a une chute de plusieurs mètres, on se casserait le cou. Il va falloir se la jouer fine. Et filer à l’anglaise. Je… Non, rien.

- Tu ?

- J’ai peur, Julia. Tu te rends compte de la situation ? Nous sommes aux mains d’un type pervers et complètement fou qui maîtrise tout sur ce territoire. Et s’il lui venait l’idée de fermer le camp ? Tu imagines ? Ou de nous faire disparaître ?

- Trop de personnes sont au courant que nous sommes ici pour qu'il nous fasse disparaître… Pour le reste, il est capable de tout. C'est flippant, moi aussi j'ai la trouille, soupire-t-elle en nichant son nez dans mon cou.

- Ce n’est pas très sexy, un mec qui n’assume pas. Et le pire, c’est que je n’ai pas peur pour moi, non, mais ce qui m’inquiète, c’est de te savoir prisonnière ici avec moi, de savoir la petite Lila toute seule au campement, de ne rien pouvoir faire à part tourner en rond dans cette chambre. Tu parles d’une prison dorée !

- Je préfère être ici, même si ça veut dire recevoir des propositions indécentes du type le plus glauque que j'aie jamais connu… Au moins on peut veiller l'un sur l'autre.

- Oui, tu as raison. Si tu n’étais pas ici avec moi, qu’est-ce que je m’inquièterais pour toi ! Mais là, tu es là, et qu’est-ce que je m’inquiète pour toi ! ris-je doucement. C’est ça, être amoureux ? C’est nul, non ?

- C'est con hein ? T'aurais mieux fait de te casser une jambe le jour où on s'est rencontré, rit-elle.

- Non, je ne regrette rien, en fait. A deux, de toute façon, on devrait pouvoir arriver à nous montrer plus malins que lui et à nous échapper. Par contre, avant ça, rajouté-je en éteignant la douche alors qu’elle en profite pour se brosser les dents, il faut nous reposer. Profitons du lit, ça fait un moment que ni toi, ni moi n’avons pu apprécier un tel confort. Ce serait un crime de ne pas s’assurer que tu y es aussi bien dans mes bras que lorsque tu es dans tes quartiers au campement !

- Oui, allons dormir… Et désolée d'avance, je pense que je vais cauchemarder cette nuit, soupire Julia avant de m'embrasser sur la joue et de sortir de la salle de bain.

- Ne t’excuse pas. Qui sait si je ne vais pas cauchemarder aussi, vu les circonstances. Quoique non, rien ne pourrait m’empêcher de dormir, souris-je. Tu sais pourquoi ?

- Non, dis-moi tout, me dit-elle en se déshabillant.

- Parce que j’ai la femme de mes rêves dans mes bras, le chemin vers ces rêves est donc déjà fait, je n’ai plus qu’à fermer les yeux pour les retrouver.

- Wow, je suis tombée sur un Bûcheron romantique, quelle chance j'ai ! rit Julia en se glissant sous les draps.

Je me lave les dents à mon tour avant de venir la rejoindre sous la couette. Elle se love tout contre moi et je respire son odeur, je profite de sa peau contre la mienne, je savoure sa chaleur. Même ici, en plein milieu du territoire ennemi, la retrouver ainsi contre moi me rend heureux et me fait oublier tous mes soucis. Finalement, l’amour, ça a du bon !

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