06. Le Bûcheron et Cendrillon

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Arthur

Contrairement à ce que je croyais, non seulement la fête prévue en mon honneur n’est pas annulée, mais personne n’est venu nous déranger pendant que nous profitions l’un de l’autre. C’est fou comme malgré les circonstances, nous n’arrivons pas à être raisonnables et à nous abstenir de nous aimer. Quel que soit le lieu, quel que soit le moment, lorsque deux âmes comme les nôtres se rencontrent, rien ne peut les empêcher de de se réunir.

- Tu n’es pas dans un de ces romans à l’eau de rose, Tutur, calme-toi. Tu étais juste en manque. Et elle aussi a priori. De toute façon, ça ne dure jamais bien longtemps le bonheur.

N’empêche que le bonheur, même s’il ne dure pas, il faut savoir le savourer. Et c’est ce que je fais alors que nous nous préparons pour la cérémonie qui va bientôt débuter. J’admire Julia qui est en train de choisir parmi les robes qui lui ont été envoyées. Il y en a de toutes sortes, mais le point commun, c’est qu’elles valent toutes une fortune et qu’elles sont toutes décolletées. De mon côté, j’ai aussi un choix de smokings et costumes chics en tous genres. Je n’arrive pas à me décider et en plus, quelque chose me gêne. Je m’en ouvre à Julia.

- Tu ne trouves pas que c’est un peu exagéré, tout ce luxe ? Cela me met très mal à l’aise. J’ai un peu l’impression de me salir en acceptant les cadeaux de Gros Porc. Tu vois ce que je veux dire ?

- Qu’est-ce qui n’est pas exagéré, chez lui ? Tu t’attendais à un costard de chez Kiabi, peut-être ? Evidemment que c’est trop… T’imagines les photos qui risquent de sortir de cette réception ? L’humanitaire habillé comme un prince en pleine mission pendant que nos réfugiés galèrent dans la gadoue…

- Oui, et je crois que je ne veux pas lui donner ce plaisir à l’autre enfoiré. Tout le monde sait que cette cérémonie est une mascarade. J’ai juste envie d’y aller habillé comme hier soir. Et de lui faire avaler ses lavallières et autres décorations. Je ne suis pas de ce monde de corruption. Qu’il fasse un don à l’ONG plutôt !

- Tu veux énerver la bête, d’entrée ? Tu n’as pas peur…

- Non, je n’ai pas peur. C’est ma soirée, non ? Que veux-tu qu’il nous fasse ? Il y aura la presse officielle, déjà, alors que je sois habillé normalement ou déguisé en potiche, ça ne change rien. Bref, l’ostentatoire et moi, c’est mort.

- Tu fais comme tu le sens, Monsieur le rebelle. Je descendrais bien en jean et avec ta chemise, personnellement, histoire que tous les invités n’aient pas vue sur mes seins…

- Tu crois que l’armée ne dirait rien de te voir en robe de soirée chez le Président ? Ça passerait ?

- Je n’en sais rien… La mission est validée par le Colonel, donc j’imagine que ça passe, soupire-t-elle en fouinant encore dans les robes.

- Moi, j’ai pas envie que tout le monde voie tes seins ! Choisis une robe sobre quand même, si tu en trouves une.

Je me fais de mon côté un malin plaisir à rouler en boule tous les vêtements apportés à mon intention et les balance au garde chiourme qui patiente devant la porte. Ce gars a la vie la plus trépidante possible. Il passe son temps à mater une porte. Et là, il va passer son temps à ramasser le désordre que je viens de mettre. Il s’apprête à protester mais je claque la porte sur lui. Je constate que Julia a semble-t-il fait son choix sur une jolie robe bleu marine, dont le décolleté, certes impressionnant, reste raisonnable. Elle se déshabille rapidement, me laissant profiter du spectacle quelques instants, avant de la passer sur ses épaules. La coupe est parfaite et le spectacle qu’elle offre est vraiment féérique. Mais la fée se transforme rapidement en Rambo car elle se met à lever les jambes et à faire des mouvements de combat, à peine entravés par le tissu.

- Tu sais que ce n’est pas comme ça qu’on danse la valse ? ris-je en la voyant mimer une prise qui me fait penser à Bruce Lee.

- Je sais bien, rit-elle, mais c’est comme ça qu’on vise le service trois pièces, Chéri. Je te préviens, je suis une piètre danseuse, si des fois tu comptes m’inviter, tu risques d’y perdre un pied.

Je la regarde, à la fois attendri mais incapable de prendre les choses avec autant de bonhomie qu’elle. Je sais que cette cérémonie est un prétexte pour me garder au chaud, et rien que cette idée que je ne suis pas libre de mes mouvements m’horripile. S’il y a une chose à laquelle je tiens particulièrement, c’est bien ma liberté. Mais là, il faut que j’entre aussi dans son jeu, au Président, sinon, ça risque de barder pour l’ONG et pour le campement. Je m’approche d’elle et la serre contre moi. Elle m’enlace et me sourit, ce qui a comme effet de m’apaiser immédiatement.

- Ce qui me fait peur en fait, c’est ce qu’il va inventer derrière pour me retenir. Et pour profiter de toi. La fin de la soirée, ça va être un vrai cauchemar.

- Je t’ai dit qu’on n’allait pas s’attarder ici. Je te promets qu’on va trouver un moyen de se barrer, ce soir sans doute, chuchote-t-elle à mon oreille.

- Tu vas lui faire une prise de kung fu et on court ensemble jusqu’à la sortie en priant pour que personne ne nous tire dans le dos ?

Je ne sais pas ce que j’ai et pourquoi je suis comme ça. Moi, l’éternel optimiste, je n’arrive pas à me dire que tout va bien se passer, que l’on va passer une belle soirée et finir la nuit comme on a commencé la journée, à faire l’amour. Même ma petite voix est silencieuse et n’a plus aucun commentaire sarcastique à faire. C’est que je suis vraiment stressé…

- Tu sais, nous ne sommes pas seuls. Normalement, on aurait dû rentrer ce matin au camp. Je t’ai déjà dit qu’avec Snow, on ne se lâchait pas ? Je suis sûre qu’il est déjà dans les parages, continue-t-elle tout bas.

- Ah oui ? Encore un qui aime poser ses mains sur toi et ne pas te laisser partir, ris-je pour la première fois depuis que l’on a commencé à se préparer.

- Peut-être, sourit Julia. Respire, Arthur, détends-toi. Je te jure que rester ici n’est pas au programme, et te laisser là encore moins.

- Tu as raison, jolie femme, il faut que j’arrête de réfléchir et que je profite du magnifique spectacle que tu m’offres.

Et comme ça, juste avec son sourire et ses quelques mots rassurants, je retrouve l’espoir que j’avais perdu. J’ai l’impression que je suis libéré d’un poids qui pesait sur mon esprit. J’embrasse la splendide femme que j’ai dans les bras et oublie tout le reste.

- Pas étonnant que tu oublies tout le reste, tu as vu comme elle est magnifique ?

Ah ! Même la petite voix est revenue ! Tout va bien, la soirée va pouvoir commencer. Et on va trouver une solution, c’est sûr.

- Eh bien, jolie princesse, l’invité d’honneur de la soirée aura-t-il l’honneur de faire son entrée à la cérémonie à votre bras ? demandé-je, faussement grandiloquent, un sourire en coin aux lèvres.

- Ce sera avec grand plaisir, mon cher, dit-elle en me faisant une révérence.

- Eh bien, Cendrillon, mettez vos belles chaussures et vous avez la permission de minuit !

J’espère que notre bonne fée a tout prévu et que l’on va pouvoir s’en sortir avant le douzième coup de l’horloge. Je n’ai pas vu de citrouille aux alentours, mais on ne va pas être des cornichons. S’il y a un moyen de s’échapper, on va le saisir. Bye bye, monsieur le Président !

Je prends le bras de Julia qui a fini de se préparer et lui ouvre la porte. Notre Nounou ouvre grand les yeux et en a presque la langue qui touche par terre.

- Eh oui, je sais. J’ai gagné au Loto. La plus belle femme du monde, c’est avec moi qu’elle danse ce soir !

Julia me met un coup de coude dans les côtes et rit.

- Arrête donc d’embêter ce pauvre homme qui fait son travail. Il a juste choisi le mauvais cheval, tant pis pour lui, ajoute-t-elle en lui décochant un sourire qui lui fait encore plus écarquiller les yeux.

Cette femme est vraiment formidable. Elle arrive à se mettre tout le monde dans la poche. Un mot, un sourire, un regard, et personne ne lui résiste. Pas étonnant qu’elle soit une formidable cheffe dans l’armée. En tous cas, je ne suis pas peu fier quand j’entre à ses côtés dans la salle des réceptions du Palais.

Ici aussi, tout est fait dans l’ostentation. Je vois que toute la grande bourgeoisie silvanienne est présente. Personne n’a osé refuser l’invitation du Président, c’est clair. Dans le lot, il y a sûrement quelques vrais partisans, mais j’ai l’impression que les regards curieux qui se posent sur Julia et moi sont plutôt compatissants que méprisants. Je cherche l’hôte de la soirée, mais ne l’aperçois nulle part. Quelques personnes viennent nous saluer, tout le monde fait l’effort de parler français pour Julia qui attire les regards appréciateurs des hommes et jaloux des dames. Une vraie soirée mondaine qui pourrait presque faire oublier que dehors, c’est la guerre, qu’il y a dans le pays un massacre qui tue des milliers de personnes.

Quand le Président fait son entrée aux bras de Madame Ferdic, sa ministre préférée, tout le monde se tait et laisse le couple se pavaner dans la pièce. Il joue de l’effet qu’il produit sur l’assemblée et profite clairement de la peur et du respect qu’il provoque par sa prestance et sa simple présence. Ce type est un mégalomaniaque fou et inquiétant. Son régime de terreur fonctionne à merveille. Je sens que je m’énerve à nouveau et je m'apprête à quitter la pièce quand une main se pose sur mon épaule et sur celle de Julia.

- Je vous ai manqué, les amis ? Vous n’alliez quand même pas faire la fête sans moi ?

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