13. No zob in job ?

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Julia

- Merci pour le café, Mat’, soupiré-je en tirant le plateau sur la table.

Finalement, aucune envie de croiser mes hommes pour le moment, je me suis terrée dans la salle des opérations, et le regard noir que j’ai lancé à Morin lorsqu’il est venu s’installer à son poste a dû le dissuader de tenter quoi que ce soit. Ou alors, Morin a un fond gentil, il s’en fout de savoir que je couche avec Arthur et ne fait que son boulot, et j’ai fait ma mauvaise pour rien. Je n’en sais rien, je ne sais plus sur quel pied danser, quoi penser, et je me terre dans ma tour en attendant de trouver le courage d’affronter les gars.

- J’ai fini la liste du nécessaire à emmener à la grotte, tu pourrais l’apporter à Arthur pour lui demander si ça lui va ?

- Vas-y toi-même, Ju, tu ne vas pas rester ici indéfiniment.

Je lui lance un regard noir et pousse la feuille dans sa direction. Je ne suis pas prête, ni à sortir, ni à être vue en compagnie d’Arthur. Je suis ignoble avec Snow depuis que nous sommes là tous les deux, mais lui et sa bonne humeur inébranlable m’énervent. Comme si j’avais besoin de ça pour être de mauvais poil…

- J’attends le coup de fil du Boss, j’ai autre chose à faire. Vas-y et ne traîne pas, si nous avons besoin de matériel supplémentaire, je veux pouvoir le demander au colonel Germain directement quand il appellera.

- Je suis pas ton coursier, Julia, je veux bien être cool et supporter ton humeur de chien, mais ne pousse pas le bouchon, non plus. Tu as une bien piètre idée de tes hommes si tu penses que tous ne vont plus te respecter parce que tu es une femme qui a peut-être cédé au plaisir de la chair. Tu crois que ce n’est pas bon qu’ils te voient aussi comme une humaine et pas comme une machine ?

- T’étais là la dernière fois. Tu as vu ce que ça a donné, les regards, les remarques, les doutes. Les gars qui ne me suivent pas en pleine mission parce que pour eux c’était pas légitime d’aller retrouver l’équipe de Max, que j’étais guidée par mes émotions. Tu crois qu’aujourd’hui ceux-là ne seront pas dans le même mood ? Que si je les fais aller au charbon pour protéger Arthur, ils ne vont pas penser que c’est subjectif et que j’agis pour mon intérêt personnel ?

- Je pense que les choses évoluent plus vite que tu ne le crois, Julia. Je pense que nos hommes ici ne sont pas les mêmes que la dernière fois. Je pense que tu leur as prouvé à tous que tu savais rester professionnelle tout le temps. Je vais aller voir Arthur, mais bordel, ressaisis-toi, c’est pas comme ça que tu vas leur prouver que tu es forte. Et je suis là à tes côtés, n’oublie pas. Et moi, tu me dis de foncer, je fonce. Tout le temps. Alors, garde ta colère pour l’enfoiré de Président, ok ?

J’acquiesce sans oser le regarder, et l’entends soupirer avant de sortir de la pièce. Merde, c’est épuisant de douter de tout et surtout de ses hommes. Et, dans tout ça, que devient ma relation avec Arthur ? Je n’ai aucune envie que les rumeurs fusent à notre sujet, aucune envie de voir leurs regards sur nous constamment. Je n’ai pas le temps d’y réfléchir davantage que mon ordinateur se met à sonner. Je souffle un bon coup avant de décrocher pour tomber sur la tête peu aimable de Germain.

- Bonjour, mon Colonel, merci d’appeler si rapidement.

- Vous êtes seule ou la deuxième partie du couple de l’année est dans votre lit, Lieutenant ?

- Le Sergent Morin est à son poste à mes côtés. Pour le reste, est-ce que je dois aller dans mes quartiers et vous montrer mon lit vide, Colonel, ou c’est bon ?

- Vous pensez que c’est comme ça qu’on gère un camp ? En batifolant avec le responsable civil ? Franchement, Lieutenant, vous me décevez. Et comment ça se fait que le Président soit au courant et pas moi ? Vous faisiez quoi au Palais en robe de soirée ? Vous êtes venue ici pour les dîners mondains ou quoi ?

Et voilà, bon exercice en prévision avant d’aller affronter mes hommes. Le Colonel ne mâche pas ses mots, comme d’habitude, et met les deux pieds dans le plat sans hésiter. Tout de suite, ma gestion du camp est remise en question. Je ne suis pas certaine que ce serait le cas si c’était un homme qui fricotait avec une civile. Mais soit...

- Vous voulez dire en dehors de repousser les avances graveleuses d’un fou et de manquer de me faire violer ? Je participais à la réception en l’honneur de l’ONG et de notre mission, Colonel. Et je surveillais qu’il n’arrive rien à notre responsable civil, comme prévu. Pour le reste, je pense que fricoter avec un civil ne change rien à la gestion du camp à partir du moment où on sépare les deux. Je n’ai pas l’impression d’avoir manqué de professionnalisme et de discernement dans mes missions.

- Je veux un rapport complet sur cette histoire au plus tard ce soir, Lieutenant. Sans les détails croustillants, je vous supplie. Juste les faits. Et même si je n’ai rien à vous reprocher sur la tenue du camp, je ne veux plus de sortie comme ça sans autorisation expresse ! Pas envie de perdre mon poste pour des folies d’une de mes officiers.

- Bien Colonel. Je vous rappelle, cela dit, que la sortie était autorisée, et que mon dos n’est pas suffisamment large pour endosser plus de responsabilités que nécessaire quand ça foire, dis-je calmement alors que Snow vient d’entrer et reste en retrait. Quand arriveront les hommes supplémentaires et le matériel, Colonel ?

- Pas avant après-demain. Il faut qu’on réorganise tout ici. Pourquoi ? Il y a une urgence ?

- Juste une grosse centaine de vies à protéger, Colonel, et des postes de surveillance à construire et à défendre. Comme je vous l’ai dit dans le mail, les mots du Président ne laissaient pas vraiment de doute quant à ses intentions. Il semblerait que la menace soit réelle, et que tuer des civils ne le dérange pas outre mesure.

- Julia... soupire-t-il. Je peux vous dire que je fais tout ce que je peux pour vous avoir des hommes. Un contingent de soldats allemands est en cours de constitution pour venir nous renforcer, mais vous savez, avec l’ONU, rien n’est simple. Donc, quarante-heures, je ne peux pas faire mieux. Quant à Zrinkak, faites-moi plaisir et arrêtez vos histoires avec lui. Je peux comprendre un dérapage, on est tous humains, mais si vous mêlez le cul et le boulot, ça va être la grosse merde. No zob in job. C’est la règle, vous le savez comme moi. Je compte sur vous. Et n’oubliez pas mon rapport pour ce soir. J’ai moi aussi des comptes à rendre à la hiérarchie suite aux articles. Si vous pensez que ça va être facile de défendre le couple de l’année…

- Vous l’aurez d’ici une heure, Monsieur, il est quasiment terminé… Nous allons explorer les environs pour chercher un lieu sécurisé pour les enfants et les personnes qui le souhaitent en cas d’attaque, je vous tiendrai au courant. Pour le reste, je penserai également à dire à mes hommes que toute relation est interdite, Colonel. No zob in job. Bonne journée, Colonel.

- C’est noté, Lieutenant. Vous avez toujours ma confiance, mais n’en abusez plus. On refait un point vidéo demain à la même heure.

- Bien Monsieur. A demain alors.

Il acquiesce et raccroche rapidement avant que je ne referme brusquement mon ordinateur. Bordel, que ça m’agace, tout ça ! Si j’avais le temps, j’irais sur notre terrain d’entraînement pour me défouler, ça ne me ferait pas de mal. Le dossier que j’envoie valser n’est pas suffisant pour me calmer, et je doute que quoi que ce soit puisse le faire aujourd’hui.

- Qu’en a dit Arthur ? demandé-je à Snow après avoir soufflé un coup.

- Il a dit qu’il était désolé de t’avoir entraînée dans cette histoire et il croit que tu ne vas plus vouloir lui parler, désormais. Et pour le matériel, il y a tout ce qu’il faut. Si je peux me permettre un conseil, Ju, ne le repousse pas totalement. Tu vas te retrouver vite esseulée, sinon. Pas sûr que ma seule présence te permette de tenir.

- Je n’ai pas prévu de le repousser totalement, marmonné-je en rouvrant mon ordinateur pour me remettre sur mon rapport. Mais tu as entendu le Colonel, no zob in job… Les gars vont apprécier, je n’en doute pas…

- Ouais, le pire, ce sera pour Myriam, non ? répond Snow, tout sourire. Moi, en tous cas, promis, j’obéis au Colonel maintenant !

- Je ne donne pas deux jours à Myriam pour déprimer, ris-je. Elle ne tiendra pas. T’as intérêt à bien coincer la porte de ta douche ! Comment va Justine, d’ailleurs ?

- Elle se remet et a fait une demande pour revenir ici. Mais ils n’ont pas l’air chaud pour accepter. J’ai l’impression qu’on s’éloigne un peu l’un de l’autre. La distance, ça n’aide pas, tu sais.

- J’imagine, oui… Mais tu rentres dans moins de deux mois, ça va passer vite et vous allez vous retrouver. Bon, je vais aller prendre un peu l’air avant de finir ce foutu rapport. Tu m’accompagnes ?

- J’ai fait comme toi la demande pour rester, Ju. Qui sait si je vais rentrer rapidement ? Allons-y pour la promenade, je te propose d’aller voir Lila. Elle a dit que tu étais très belle sur les photos, comme une star de cinéma. Elle a demandé après toi, tout à l’heure. Ça te va ?

- D’accord, soupiré-je en me levant.

Qui dit Lila, dit sans doute Arthur, puisqu’elle ne le lâche pas d’une semelle. Je ne suis pas sûre d’être prête à être vue en sa compagnie, là, maintenant, mais il faut que je me bouge et que j’arrête de ruminer. Ce qui est fait, est fait, je n’ai pas le contrôle sur ces choses, il faut que je fasse avec.

Snow et moi descendons et la fraîcheur me saisit à peine a-t-on franchi la porte de la grange. Bon sang, je ne sais pas comment font les Silvaniens pour dormir sous les tentes. Le camp est en effervescence, comme toujours, et toute cette vie me fait un bien fou. J’espère que nous serons en capacité de protéger tout ce petit monde, et que tout ce que nous avons bâti ne sera pas détruit par ce dingue. Vraiment, j’espère me planter comme rarement auparavant.

- Il ne faut pas qu’on tarde à emmener les provisions à la grotte. Tu crois que le camion pourrait être prêt quand on va aller la visiter ? demandé-je à Snow alors que nous marchons en direction du champ.

- Oui, tout sera prêt. Si on se fait vraiment bombarder, grâce à toi, tout sera en ordre. Sinon, on aura juste pris des précautions pour rien, mais au moins, ça occupe un peu tout le monde. Ce n’est pas plus mal.

- Il va falloir trouver de quoi les occuper, maintenant qu’on ne peut même plus baiser tranquille ici, ris-je.

- Parce que tu vas vraiment essayer de faire appliquer ça ? Il faut faire comme partout dans l’armée. Dire “Oui, Chef ! Bien Chef !” et continuer à vivre notre petite vie. Franchement, Ju, moins tu vas parler de sexe, plus tu pourras en profiter et les gars aussi !

- J’ai une tête à interdire aux gars le sexe, sérieusement ? m’esclaffé-je. Bien sûr que non, ils font bien ce qu’ils veulent tant qu’ils le font sur leur temps de repos et dans le respect. Et qu’on ne se retrouve pas avec une version militaire des Feux de l’amour.

- Alors, si tu ne vas pas interdire le sexe, pourquoi tu tires cette tronche ? Tu vas te l’interdire à toi-même, c’est ça, hein ? me dit un Snow dont le regard perçant sait lire dans mon esprit mieux que je ne le fais parfois.

- Je n’en sais rien encore… J’y réfléchis, soupiré-je en approchant de la tente d’Arthur. Si ça remonte aux oreilles du Colonel, il va m’incendier.

- Ouais, tu serais un mec, il te féliciterait pour tes liens avec le civil. Putain d’armée du passé.

- Manque de chance, j’ai des seins et un clito, et je ne les échangerais pour rien au monde ! dis-je en lui faisant un clin d'œil avant de frapper du plat de la main sur la bâche de la tente. Y a quelqu’un ?

- Julia ! crie la petite voix de Lila qui sort en courant pour se jeter dans mes bras avec son énergie et sa fougue habituelle.

- Bonjour, jolie Lila, souris-je en la soulevant pour la serrer contre moi. Tu vas bien ?

- Pourquoi t’as pas remis ta robe ? T’es trop belle ! Comme une star !

- Parce que la robe, ici, c’est pas pratique, ris-je. Je préfère la garder pour les grandes fêtes.

- Vivement la prochaine fête alors ! Tu viens, Arthur est là et il a l’air un peu triste. Il va sourire quand il va te voir, comme d’habitude !

- Je ne peux pas rester longtemps, Trésor, j’ai plein de choses à faire, tu sais, dis-je en entrant malgré tout dans la tente.

Si une part de moi veut mettre de la distance pour éviter ragots et rumeurs, remarques et regards, l’autre meurt d’envie de retrouver mon Bûcheron et de profiter de son sourire et de sa bonne humeur, de son contact et de sa légèreté, de sa présence, tout simplement. Me voilà à nouveau tiraillée entre mes envies et mon poste, et je déteste ça. Pourquoi est-ce qu’il a fallu que je tombe amoureuse d’un mec en mission, sérieusement ? On ne pouvait pas se rentrer dedans dans le métro plutôt ? Se croiser dans la rue ? Se trouver sur un site de rencontre ? N’importe où, mais pas ici ? Tout aurait été tellement plus simple...

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