22. Égérie d'une rébellion

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Arthur

Avec Julia, nous avons décidé de ne pas faire revenir les réfugiés immédiatement dans le camp. Ils restent à la grotte pour la nuit sous la responsabilité de Snow, afin de nous laisser le temps de vérifier que le camp est en sécurité et qu’il n’y a aucun risque pour les habitants à retrouver leur abri. Le Commandant et les membres de la troupe de la Gitane sont en train de faire le tour et de s’assurer que les dégâts ne sont pas trop importants, d’enlever les débris dangereux et de faire les premières petites réparations nécessaires.

J’essaie de donner un coup de main aux Silvaniens, mais je suis vite renvoyé vers mes quartiers, car les hommes présents n’ont pas eu l’action militaire qu’ils espéraient et ils sont décidés à se rendre utiles en remettant le camp en ordre. Comprenant que ça leur fait plaisir de s’autonomiser, je leur dis que je viendrai vérifier dans la soirée avec Julia pour valider le retour des autres réfugiés et me promène sur le camp déserté. Je retrouve ma mère en grande discussion avec le Commandant et je m’approche des deux.

- Non, Commandant, je ne vais pas lancer mes troupes aveuglément contre le Gouvernement et la capitale. Ce serait une vraie folie ! Depuis que nous avons lancé l’offensive, nous y allons méthodiquement, et on contrôle maintenant un peu plus de la moitié du pays. Si on fonce, on va à la catastrophe, on va perdre des milliers d’hommes et on perdra surtout le soutien international.

- Le soutien, répond-il énervé. Quel soutien ? Nous sommes seuls, nous nous battons seuls, nous survivons seuls, nous sommes abandonnés du monde, Marina. Il faut qu’on leur montre à tous qu’on ne va pas se laisser faire ! Tous les hommes en ont marre de baisser la tête !

- Les hommes sont fous et insensés, Commandant. Qu’ils parlent un peu à leurs épouses, à leurs mères, à leurs sœurs ou à leurs filles et ils comprendront pourquoi c’est moi qui suis à la tête de la rébellion et pas vous ! Ma tactique prend plus de temps, mais elle est efficace. Nous n’avons que peu de pertes, chaque vie compte, Commandant, et nous gagnons du terrain.

- Et on fait quoi si cette ordure réussit dans sa mission auprès de l’ONU ? Si la communauté internationale nous condamne, c’est la fin du mouvement, Marina. Et tu sais très bien qu’il en est capable. Tu as vu l’avion qu’ils ont utilisé ? C’est un des nôtres. Je suis sûr qu’il est déjà en train de préparer sa communication pour nous mettre ça sur le dos.

Je m’approche et interviens alors dans la conversation, même si je n’y ai pas été invité. Je pense que j’ai peut-être les moyens de les aider.

- Maman, je pense que le Commandant a raison. Depuis le début de cette guerre, tu as négligé l’aspect communication et propagande. Pourquoi crois-tu que Lichtin soit encore si populaire ? Parce qu’il manipule les médias. Mais là, il a fait une erreur. Pour assouvir son désir de vengeance, pour satisfaire ses pulsions malsaines, il a attaqué un camp de l’ONU. Un camp où une ONG est présente. Il fait une erreur et on peut en profiter.

- Tu veux dire quoi par là, Arthur, en profiter comment ?

- Eh bien, on a de quoi faire une belle campagne de communication là. Si tu acceptes que je te prenne en photo, que je te mette un peu en avant, je vais te présenter comme la Gitane, cette femme qui a sauvé plus d’une centaine de réfugiés grâce à son dévouement, cette héroïne qui a évité la mort d’une cinquantaine de soldats de l’armée française. Tu vas être la nouvelle Aung San Suu Kyi de la Silvanie !

- Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, Arthur. Comme elle, j’ai fait des choses qui n’étaient pas forcément très réglementaires…

- Marina, Arthur a raison, il faut profiter de l’erreur de Lichtin. Communiquons ! Battons nous aussi sur ce plan là !

- Non, je refuse de me mettre en avant, c’est non négociable. Je n’ai pas fait ce mouvement pour devenir l’égérie de la rébellion. Hors de question !

Je regarde ma mère, déçu de son manque de compréhension. Je ne sais pas comment la convaincre, je ne sais même pas si mon idée vaut le fait que je me batte pour elle. Pendant un instant, j’ai oublié que ce combat n’est pas le mien, que ce combat est celui de ma mère et des Silvaniens, pas de Food Crisis, l’ONG pour laquelle je travaille et j’ai promis de rester neutre.

- Pas facile de respecter ses engagements quand on est témoin de tant d’injustices. T’as qu’à démissionner et t’engager dans la rébellion, Tutur.

Ça, c’est l’idée du siècle. Comme si c’était aussi simple que ça. Et puis, ça va contre tout ce que je me suis toujours dit. Je ne veux pas m’engager pour quelque groupe armé que ce soit. L’armée m’a pris ma mère, même si je l’ai retrouvée, la guerre m’a pris mon enfance et mon pays, même si je me suis fait ma vie en France.

Je m’éloigne des deux rebelles et me dirige vers le réfectoire. C’est étrange de voir cette grande salle vide et sans personne. Enfin, il y a Lila qui traîne un grand sac de riz derrière elle jusqu’à Julia qui, toujours en treillis, a passé un tablier avec le logo de l’ONG. Le mélange est assez intéressant et je souris en m’approchant d’elles.

- Qu’est-ce que vous nous préparez de bon ? Vous allez cuisiner pour tous les présents ?

- Non, on ne cuisine que pour nous deux, non mais ! sourit Julia en faisant un clin d'œil à Lila. Tu nous as pris pour tes larbins ou quoi ?

- C’est quoi un larbin, Julia ? demande la petite Lila, toujours aussi mignonne.

- C’est quelqu’un qui est aux ordres d’un autre et fait tout ce qu’on lui demande. On est d’accord que nous, on commande, hein Lila ? C’est pas Arthur qui va nous dire ce qu’on doit faire, si ?

- Alors, toi, tu as plein de larbins ici, rit Lila. Ils t’obéissent tous !

- Presque tous, rit Julia en soulevant la petite pour l’asseoir sur la table. Arthur, lui, il n’obéit presque jamais.

- Non, je n’obéis pas, moi. Je dois tenir ça de ma tête de mule de mère, dis-je, un peu énervé.

- Oulah… Je crois qu’ Arthur a besoin de chocolat, Lila. Il a l’air de ne pas être de très bonne humeur. Tu crois qu’on lui montre notre petit secret ?

- Un secret ? Autre que tu as rejoint mon ONG en tant que cuisinière sans me le dire ?

- Oui ! s’écrie Lila. On a du chocolat, Arthur ! C’est la maman de Julia qui lui a envoyé ! Mais chuuuut !

Je fais semblant de regarder partout autour de moi, je file fermer la porte, fais mine de la fermer à clé, puis retourne me mettre derrière Julia et lui bouche les oreilles.

- Lila, vite, récupère le chocolat, on va aller le manger en cachette !

- Non, c’est Julia qui va le manger, et pas toi, t’es pas gentil.

Je hausse les sourcils et me dis que je ne suis pas aidé si elle commence à prendre le parti de Julia. Deux femmes contre moi, je risque de sortir perdant à chaque fois ! Je me penche et dépose un bisou sur les lèvres de Julia.

- Julia, tu n’as pas une idée, toi ? Ma mère refuse que je la mette en avant dans la campagne de communication que je veux faire contre le Président. Pas moyen que je laisse ce bombardement impuni !

- Mets-toi en avant, alors. L’humanitaire qui est né dans ce pays et y retourne une fois adulte, c’est fort comme message.

- Non, c’est pas vendeur, c’est pas un message qui va toucher le coeur des gens. Il me faut un héros, ou mieux encore une héroïne, dis-je en l’observant tout à coup intensément.

- Ça veut dire quoi, ce regard, le Bûcheron ?

- Julia, tu accepterais, toi, que je te mette en avant, avec Lila ? Ce serait de superbes images, une belle histoire, on pourrait toucher le cœur des femmes qui pourraient trouver un modèle, ceux des mecs qui se rinceraient l'œil, m’emballé-je.

- Je ne suis pas là pour qu’on se rince l’œil, Zrinkak, bougonne-t-elle. Et je ne peux pas, je doute que l’armée apprécie que je prenne position.

- Oh non, ne m’abandonne pas comme l’a fait ma mère. Sinon, le Président va s’en tirer encore une fois sans aucune conséquence pour lui !

- Je peux te garantir qu’il ne va pas s’en tirer sans rien, cette fois, non. Mais… Non mais tu imagines la réaction du Colonel, sérieusement ?

- Et alors, il a l’habitude avec toi, non ? Et tu n’as qu’à me le mettre sur le dos, faire comme si tu n’étais pas au courant ! Allez, s’il te plaît, juste deux ou trois photos !

- Je ne suis pas photogénique, désolée. Et puis, qu’est-ce que tu voudrais faire comme photo, de toute façon ?

- Toi, pas photogénique ? Tu rigoles ou quoi ? Lila, tu es d’accord, non ? Julia, c’est la plus belle, non ?

- Ouiiii ! explose la petite fille en riant.

- Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, tu sais, me dit-elle, le sourire aux lèvres malgré tout.

- Juste une photo de toi, là, avec Lila et ce beau tablier, j’adore le symbole qu’il y a derrière. Je mets ça avec la photo de Lila devant les ruines et je fais un article sur l’intervention de l’armée en lien avec l’ONG qui met en valeur les deux et qui dénonce les exactions du Président, et boum ! D’une pierre trois ou quatre coups !

J’imagine déjà la scène, les mots de l’article commencent à danser devant mes yeux. Les phrases clés me viennent, j’espère qu’elle va accepter ma demande.

- Très bien, si tu crois que ça peut être utile, soupire Julia. Je veux bien m’y plier, mais ne compte pas sur moi pour jouer la mannequin, Beau Bûcheron.

- Oh super ! Merci Julia ! Je t’adore !

Je lui saute dessus et l’embrasse avec passion alors que Lila se glisse entre nous.

- Arthur, j’ai faim. Et je fais pas de photo si j’ai pas à manger.

J’éclate de rire et je lui demande de patienter encore quelques instants alors que je la positionne à côté de la splendide Lieutenant qui lui sert à manger, pour une photo qui va symboliser l’aide apportée par l’armée Française au peuple silvanien. Personne n’a besoin de savoir que Julia, à part faire chauffer de l’eau, ne sait pas faire grand-chose en cuisine !

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