71. Retard inhabituel

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Julia

J’avais oublié comme dormir en dortoir était désagréable. Je ne mesurais pas la chance que j’avais, du fait de mon grade, lors de ma dernière mission, de dormir dans une chambre, seule, ou avec Arthur. Là, engoncés les uns à côté des autres, pas moyen de respirer. Pas moyen de dormir calmement. Les filles ont papoté un moment, ne m’incluant absolument pas dans leurs échanges, puis se sont endormies. Entre celles qui ronflent, celles qui font des cauchemars et la petite jeune qui a sangloté en pensant être la seule éveillée, autant dire que ma nuit n’a pas été tout à fait reposante.

Je ne sais pas si c’est dû à cela, mais le Colonel m’a sciemment évitée au réfectoire ce matin. Tant mieux, je déteste être dérangée tant que je n’ai pas pris mon petit-déjeuner. Sauf si c’est Lila qui me fait un câlin, ou Arthur et ses divines caresses. Je deviens vraiment fleur bleue avec ces deux-là, c’est flippant. Si mes hommes étaient dans ma tête, ils se foutraient clairement de moi.

Ayant encore deux bonnes heures à attendre avant l’arrivée du convoi, j’ai profité des infrastructures de la base en rejoignant la salle de sport. Un peu de tapis, du gainage, du sac de frappe et une bonne douche m’ont permis de passer le temps, mais aussi de m’occuper l’esprit à autre chose qu’à l’idée de retrouver mon Bûcheron, la petite Lila et Snow, qui semble déjà à bouts de nerfs. Nous n’avons pas du tout évoqué le commandement du camp une fois mon retour, et j’avoue ne pas savoir ce qu’il va vouloir. Je sais qu’il veut faire ses preuves, mais je crois aussi qu’il n’aime pas tant que ça ce poste. Il va falloir que nous discutions de cela aujourd’hui, et j’avoue que, de mon côté, je me vois mal ne pas reprendre les rênes. J’aime diriger, ce n’est un secret pour personne, et je ne sais pas si je supporterais à nouveau de devoir obéir à des ordres. Enfin, je me comprends, je suis évidemment toujours sous les ordres de nos supérieurs, mais sur le camp, là où j’ai passé six mois, c’était moi qui gérais.

Lorsque l’heure de l’arrivée du convoi s’annonce, je suis prête à partir. Mon paquetage, à peine ouvert, est posé près de moi, et j’attends patiemment, ou pas, de voir le grand portail s’ouvrir. Cependant, rien n’arrive. Cinq minutes, dix, vingt. Je commence à m’impatienter grandement et finis par me rendre en salle des communications.

- Vous avez eu des nouvelles du convoi qui devait arriver il y a vingt minutes en provenance du camp ? demandé-je à la petite jeune qui pleurait la nuit précédente, installée devant ses machines auxquelles je n’ai jamais rien compris.

- Non. Enfin, ils sont partis avec un peu de retard.

- D’accord. Combien ?

- Heu… Je ne sais pas, Lieutenant.

- A quelle heure avez-vous eu l’information ?

La petite jeune reste muette, cherchant dans ses notes. Bordel, ils l’ont prise directement à la crèche ou quoi ?

- On note toujours l’heure des transmissions, soldat. Comment peut-on savoir s’il y a un problème, maintenant ? m’agacé-je alors qu’elle n’ose même plus me regarder.

- Je vous prie de m’excuser, Lieutenant, je commence tout juste.

Prise à la crèche, c’est bien ce que je disais. Je soupire en lui demandant de me mettre en contact avec le convoi, mais personne ne répond, et j’ai les tripes qui se nouent avec une telle force que je crois un moment que je vais rendre mon petit-déjeuner sur la table des communications.

- Passez-moi le camp.

Elle tripote plusieurs boutons et j’admire son efficacité lorsque j’ai au bout du fil, en quelques secondes à peine, le Sergent Collins. J’aurais préféré quelqu’un d’autre, mais on prend ce qu’on peut.

- Collins, C’est Vidal. A quelle heure le convoi a quitté le camp ?

- A neuf heures dix, Lieutenant. Ils ne devraient plus tarder à la base.

- Ils devraient surtout déjà être là, soupiré-je. Vous avez eu des nouvelles ?

- Aucune. Le PVP ne répond pas mais avec les montagnes et la pluie, rien d'étonnant. Vous faites pas de bile, Lieutenant, ils arrivent.

- Tiens-moi au courant si tu as des nouvelles.

Je raccroche sans attendre sa réponse. Tout le monde est en mode peace and love dans ce foutu pays et ça m’agace. Snow n’est jamais en retard, et s’il a un pépin, il se débrouille pour prévenir. Logique. Il sait que je suis une grande angoissée.

- Vous aussi, faites-moi prévenir si vous avez la moindre nouvelle.

Je sors et retourne à mon poste d’attente. Je dois avoir l’air stupide, à poiroter comme ça, mais je m’en fous. J’ai toujours les tripes nouées et j’ai bien peur de ne pas réussir à me contrôler si tout le monde continue à s’en foutre comme de l’an quarante. J’essaie de tenir un peu plus, mais quand le convoi a une heure de retard, et après un rapide passage aux communications pour m’entendre encore une fois dire qu’elle n’a pas de nouvelles, je me dirige vers les véhicules et interpelle le mécanicien.

- Soldat, j’ai besoin d’un PVP dans les cinq minutes.

Je ne lui laisse pas le temps de me répondre et fonce chercher trois hommes en plein entraînement. S’ils bronchent un peu d’être dérangés, je dois avoir l’air suffisamment déterminé, ou dingue, pour qu'ils courent à l’armurerie se préparer et me rejoignent près des véhicules peu de temps après que j’y sois de retour.

- Merci, dis-je au militaire qui me tend les clés que je lance à l’un de ceux qui m’accompagnent. On y va, Messieurs.

- Lieutenant, le Colonel ne nous a pas informés d’une sortie. J’ose espérer qu’elle est autorisée ?

- Faites comme si elle l’était. J’en prends l’entière responsabilité. Vous n’aurez qu’à dire que je vous ai menacés, ou que je vous ai assuré qu’elle l’était, dis-je en montant aux côtés du conducteur.

Tous trois se regardent avant de hausser les épaules. Ah les militaires, pas formés pour penser. Cela m’arrange bien, je l’avoue. Surtout lorsque les portes s’ouvrent et nous laissent sortir sans qu’aucun contrôle n’ait été effectué. J’indique la route au petit jeune qui conduit alors que mon taux de stress ne fait que grimper. Il ne nous faut que quelques minutes pour tomber sur un tableau qui finit de me conforter dans mon idée qu’il y a bien un souci.

Dupont pile et braque brusquement pour éviter un corps, et s’immobilise juste devant un autre, manquant de nous envoyer dans le décor. Putain, c’est l’angoisse, là. Nos deux PVP sont immobilisés sur la route, ainsi que le véhicule silvanien devant eux.

- Qu’est-ce qu’on fait, Lieutenant ?

Je ne réponds pas et sors sans même me dire que je fais une connerie. Parce que clairement, j’en fais une première. Ou une seconde. Sortie non autorisée de la base. Nous sommes quatre pleus-pleus au beau milieu de ce qui a sans doute été une embuscade. Mais je m’en fous, tout ce que je veux savoir, à cet instant, c’est s’il y a des survivants. Et pas dans les Silvaniens étalés au sol, je n’en ai rien à faire d’eux. En revanche, le corps de Snow, inerte près de la Jeep, me retourne le ventre et je me précipite vers lui pour m’agenouiller à ses côtés et prendre son poul.

- Il est vivant ! crié-je en direction des hommes qui avancent en formation, bien plus professionnels que moi. Snow, Snow réveille-toi putain !

Je le secoue brusquement avant de me reprendre et de prendre quelques secondes pour constater ses blessures. La tête. J’espère que ce n’est rien de grave.

- Occupez-vous de lui !

Je me relève et gagne le PVP le plus proche, constatant que l’un de nos hommes y est attaché, en vie et conscient.

- Bordel, soldat, qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? vociféré-je en le libérant de son bâillon.

- J'ai rien pu faire, Lieutenant. J'ai cru mourir, sanglote-t-il.

- Où sont les civils ? Où sont les Zrinkak, bordel ?

- Ils les ont emmenés. J'ai rien pu faire… Libérez moi, Lieutenant. Je veux rentrer en France ! rajoute-t-il, paniqué au-delà du raisonnable.

Je sors mon couteau et le laisse se débrouiller tout seul. Je ne peux pas croire qu’on se soit fait avoir comme ça. Impossible que nos hommes aient laissé une telle chose arriver. Malheureusement, aucune trace d’Arthur ou Sylvia à l’arrière du PVP, et je me mets à fouiller les alentours comme s’il était possible que je les y trouve. Je le sais, pourtant, que ça ne risque pas d’arriver, mais je tente ma chance malgré tout. Je vais même vérifier dans la Jeep silvanienne, mais ne découvre que le corps inerte d’un gamin qui doit être à peine majeur.

- Comment va Snow ? dis-je en approchant des trois guignols qui patientent autour de lui comme s’il n’y avait rien d’autre qu’un blessé.

- On attend l'équipe médicale. On a prévenu le camp et ils ont dit de ne pas le toucher et de le surveiller.

- J'ai rien pu faire, pleurniche encore le soldat qui a réussi à se libérer. Ils sont venus, tous en noir. Ils nous ont laissé aucune chance…

- Tous en noir ? C’est quoi ce bordel, sérieux ?

Je ne comprends plus rien. Marina n’aurait jamais enlevé ses enfants. Enfin, je ne vois pas bien pourquoi. Quoique, nos hommes n’ont pas été tués, cela pourrait être un signe. Mais pourquoi les enlever ? Ça ne peut pas être l’armée silvanienne, puisque leurs hommes n’ont, eux, pas survécu. Des hommes en noir ? J’ai l’impression d’être dans un très mauvais film, là, et je n’aime pas ça du tout.

Je m’agenouille aux côtés de Mathias et attrape sa main, douloureusement inerte. J’aurais bien besoin qu’il soit réveillé et détende l’atmosphère. Ou que je puisse au moins l’injurier et me défouler sur lui. Peu importe de qui il s’agit, la triste réalité est là : Arthur et Sylvia ont été enlevés et s’il leur arrive quoique ce soit, je ne m’en remettrai jamais. Un brin de désespoir s’insinue en moi à l’idée que mon Bûcheron puisse être tué, mais je repousse l’idée rapidement. La seule émotion qui doit me guider, là, c’est la colère. On va les retrouver, il ne peut en être autrement, et je suis prête à achever tous ceux qui se mettront sur mon chemin.

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