73. Pensées d'une Julia angoissée

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Julia

Sur les nerfs, au bord de l’explosion. Mathias est à l’infirmerie de la base, examiné par un médecin insupportable qui me donne des envies de meurtre, tandis qu’Arthur et Sylvia sont introuvables. Je pense que d’ici dix minutes, j’aurai creusé un trou dans ce lino absolument dégueulasse à force d’aller et venir devant cette porte. Cet abruti m’a virée de l’infirmerie parce que je lui donnais le tournis. Crétin. Si lui reste imperturbable, tout mon monde à moi vient de basculer dans une autre dimension. “Je gère” m’a-t-il dit. “Je te ramène ton Bûcheron.” Tu parles qu’il ne gère rien du tout ! Mathias s’est fait baiser comme un bleu et la douloureuse est de taille. Comment vais-je pouvoir les retrouver ? Je ne sais même pas qui a pu les enlever. Sont-ils seulement encore en vie ?

Mon cerveau va éclater si ça continue comme ça, je n’arrive plus à organiser mes pensées. Tout ce à quoi je pense, c’est Arthur ligoté et malmené par des hommes en noir, ou Arthur inerte dans un caniveau. L’angoisse totale. “On fera très attention” qu’il m’a dit. En sortant avec un seul véhicule et deux militaires, dont un vrai fragile qui pleure toutes les larmes de son corps depuis que je l’ai trouvé ? J’hallucine.

- Vous pouvez entrer, Lieutenant, il a repris connaissance.

- Comment va-t-il ?

- Pas trop mal, dit-il alors que j’entre.

- Vidal ! Attendez deux minutes ! m’interpelle le Colonel qui me semble furax, à l’entrée du bâtiment.

- Je vais voir le Lieutenant Snow, Colonel, je serai disponible ensuite.

- C’est maintenant que je veux vous voir, Vidal, gronde-t-il.

- Pour me dire quoi ? Que je n’avais pas l’autorisation de sortir ? Je le sais déjà, Colonel, et je vous assure que je suis prête à recevoir le savon que je mérite. Je veux juste aller voir comment va Snow.

- Aller voir comment il va ou le harceler de questions au sujet de ce qu’il s’est passé ?

Les deux, Ducon, évidemment ! Mince, il faut vraiment que je me calme avant de me retrouver avec un blâme ou en cuisine. Remarque, ce serait vraiment une mauvaise idée de me coller à la cuisine, étant donné que s’il y a bien une chose que je ne sais pas faire, c’est la bouffe.

- Les deux, mon Colonel. Les heures sont comptées, plus nous tardons, plus nos chances de retrouver les civils s'amenuisent.

- Et vous pensez que Snow sait où ils sont ?

- Il n'y a qu'en demandant qu'on saura, non ? Snow est très observateur. Je peux ? dis-je en tentant de refouler mon agacement.

- Oui, dit-il en soupirant. De toute façon, si je dis non, vous irez quand même. Mais je viens avec vous, rajoute-t-il.

J'entre dans l'infirmerie après avoir acquiescé. Il a bien raison, je crois qu'il pourra m'ordonner ce qu'il veut, ça ne changera rien.

Snow est allongé sur le lit, un bandage autour de la tête, le visage marqué, et je déchante rapidement. Une partie de ma colère fond comme neige au soleil et la première chose que je fais, c'est le serrer dans mes bras.

- Comment tu te sens ? lui demandé-je sans le lâcher.

- J’ai l’impression qu’un camion m’a roulé sur la tête. C’est horrible, mais le docteur dit que ça passera dans les prochains jours. Je n’ai rien de grave.

- Pire ou moins désagréable qu’une balle dans le derrière ?

- Moins désagréable, je dirais… Et les autres, comment ils vont ?

- L’unique soldat que tu as pris pour sortir chiale toutes les larmes de son corps, mais il va bien. Arthur et Sylvia sont portés disparus, lui dis-je d’une voix plus froide que je ne l’aurais voulu.

- Disparus ? Tu rigoles ou quoi ?

- Bien sûr ! Tu trouves que j’ai une tronche à plaisanter, là ? attaqué-je en le fusillant du regard.

- Mais qui ? Comment ? Oh, c’est terrible…

- Oui, Lieutenant, on aimerait savoir qui et comment, nous aussi, intervient le Colonel qui pose une main sur mon bras pour me calmer un peu.

Je me détourne de ces deux-là et tente de reprendre le contrôle de mes émotions. Je sais que je suis du genre impulsive, mais je dois exploser les compteurs, là, et ça n’apportera rien à la situation.

- Est-ce que tu as repéré quoi que ce soit ? Quelque chose qui t’a interpellé ? Posé question ? Pourquoi étiez-vous arrêtés là ? Enfin, comment ça s’est passé ?

- Euh… On s’est arrêté parce qu’il y avait des herses sur la route. Sous la pluie, on a failli passer dessus. Et puis, quand nous sommes sortis, on s’est fait canarder par des hommes en noir. J’ai essayé d’intervenir pour protéger les Zrinkak et on m’a mis un coup de crosse dans la tête… Ils étaient… Super bien armés et nombreux par contre. Sans pitié, aussi. Ils ont tué deux des trois Silvaniens.

- Ils les ont tous tués, soupiré-je.

- Quoi ? Arthur et Sylvia sont morts ? s’écrie Snow en se relevant dans son lit, soudain alarmé.

- Non ! Enfin… On n’en sait rien, il n’y a aucune trace d’eux. Je parlais des soldats. Rallonge-toi, Snow, il faut que tu te reposes…

- Désolé, je m’emporte, mais j’ai eu peur, Ju. Tu avais dit qu’ils sont portés disparus, après tu dis qu’ils ont tous été tués… Je m’en voudrais trop si c’était le cas. Bordel. Où peuvent-ils être ? Si le Général n’avait pas réquisitionné l’équipe qui devait nous accompagner, on aurait eu une chance. Mais là, avec les trois minots, c’était perdu d’avance…

- Il a réquisitionné des hommes ? Étrange, dis-je avant de soupirer. Je pense aux Rebelles. Seuls les soldats silvaniens ont été tués, Arthur et Sylvia ont disparu… Je ne vois que ça, mais ça me paraît stupide.

- C’était des Silvaniens, en tous cas. Il faut partir à leur recherche ! s’agite Snow dans son lit, faisant mine de se lever.

- Il le faut, mais certainement pas toi, Mat’, dis-je en le repoussant pour qu’il se rallonge.

- Lieutenant, aujourd’hui c’est repos, ajoute le Colonel. Vidal a raison, vous, vous restez au lit.

- Julia, excuse-moi, tente-t-il de me dire alors que ses yeux se ferment tout seuls.

- On en reparlera. Je te botterai le cul quand tu seras en état de recevoir les coups, dis-je en venant à nouveau l’enlacer avant de lui murmurer. J’espère pour toi qu’ils sont en vie, parce que je te souhaite bon courage pour me supporter si ce n’est pas le cas…

- Oh Julia… Je m’en veux, si tu savais, murmure-t-il.

- On en rediscutera quand je serai plus calme, Mat’. Repose-toi, j’ai besoin de toi en forme…

Je l’embrasse sur la joue et sors de l’infirmerie, prenant de l’avance sur le Colonel pour avoir quelques secondes de calme au grand air. Il fait lourd ici, mais je sais que ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai la sensation d’étouffer.

Moi aussi, je lui en veux. Je ne comprends pas pourquoi il est sorti avec si peu d’effectif. Depuis quand la présence de militaires silvaniens est-elle rassurante pour nous ? Deux militaires Français et un seul véhicule ? Je n’arrive pas à passer outre ce qui, pour moi, n’était pas la bonne décision. J’adore Snow, mais là, il a merdé sévèrement selon moi.

- Dans mon bureau, Lieutenant.

J’acquiesce et le suis jusqu’au bâtiment administratif. J’essaie de repousser mes idées noires et, une fois de plus, de respirer calmement, mais je suis une vraie boule de nerfs et j’ai bien peur que si le Colonel me cherche, je sois dans l’incapacité de me contrôler. Pourtant, j’ai conscience qu’il faut que je me tienne, si je veux pouvoir participer aux recherches et retrouver mon Bûcheron.

Je m’assieds face au Colonel lorsqu’il m’en donne l’ordre, et attends patiemment que la sentence ne tombe.

- Lieutenant, la prochaine fois que vous faites une sortie non sécurisée et sans mon accord, je vous renvoie en France. Je suis gâté, dites donc, entre vous et Snow !

- C’est noté, Colonel, ça ne se reproduira pas...

- Bon, on fait comment pour retrouver ces hommes en noir ? Vous pensez que les réfugiés pourraient nous renseigner ?

Je suis surprise qu’il change si vite de sujet et n’en rajoute pas une couche ou deux histoire de marquer son agacement. Je l’aurais mérité, soyons honnêtes.

- Possible, effectivement. Est-ce que vous m’autorisez à retourner sur le camp afin de faire le tour des réfugiés ?

- Oui, bien sûr. Je vais contacter le Gouvernement et essayer d’avoir des informations. De toute façon, s’ils sont encore en vie, on ne devrait pas tarder à avoir une demande de rançon. Surtout, pas un mot à la presse, moins ça se sait tout ça, mieux c’est pour nous.

- Bien, Colonel. Comment fait-on pour la famille de Sylvia ? Son mari va s’inquiéter. Et pour l’ONG ?

- Je vous laisse gérer ça. Vous connaissez la famille, non ? Et pour l’ONG, il suffit de leur dire que c’est dans leur intérêt de rester discrets.

- A vos ordres. Vous pourrez avertir Snow que je suis rentrée au camp ? Je vais partir immédiatement. Plus tôt je commence à poser les questions et mieux ce sera.

- Oui, partez en convoi, Lieutenant. Une double disparition, ça suffit pour aujourd’hui. Je veux un rapport au moins deux fois par jour et dès qu’il y a des nouvelles.

- Entendu. Est-ce que je peux vous demander de me tenir informée sur ce que vous apprenez de votre côté ou j’abuserais clairement ?

- Je le ferai, Lieutenant, mais faites attention, il me semble que votre engagement va au-delà du professionnalisme, ce n’est jamais bon quand c’est le cas.

- Je sais, j’y travaille, Colonel.

Je me lève et le salue avant de récupérer mon paquetage, resté à la place où je l’y avais laissé. Là où j’aurais dû retrouver Arthur. Je sens les larmes affluer dans mes yeux au moment où je réalise que je repars sur le camp sans lui. Alors que je ne sais pas où il est, s’il va bien, s’il est simplement en vie. Je suis terrifiée à l’idée de ne pas le revoir, de ne plus jamais pouvoir l’enlacer, le serrer contre moi, sentir ses lèvres sur les miennes, sa peau contre la mienne. Je suis terrifiée de ne plus pouvoir profiter de cet amour qu’il m’offre sans condition, de cette passion qui nous unit, de cette complicité qui me comble. Où es-tu, Arthur ? Je t’en prie, reviens-moi…

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