80. Le rêveur et l'angoissée

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Arthur

Cette vidéo a été une vraie épreuve. Même si nous n’avons eu à la tourner qu’une fois, le faire sous le regard complaisant du Général était horrible. N’être qu’un pion au service de son intérêt, ça dévalorise complètement. J’ai l’impression d’avoir fait la pute pour sauver ma vie, et cette sensation est horrible. J’espère que Julia ne va pas faire la bêtise de céder à ce fou qui nous a enlevés. Je m’en voudrais tellement si ma mère se retrouvait prisonnière pour me sauver après tous les efforts qu’elle a faits toute sa vie pour renverser le pouvoir.

- Elle n’a pas été très efficace, la Gitane. Une vie pour remplacer Lichtin et arriver à Ankhov. Pfiou ! On ne peut pas la féliciter !

C’est clair que si le résultat d’années de mobilisation est le remplacement d’un dictateur fou par un dictateur aussi foldingue, elle va pouvoir aller se rhabiller, ma mère. Quand je revois le regard concupiscent du pervers porté sur Sylvia qui pleurait à mes côtés pendant le tournage de la vidéo, je n’ai qu’une envie, l’étriper et le pendre haut et court. Mais bon, je serai déjà content de sortir d’ici vivant. Chaque chose en son temps.

Le Général est sorti avec le caméraman et nous a laissés, Sylvia et moi, seuls dans la petite pièce. Elle est en pleurs sur sa chaise et je me rapproche d’elle pour la prendre dans mes bras.

- Ça va aller, Sylvia. Je suis là, avec toi. Ne pleure pas !

- On va mourir ici, Arthur, c’est horrible ! Je veux voir mes enfants…

- Mais non, on ne va pas mourir. Julia et Maman vont trouver un moyen de nous sortir de là. Tu penses qu’il oserait tuer des citoyens français ?

- Qu’est-ce qui te fait dire qu’il ne le ferait pas ? Il a l’air de s’en foutre comme de l’an quarante, qu’on soit français, silvaniens, belges ou je ne sais quoi. Il est fou !

- Oui, il est fou, c’est sûr. Mais même dans les pays les plus fous, ils ne tuent pas les otages. Ils s’en servent pour avoir de l’argent, faire des échanges… Mais ça risque d’être long, c’est sûr…

- Il ne peut pas nous tuer tous les deux, il a besoin de toi. Mais moi… Moi, en revanche, sanglote-t-elle.

- Toi, il va essayer de te séduire. Essaie d’en jouer. Tu te souviens au lycée comment tu as fait avec le basketteur ? Eh bien, tu fais pareil. Tu le fais languir, tu joues de tes charmes et à la fin tu te barres avec un autre !

- Tu plaisantes ou quoi ? Il me donne envie de vomir ! Au moins, le basketteur n’était pas un porc et il avait mon âge !

- Tu veux survivre ou pas ? Fais ton aguicheuse de première classe et tu verras, tout ira bien. Je suis sûr que tu peux même obtenir tout ce que tu veux. Mais bon, on n’en est pas là. Je sais que nos amis ne vont pas nous laisser tomber.

- Si tu le dis… J’ai du mal à croire qu’ils vont réussir à entrer ici pour nous sauver… Et je me demande si je ne préférerais pas mourir que d’aguicher ce porc.

- Entrer ici pour nous sauver semble assez impossible, oui, je l’avoue. Mais il faut bien y croire et espérer. Tu sais, s’il avait voulu nous tuer, il l’aurait déjà fait. Et lui, ce qu’il veut, c’est la Gitane. Rien d’autre.

- S’il n’a pas ce qu’il veut, il peut supprimer l’un de nous pour montrer qu’il ne plaisante pas. Bordel, Arthur, s’agace Sylvia, arrête de la jouer rêveur, on est dans la mouise jusqu’au cou, là !

- Demande-lui l'autorisation d’aller faire des promenades, déjà, ça nous donnera peut-être des occasions de fuir, qui sait ? Au pire, ça nous fera prendre l’air… Tu en penses quoi ?

- Moi ? Lui demander ? Et tu crois qu’il va nous laisser faire ? Et à quel prix, sérieux ? Il me fait flipper, Arthur, vraiment…

Je soupire et me contente de la serrer fort contre moi. Quoi que je puisse dire, je ne parviendrai pas à la rassurer, c’est peine perdue. Alors, je suis là, juste là. Et c’est déjà beaucoup au vu des circonstances. Trois petits coups se font soudain entendre sur la porte de la pièce. Sylvia et moi ne pouvons nous empêcher de sursauter. La porte s’entrouvre et une petite tête coiffée d’un bandana rouge apparaît. La jeune femme qui entre dans la pièce est vêtue d’une blouse verte et semble décidée à faire du ménage. Nous la regardons faire, elle agit comme si nous n’étions pas là. Elle époussette, nettoie les surfaces, c’est irréel de la voir agir ainsi devant deux otages.

Ma sœur et moi nous dévisageons et elle ne peut s’empêcher de pouffer de rire en la voyant faire. La soubrette s’arrête aussitôt et nous lance un regard réprobateur avant de reprendre sa tâche comme si de rien n’était. Tout à coup, alors qu’elle est dans un coin de la pièce, elle se penche en nous tournant le dos et fait mine de frotter une tache au sol. Tache imaginaire car je ne vois rien de là où je suis. Elle s’adresse alors à nous en français et en chuchotant.

- Faites comme si de rien n’était. Je suis là pour vous dire que vous avez des amis ici.

Je dois faire un effort monstrueux pour ne pas réagir au cas où une caméra nous espionnerait et c’est Sylvia qui réagit la première.

- Alors sortez-nous de là, bon sang, chuchote-t-elle en baissant la tête.

- Pas facile, Madame Sylvia. Mais nous avons informé la Gitane. Elle s’occupe de tout. Pas facile de vous approcher.

Je n’en reviens pas du risque que prend cette femme à venir nous parler, juste pour nous dire que nous ne sommes pas seuls. Je suis presque prêt à la prendre dans mes bras.

- Dites-lui surtout de ne pas se rendre pour nous, chuchoté-je à mon tour. C’est un piège qui ne nous fera pas libérer.

- Ne vous inquiétez pas, Monsieur Arthur, la Gitane sait ce qu’elle doit faire. C’est la Gitane, elle sait toujours quoi faire.

- Oui, mais là, on n’est pas sauvés. On est au milieu du Palais, prisonniers, toujours des gardes à côté. Il faut qu’elle nous sorte de là, et vite !

- Chut, Monsieur Arthur, s’il vous plaît, continue-t-elle doucement. Faites-lui confiance, c’est tout.

- Vous êtes nombreux ici à l’aider ? demandé-je, curieux et avec un fort besoin d’être rassuré aussi.

- Suffisamment pour pouvoir intervenir si besoin. Ne vous inquiétez pas, elle ne laissera rien vous arriver.

- Après nous avoir abandonnés et laissés sans nouvelles durant toutes ces années, j’ai un doute, marmonne Sylvia à mes côtés.

- Si, si, Madame Sylvia. Elle vous aime. Je vais partir, mais vous pouvez me laisser des mots quand vous allez manger. Je les lirai et dirai tout à la Gitane.

Je la regarde se relever et bondir tel un kangourou avant de sortir en courant de la pièce sans un autre regard. Le soldat qui est de garde entre à son tour et nous dévisage en silence. Visiblement, il se demande ce qu’il vient de se passer. Sylvia et moi faisons mine de rien, mais il s’adresse à nous, en Silvanien cette fois.

- Moi aussi, je suis fidèle à la Gitane. Nous sommes de plus en plus nombreux. Il ne faut pas vous inquiéter, on vous surveille bien.

- Sylvia, il dit que lui aussi est fidèle à la Gitane. Tu vois, nous avons plein d’alliés.

- Super, ironise-t-elle. Ils sont beaucoup, mais on ne sait pas sur qui on peut compter, génial, Arthur. Et qui te dit qu’ils ne disent pas ça pour nous pousser à faire ce qu’ils veulent ?

- Tous ces gens prennent des risques pour nous dire qu’ils nous soutiennent, tu ne vois pas qu’ils sont honnêtes et dévoués à Maman et à la Silvanie ?

- Tout ce que je vois, Arthur, c’est qu’on est coincé ici, que si Julia craque, elle va livrer Maman au Général et qu’on formera à nouveau une belle famille, emprisonnée et malheureuse. Ça vend du rêve, oui. Et, au cas où ta meuf resterait futée même si je ne doute pas qu’elle veuille sauver ton petit cul, on va crever parce qu’il n’aura pas eu ce qu’il veut. Magique, Arthur, vraiment magique, soupire Sylvia avant de se prendre la tête entre les mains.

- Eh soldat, si tu as vraiment contact avec ma mère, l’interpelé-je en Silvanien, dis-lui que l’urgence est de faire sortir ma sœur. Elle ne supporte pas l’enfermement. Compris ?

- Oui, Monsieur Arthur, je vais lui faire parvenir le message. Je vais devoir vous ramener à vos appartements. Je vous laisse encore cinq minutes.

- Qu’est-ce que vous racontez, tous les deux ? Je déteste ne rien comprendre.

- Je lui ai demandé de nous faire sortir rapidement d’ici. Et dans cinq minutes, il nous ramène dans notre prison dorée. Je crois qu’on peut vraiment lui faire confiance, Sissi. Tu devrais faire comme moi et te rattacher au moindre espoir, à la moindre chance.

- Je vais essayer… Tout le monde n’a pas ton talent pour tout dédramatiser, Arthur.

- Ouais, je sais, j’ai pris tous les bons gênes à la naissance, désolé de ne rien t’avoir laissé, ma puce. Tu as quand même eu de beaux restes, rigolé-je en lui faisant un bisou sur le front.

- Bon sang, comment tu fais pour faire encore de l’humour, sérieux ? J’ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps…

- Chacun sa façon de survivre, Sissi. Comme le dit Bernard Werber dans un de ses livres, l’amour comme épée, l’humour comme bouclier. Allez, fais-moi un petit sourire avant qu’on ne soit séparé jusqu’à demain midi.

- Un quoi ? Je connais pas, dit-elle en me faisant une grimace.

- Ahah, voilà le début de la fin pour toi. On dirait le sourire que tu as dû faire à Eric pour le séduire ! J’aurais dû te prendre en photo et lui envoyer. Ou aller lui amener moi-même, tiens. Je vais demander une permission de sortie au Général pour le faire !

- Ah, ah, ah, très drôle. Eric va me tuer, geint-elle. Il ne voulait pas que je vienne ici… Quelle idée j’ai eue !

- Ouais, c’était une idée digne d’une Zrinkak, dis-je dans un sourire alors que le garde nous fait signe de sortir.

- Ouais, il semblerait que j’ai un côté rêveur aussi, finalement, soupire-t-elle.

Nous nous éloignons tous les deux après une dernière étreinte fraternelle. La vidéo doit déjà être partie et nous, nous sommes là, impuissants, à espérer qu’un miracle survienne. Nous ne sommes pas sans soutien au Palais, mais qu’est-ce que cela vaut contre tout le pouvoir d’Ankhov ? Contre ses troupes d’élite et son armée, que peut faire la Gitane ?

Le peuple est de votre côté, Tutur. Le peuple finit toujours par l’emporter. C’est votre seul espoir. Espérons que ce ne soit pas une victoire qui se termine en bain de sang.

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