2.2 Le désert de pierres (part 2)

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Une colonne d'une trentaine d'individus aux tenues bigarrées atteignait la structure rocheuse. Les voir peiner, lutter comme lui, eut été une forme de réconfort. Au lieu de quoi, ces gens avançaient certes lentement, mais d'un pas égal. Un seul coup d'œil aux vêtements suffisait à Ravik pour établir le rang de chacun : un bel assemblage de nobles, de gardes et de serviteurs. Il repéra deux danseuses, toujours vêtues pour leur représentation. Les quelques sanmajs qui encadraient ce groupe - les seuls vêtus pour affronter les dunes -, étaient nettement moins nombreux que leurs captifs.

— Il faut continuer ! Si on reste là, on va perdre toute notre eau en moins d'une heure ! Probablement plus vite encore pour vous ! encouragea le guerrier sanmaj.

Joignant le geste à la parole, cette brute poussa de nouveau Ravik en avant. Le jeune homme parvint à conserver son équilibre et se tourna vers aussitôt vers Haqim, qui ne broncha pas. Tête basse, le visage empli de sueur, son compagnon semblait n'avoir rien remarqué.

Agacé, sans desserrer les dents, le jeune Abelam se confronta aux quelques deux-cents pieds qui les séparaient encore de l'ombre à la fois attirante et oppressante du Désert de pierres.

Maître Loën n'avait jamais été un tendre avec ses élèves, même les mieux nés. Pourtant, rien n'avait préparé Ravik à une telle épreuve. Lorsqu'il sentit enfin le sol se durcir sous ses pieds, il accéléra. Atteignant l'abri d'un premier monticule, il se jeta à terre, haletant. Derrière lui, Haqim agit de même. Sous ses doigts ruisselants, Ravik sentit la chaleur qui se dégageait du roc. La réputation de ce lieu n'était pas usurpée, mais à cet instant, échapper au soleil constituait déjà une nette amélioration.

Les ayant suivis, le sanmaj leur tendit une nouvelle gourde.

— Buvez, puis relevez-vous ! pressa-t-il.

Apparemment insensible au climat, le bandit semblait de plus en plus impatient d'avancer. Il scrutait constamment le ciel. Pourquoi ? En se redressant, Ravik remarqua que les chariots derrière eux s'étaient remis en mouvement. Sur le plateau sableux, au travers des dunes, le convoi rassemblé s'éloignait déjà.

— Sans nous à bord, ils se mêleront aux autres caravanes liant la capitale au reste de l'empire. Rien ne permettra de les identifier, murmura Haqim.

Ravik approuva du chef. Ils n'avaient aperçu aucun visage. Ces traîtres s'en sortiraient comme si de rien n'était, aucun des ashaans secourus ne pourrait les dénoncer de retour chez eux. Car ils rentreraient. Et alors, Ravik ferait regretter à ces esclaves de ne pas être restés cachés dans leur trou puant. Mais pourquoi le sanmaj regardait-il le ciel ?

La réponse s'imposa soudain à lui. Comment n'y avait-il pas pensé plus tôt ?

— On doit s'échapper, glissa-t-il à voix basse pour qu'Haqim soit le seul à entendre.

— Comment ? Et pour aller où ? On est en plein désert, je te rappelle, soupira son ami.

— Il suffit de se mettre dans un coin d'ombre et d'attendre...

Haqim fronça les sourcils, puis un éclair de compréhension passa sur son visage.

— Tu penses aux traqueurs impériaux ?

Ravik acquiesça, mais son ami secoua la tête.

— Ils nous retrouveront d'autant plus facilement si on reste avec le groupe, contra Haqim.

— Peut-être... avoua Ravik. Mais qui peut savoir comment les sanmajs réagiront à leur arrivée ?

— Si vous avez assez d'énergie pour discutailler, vous pouvez certainement avancer plus vite ! intervint leur gardien.

Ravik grimaça, mais ne reprit pas moins son avancée vers le pic. Oui, les troupes d'élites de Del'Ashaan interviendraient. Elles comptaient dans leurs rangs les meilleurs pisteurs d'Obaran, des ashaans dédiés à ce rôle dès leur prime jeunesse, liés à des rapaces mystiques capables de percevoir le moindre détail au sol depuis des hauteurs vertigineuses. Ces experts avaient prouvé maintes fois leur capacité à traquer des fuyards jusqu'à l'autre bout de l'empire. L'arrivée des secours ne faisait aucun doute, il devait se raccrocher à cette idée. Mais pourquoi n'étaient-ils pas déjà là ? À l'allure à laquelle la caravane avait progressé...

Plus important que tout, se comporter en toutou docile l'insupportait !

À mesure qu'il se dévoilait à eux, ce territoire se révélait comme la parfaite opposition à l'ordre et la perfection géométrique qu'affectionnait le jeune Abelam. Cet endroit n'était que monticules de pierres brisées et pics décharnés. Les ruines d'une montagne déchiquetée par un titan. Il y avait aussi ces ombres qui s'étiraient dans toutes les directions, ces formes étranges, étriquées. Des centaines de longs doigts tendus vers eux pour les saisir et les garder à jamais. Il y avait définitivement quelque chose de mauvais en ce lieu.

Lorsque le sable céda pour de bon sa place au Désert de pierres, Ravik se déchaussa pour en vider ses souliers, sous le regard impatient du sanmaj. Ce faisant, il jeta un ultime coup d'œil vers l'horizon derrière eux.

— Mais pourquoi personne ne vient ? souffla-t-il.

— Les traqueurs ne vont plus tarder, glissa Haqim. Où que l'on soit sur les terres impériales, ils nous trouveront. Mais on ne sait pas combien de temps a passé avant qu'ils ne découvrent notre disparition.

— Alors il faut freiner, gagner autant de temps que possible...

— Mais sans prendre de risque inutile, compléta Haqim en grimaçant.

Le guerrier sanmaj les attendait, quelques pas plus loin, les bras croisés. Sa façon de les regarder était sans équivoque : s'ils ne se décidaient pas à avancer, il les porterait ! Et ça, Ravik ne pourrait jamais le supporter.

Ils furent parmi les derniers à atteindre le groupe au pied de la lance. Ravik s'intéressa aussitôt à leurs ravisseurs, qui tenaient conciliabule à l'écart. Il n'y avait là qu'une vingtaine de sanmaj, mais rares étaient ceux qui se comparaient à la carrure de celui qui les escortaient, lui et Haqim. Plus important, il remarqua que leurs ennemis ne se donnaient même pas la peine d'encercler convenablement la troupe. Une telle nonchalance éveilla de nouvelles velléités de fuite, mais leur gardien continuait, lui, de les couver du regard avec un petit sourire au coin des lèvres.

— On va attendre ici longtemps ? le questionna Ravik.

— Pas plus que nécessaire, se limita à répondre le sanmaj.

En dépit de ses résolutions précédentes, le jeune Abelam ne tenait pas à rester sur place plus longtemps que nécessaire. Autour d'eux, les caches étaient innombrables entre les éboulis et les colonnes de roche. Qu'est-ce qui pouvait se cacher dans ces zones d'ombre ? Les aigles-chimères, des créatures ailées dotées d'une queue de serpent qui terrorisaient depuis peu les caravanes à l'est de Del'Ashaan, provenaient du Désert de pierres selon les experts. D'après des rapports, ces créatures mystiques auraient été chassées par leurs congénères. À quoi pouvaient ressembler des créatures capables de chasser des aigles-chimères ? Décidément, rencontrer la réponse ne lui disait rien.

— C'est la baronne Deneal devant nous, intervint Haqim le tirant de ses pensées. Il y a aussi le comte Joskel et son fils aîné... Des Maisons mineures, mais tout de même des têtes et héritiers de familles nobles. Aucun de ces sanmajs ne sera épargné pour s'en être pris à eux, ils le savent forcément. Alors qu'est-ce qui peut les motiver à agir de la sorte ?

— Je ne sais pas. Des boucliers humains ? Non, ça ne tient pas. On ne fait que les ralentir.

Se forçant à se concentrer sur la troupe pour oublier le Désert, Ravik repensa à la fête de la veille. En tenant compte du personnel, pas moins de deux cents ashaans occupaient alors la villa Fel. Il n'en comptait qu'une quarantaine avec eux.

Espérant repérer un soutien potentiel, Ravik constata combien la posture de leurs compagnons d'infortune était étrange, indolente. Ils restaient debout, mais sans bouger, les yeux rivés sur la paroi rocheuse, comme leurs cinq compagnons de transport. À une exception près.

— Les deux danseuses parlent ! jubila-il.

— Quoi ? s'étonna Haqim.

Ravik désigna les deux jeunes femmes aperçues plus tôt, qui se comportaient en effet différemment des autres. L'une pleurait dans les bras de l'autre, qui lui tapotait le dos en parlant. D'autres conservaient donc leurs esprits !

— Hé, Ravik, tu as vu ? Derrière ce tas de caillasses...

— Hum ?

Plissant les yeux, Ravik regarda un peu plus loin. En partie dissimulé par un pan de roche, un second groupe se tenait à l'écart des ashaans. Sauf que cet attroupement là se composait de créatures mystiques !

Sur le coup, il craignit une attaque. Puis il constata qu'il ne s'agissait pas d'un troupeau ordinaire : les espèces étaient trop diverses, certaines n'avaient rien à faire dans le Désert d'ashaan et aucune dans le Désert de pierres. L'une d'elles sortait toutefois du lot.

— Belark ! Il est vivant ! exulta-t-il.

— Ce sont les créatures dont la gemme d'âme a été brisée ? subodora Haqim. Mais comment les sanmajs les ont-ils amenées jusque-là, si elles ne sont plus sous contrôle ? Et pourquoi ?

« Nous reprenons la route ! » tonna une voix issue du groupe sanmaj.

Ces derniers se dispersèrent, une partie entourant les prisonniers ashaans, d'autres prenant la direction des créatures mystiques. La plupart rejoignirent un tas de gravats à deux pas de la base du pic.

— On va continuer à s'enfoncer dans le Désert de pierres ? questionna Ravik, s'adressant au guerrier sanmaj qui ne quittait toujours pas.

— Un bon choix de mot... ricana celui-ci. Venez !

Refusant de s'abaisser à questionner les paroles de leur ennemi, le jeune Abelam chercha plutôt quelque chose à proximité qui puisse trahir leur passage, offrir un indice aux traqueurs impériaux. Dans des conditions normales, le moindre tas de pierre aurait fait l'affaire, mais en ce lieu l'idée semblait ridicule. Restait à espérer que les unités de Del'Ashaan n'hésiteraient pas à les suivre dans cet endroit maudit. Et surtout, qu'ils ne traîneraient pas. Sans quoi, il n'y aurait peut-être plus personne à sauver.

— Mais qu'est-ce qu'ils font ? s'interrogea Haqim.

Ravik suivit son regard. Des sanmajs armés de sortes de pics s'activaient autour de morceaux de roc, les faisant rouler sur le côté. Un frisson lui parcourut l'échine, puis l'entrée d'un passage obscur se dévoila, confirmant ses craintes.

— Tu disais quoi, déjà, au sujet des traqueurs ? grinça-t-il. Qu'ils nous retrouveraient "où qu'on soit SUR les terres impériales" ?

Le visage de son compagnon s'assombrit.

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