2.6 Le Mausolée de Gaelak (part 1)

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Noir, tout était plongé dans le noir. Où se trouvait-il ? Ravik balaya l'espace de ses mains. Rien. Il avança d'un pas, puis d'un autre. Son pied heurta enfin quelque chose. Une lueur descendit dans le vide, un faisceau venu illuminer... un corps ? Il s'immobilisa. Il connaissait cette femme, cette sanmaj, mais elle était...

Aïna se retourna pour le dévisager. Elle fronça les sourcils.

— Tu m'as tué ! l'accusa-t-elle.

Ravik bondit en arrière. Non, ce n'était pas réel ! C'était forcément un cauchemar ! Il devait se réveiller, il devait trouver la sortie ! Reculant toujours, son dos heurta quelque chose de chaud. Un grondement trop familier résonna. Il chercha à s'éloigner de cette nouvelle menace mais il était là, devant lui. Belark le regardait, ses pupilles fendues brillaient dans les ténèbres. Le fauve avançait déjà dans sa direction, menaçant. Ravik prit la fuite, mais aussitôt Aïna apparut pour lui barrer la route.

— Tu m'as tué ! répéta-t-elle.

Le jeune Abelam se détourna de la sanmaj, mais une autre apparut, puis encore une autre. Dix Aïna se tenaient là, leurs yeux emplis de reproches.

— Tu m'as tué ! s'écrièrent-elles d'une seule voix.

Non, non, non...

Ravik se replia sur lui-même, il se prit la tête dans ses mains.

— Non ! hurla-t-il en se redressant.

Une décharge de douleur le traversa, se répercuta dans tout son corps. Terrassé par la souffrance, sa poitrine en feu, il se laissa retomber en arrière, sur une surface dure où il se tortilla un moment en gémissant. Impossible de trouver une posture acceptable, qui lui épargne cet élancement permanent. Sa tête semblait sur le point d'exploser. Mais il était de retour dans le monde réel.

Quelqu'un s'empara de sa main, la serra.

— Du calme, je suis là...

Il faisait jour, une lumière le berçait, à la fois chiche et trop vive. Des cheveux blonds en bataille.

— Haqim ?

Je suis en vie ?

Si c'était l'autre monde, il était décevant. Couché à même le sol, on l'avait enveloppé dans des draps rêches qui s'étaient imbibés de sueur. Frigorifié et en même temps bouillant, sa tête reposait sur un coussin plus probablement rempli de sable que de plumes. Se réveiller à Del'Ashaan aurait été si agréable, pourtant.

Belark revint s'imposer dans ses pensées. Le fauve frappait et il sentait l'impact dans sa chair, puis tout n'était plus que souffrance. Supplice. Une suite d'images floues suivit, des silhouettes s'agitant autour de lui, sur lui.

— Qu'est-ce que...

— Ça va aller... souffla Haqim sans lui lâcher la main.

Les yeux de Ravik se posèrent sur cette maudite galerie de verre. Pas ses yeux, l'un d'eux seulement, l'autre demeurait dans le noir. Levant sa main restée libre, Ravik la mena droit sur son propre visage. Il tatonna en direction de son œil gauche, mais n'y trouva que des bandelettes de tissus et frémis d'anticipation.

— Ton œil est sauf, le rassura Haqim. « Un putain de veinard » selon les mots de ce Tod. Mais tu dois garder ce bandage encore un moment...

— Tod ?

Entre les mains de ce boucher, il devait s'attendre au pire. Ravik fit un effort pour se concentrer et mieux discerner le visage flou de son plus ancien compagnon. Haqim Doran avait l'air en forme, mais quelque chose clochait. Son ami aux traits angéliques ne portait plus sa tunique de cérémonie ruinée, troquée contre l'une de ces combinaisons moulantes qu'affectionnaient les sanmajs.

Il entreprit de prendre appui sur ses coudes, mais cela ne fit que raviver la douleur.

— Ne bouge pas ! ordonna son compagnon en le plaquant au sol. Vu comme elles ont bougé, tu as de la chance qu'aucune de tes côtes n'ait percé tes poumons... Encore de la veine. Tient, bois ça...

Haqim lui passa une main sous la tête et présenta un broc en bois à ses lèvres. Ravik sentit un liquide épais au goût d'herbe lui couler dans la gorge. Il déglutit longuement. Incapable de la rendre, il s'efforça d'avaler cette mixture infecte, particulièrement amère.

— C'est quoi cette horreur ?

— Aucune idée, avoua Haqim.

Son ami lui sourit, mais son expression n'avait rien de convainquant.

— Tu m'as sauvé ? questionna le jeune Abelam.

La grimace semblait déjà plus naturelle.

— J'ai à peine pu m'approcher, Belark m'a envoyé voler d'un simple revers. Je ne me suis jamais senti aussi inutile. Ellen n'a pas fait beaucoup mieux, mais au moins a-t-elle gagné une estafilade en guise de trophée, elle...

— Alors qui ?...

— Moi.

Ravik chercha l'origine de cette voix et tomba sur Assa. La sanmaj le fixait avec froideur, installée sur un morceau de roche, les jambes ballantes. Le jeune Abelam s'attarda sur le buste dénudé de la sanmaj, sur sa taille et sa poitrine enserrées par une longue série de bandages qui remontait jusqu'à son épaule droite.

— Elle s'est interposée et t'a épargné une partie du choc, expliqua Haqim. Même alors, elle trouvé la force de revenir à la charge et a forcé Belark à se calmer, à l'aide de deux de ces dagues à lame noire...

L'admiration était palpable dans la voix de son ami.

— J'ai attaqué un primal, commenta pour sa part Assa. Pour retrouver ma place au sein de la tribu, je devrais faire pénitence des années. Tout ça parce que j'ai écouté mon instinct.

— Merci, lâcha Ravik.

— Si j'avais su ce que tu avais fait, continua Assa, je me serais plutôt délectée du spectacle !

Désormais, la haine se lisait clairement dans les yeux écarlates de la jeune femme, une lueur presque démoniaque.

Aïna.

— Je... je suis désolé, lâcha-t-il.

Il se sentait tellement lasse.

— Je ne voulais pas te tuer, ajouta-t-il.

Assa le regarda bizarrement. Pourquoi ? Ses paupières pesaient des tonnes. Il ferma les yeux, juste pour un instant, et sombra dans un sommeil sans rêves.

***

Lorsque Ravik émergea à nouveau, Haqim et Assa avaient disparus. Faisant face à un plafond de dalles massives, il remarqua des gravures, des symboles à moitié effacés qu'il ne reconnaissait pas.

Il y avait aussi la sale gueule de Lod. Le sanmaj l'observait avec détachement, croquant dans une pomme. Le jeune ashaan avait la gorge sèche, mais tout ce à quoi il eut droit fut une nouvelle rasade de cette solution pâteuse. Il retomba rapidement dans les limbes.

Une succession de phases d'éveil relatif suivies de sommeils profonds suivirent. Parfois, Ravik se découvrait seul dans une pièce plongée dans l'obscurité. Il devait alors se contenter de scruter les ténèbres jusqu'à ce que la fatigue l'emporte. D'autres, il trouvait un Lod mutique occupé à refaire ses bandages - il en avait tout autour de la taille en plus du crâne -, ou découvrait simplement un plateau avec quelques fruits et de l'eau. Après quelques échecs, il parvint à trouver la force de se redresser suffisamment pour avaler quelques gorgées et croquer dans un fruit. Ses forces revenaient lentement.

Durant l'une de ses phases d'inconscience, on le déplaça à nouveau. Ravik se retrouva dans une pièce moins spacieuse que la précédente, meublée de façon rustique. Le mobilier faisait partie intégrante des lieux : la table, les tabourets et les quelques étagères étaient tout simplement taillées dans la roche, une pierre d'un blanc maladif. Sa nouvelle demeure bénéficiait de plus de clarté que la précédente, un pan de mur entier manquait et laissait entrer la lumière du jour. Déterminé, le jeune Abelam dégagea ses pieds des draps et se leva.

Combien de temps avait passé depuis l'incident ? Tremblant comme une feuille, mais debout, il se força à mettre un pied devant l'autre. Au prix d'un grand effort, il atteignit la table à laquelle il se rattrapa de justesse. Une pointe de douleur lui traversa les côtes, il serra les dents, se tint bien droit, et elle passa. En inspirant à fond, reprit le contrôle de ses jambes flageolantes et se traîna jusqu'à la grande ouverture. Enfin, il se laissa glisser au sol, adossé à la paroi de la pièce.

L'espace libre donnait sur le vide, sur une chute libre d'au moins cinquante pieds. Devant lui s'ouvrait une vaste fosse à ciel ouvert, ce qui aurait pu être une ancienne carrière. Au centre du cratère se dégageait en effet une sorte de puits, dont il ne pouvait évidemment pas voir le fond. La roche - blanche ou légèrement ocre - avait clairement été travaillée, usée, aux alentours.

Des chariots et du matériel étaient entreposés dans la cour, mais cela ne retint qu'un instant l'attention du jeune homme. Sur tout le contour de la fosse, partout où passait son regard, se dressaient des successions de passerelles, de colonnades et de bâtisses plus extravagantes les unes que les autres. La plupart étaient directement creusées dans la paroi rocheuse ! Une cité entière se dessinait sous ses yeux, une métropole qui, à en juger par le nombre de constructions, concurrençait aisément Del'Ashaan !

Une fois que le soufflé de la découverte retombé, le jeune Abelam constata à quel point la cité de pierres était délabrée. De nombreuses structure gisaient à l'état de ruines et des pans entiers de route manquaient, les gravas reposant parfois deux ou trois étages plus bas. Résultat du passage du temps ou d'une bataille, il n'aurait su se prononcer.

Le jeune homme finit par repérer quelques silhouettes sur des balcons, mais les lieux étaient en majeure partie déserts et le silence écrasant. Il pouvait entendre jusqu'au souffle tiède qui lui caressait le visage.

— Tu t'es levé ? Tu retrouves des forces on dirait, salua une voix dans son dos.

Ravik se retourna tandis qu'une jeune femme à la peau d'ébène s'invitait dans son espace, porteuse d'un plateau de fruits.

— Ellen ?

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