XII. Mais que fait la police ? Troisième partie

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 La bouche pleine, il franchit la porte de la maisonnette où il logeait. Personne au rez-de-chaussée. Il grimpa l’escalier en traînant les pieds et poussa un soupir de soulagement en se posant sur le bord de sa fenêtre. Elle donnait sur la rue des Six-Ponts, juste en face d’une coquette demeure à arches. Jal soupira, et alla fouiner dans son sac. Il fallait qu’il écrive à ses parents, au moins en guise de réconfort. Il aurait aimé attendre les résultats et leur annoncer avec fierté, mais les péripéties qu'il avait vécu ici. L’idée d’écrire à Imre lui traversa l’esprit une courte seconde, aussitôt reléguée à la corbeille. Sa sœur ne lirait même pas sa lettre. Il choisit un parchemin frais et vierge, déboucha son encrier creusé dans une corne de flontir et prépara sa plus belle plume.

Lonn, royaume de Lonn            Le 22 octi

Mes très chers parents,

La grande ville de Lonn se révèle décidément fertile en surprises ! Je me suis trouvé un logement fort correct assez proche du palais. J’ai découvert que Vivien votre neveu faisait aussi partie des aspirants ! Sa sœur Liz étudie ici même à l’académie de magie. Son avenir se remplit de promesses, elle possède le potentiel le plus puissant de l’académie.

Hélas, pour moi, les choses se compliquent. Les épreuves sont à présent terminées, mais j’ai dû faire face à plusieurs reprises à une bande de malfaiteurs fort bien organisés qui enlevèrent Vivien, et moi-même deux fois. Heureusement, la garde royale de Lonn et son capitaine Hendiad Londren n’usurpent pas leur réputation d’efficacité redoutable, et les voilà tous sous les verrous. Il reste à découvrir leur commanditaire.

Comme vous vous en doutez, l’épreuve de magie fut particulièrement éprouvante ; je perdis connaissance, et une fois encore la magie de Liz me sauva, ainsi que la réactivité et la générosité d’une amie Rottoise : Lidwine Artanke. Je l’ai rencontrée lors de mon arrivée, et elle pâtit durement de la haine que l’on me voue, sans jamais se plaindre. C’est une personne extraordinaire ! Le croirez-vous, surtout Mère, si je vous disais qu’elle vainquit en combat singulier le maître d’armes du palais ? Pourtant, il n’y a rien de plus vrai ! Même le capitaine Londren ne tarit plus d’éloges à son sujet.

Bref, je pus ensuite convaincre les mages royaux de me laisser continuer les épreuves, ce qui fut fait. Lénaïc Fauxoll, un ami étudiant de Liz, prétend avoir trouvé un remède à mon anomalie. Il s’agit d’un fragment d’Umeå découvert en Ranedamine, puis entreposé au musée de Lonn et volé ensuite par les Lors à la dernière guerre. Peut-être reste-t-il un espoir…

Par ailleurs, je fus secouru après mon premier enlèvement (comprenant une baignade forcée dans le Rivent) par un marchand drapier du nom de Jacquemin Limonier. S’il vient à vous demander une faveur en mon nom, accordez-la-lui comme je le promis.

 Comment se passent les choses chez nous ? Vous portez-vous toujours bien, tous ? Je me languis d’Herzhir et de nos montagnes, de vos présences aussi. Avez-vous des nouvelles récentes d’Imre ?... Mais surtout, portez-vous bien, et passez mes vœux à tout le château. Saluez particulièrement en mon nom Colombe Hélénos la cueilleuse. Si les Lunes le permettent, je reviendrais vous voir. Si jamais j’échoue aux épreuves, je passerai encore trois ans à vos côtés. Cette idée atténue un peu la peur de l’échec par sa douceur. Donc, à un jour prochain, Père, Mère, et les Lunes veillent sur vous !

Votre fils dévoué,

Jal.

 Ceci fait, il souffla sur le parchemin pour faire sécher l’encre. Peut-être aurait-il dû être plus explicite concernant ses sentiments pour Lidwine ?... Bah, ses parents n’étaient pas nés de la dernière pluie et le connaissaient sur le bout des doigts. Ils liraient aisément entre les lignes ce qu’il n'écrivait pas. Il laissa un sourire attendri envahir son visage. Thierry et Marianna Dernéant… Le château d’Herzhir, avec ses toits pointus dorés, ses tours arrondies dans laquelle se trouvait sa chambre, le rempart à colonnades qui enjambait la source du Rivent et la cascade, les sentiers qui escaladaient la montagne, les étoiles se glissant entre les sommets, les pâturages à canamelles pentus et fleuris, la silhouette de Colombe qui revenait dans le vent du soir…

 Jal eut un léger soupir de nostalgie. S’il devenait messager, il ne reviendrait pas souvent à Herzhir, et ne reverrait pas de sitôt ses parents, ni Colombe. La jeune cueilleuse de montagne avait été l’amie la plus proche de Jal durant toute son enfance. Elle lui avait servi de sœur, compensant avantageusement la froideur d’Imre, sa sœur de sang. Mais, deux mois avant qu’il ne parte pour Lonn, Colombe l’avait piégé sur le rempart à arches qui surplombait la cascade, pour lui annoncer qu’elle allait se fiancer. Avec le tanneur Roch, un camarade d’escrime et d’équitation. Jal, persuadé qu’ils finiraient par se marier, s’était longtemps senti trahi. Il avait mis longtemps à réaliser et admettre qu’il aimait la cueilleuse… Et il avait cru voir dans son regard bleu comme l’eau du lac qu’elle regrettait ces fiançailles, probablement décidées de raison par les familles respectives. D’ailleurs Roch devait les maudire aussi, n’ayant pas été consulté. Après quelques jours au goût du fruit défendu, la cueilleuse et le jeune seigneur avaient cessé de se voir.

 Jal avait longtemps cru qu’il n’aimerait jamais que Colombe jusqu’à ce qu’il croise la route de Lidwine Artanke. L’escrimeuse aux yeux de pierre précieuse s’était emparée de lui, avec naturel, sans avoir l’air d’y toucher, pourtant avec une poigne d’acier. L'intensité de sa fascination pour elle différait de la sérénité douce et lumineuse que représentait son amour de jeunesse. Mais l’aspirant messager continuait à se poser la question qui l’avait torturé ces deux derniers mois : Colombe l’aimait-elle toujours ? Se sentirait-elle trahie, brisée, abandonnée, quand elle saurait ? Ou avait-elle fini par l’oublier ? Voire tomber amoureuse du mari qu’on lui destinait ? Il ne le saurait pas avant de lui poser franchement la question, ce qu’il répugnait à faire.

  Avec un haussement d’épaule las, il roula la lettre et l’attacha avec le ruban noir que lui avait confié sa mère à cet effet, noué autour de son poignet. Il inscrivit dessus, de sa plus belle écriture, le nom de ses parents et l'emplacement du château.

 Il s’agissait maintenant de trouver un messager disponible pour se rendre en Ranedamine. Le palais en recelait beaucoup, mais ils se réservaient au service du royaume. Mais Lonn constituait la capitale des messagers, il ne devrait pas avoir trop de mal à en trouver un. Il posa son chapeau sur sa tête, boucla sa cape, enfila son sac sur son épaule, caressa le pommeau de Valte. Il devait rester attentif. Le large rebord du chapeau rabattu sur son visage, il quitta la maison.

 Il finit par trouver un messager, un homme costaud, imposant, qui paraissait expérimenté. Celui-ci glissa le rouleau de parchemin dans son porte-messages, un étui de cuir avec un couvercle, et demanda les délais. Jal lui en laissa négligemment le choix. Les messagers recevaient tous leur salaire, plutôt conséquent, du roi de Lonn lui-même. Il avait choisi de fournir à la Longarde entière un service de communication en tant que royaume le plus riche et sans doute le plus puissant. Cependant, ce paiement s’augmentait souvent de cadeaux et de primes offertes par les seigneurs qui employaient leurs services. Jal n'en avait malheureusement pas à proposer.

  • Si les destinataires sont morts, à qui dois-je le remettre ?

 Jal refusa de s'attarder sur la pensée de ses parents morts, mais il savait la question obligatoire et mesure de précaution. S'il ne proposait rien, le message reviendrait à l'héritière directe de la famille, Imre. Hors de question. Il réfléchit une seconde.

  • Colombe Hélénos, cueilleuse au même château.

 Jal suivit du regard le messager qui s’éloignait, avec un mélange d’envie et d’espoir pour ce message qu’il lui confiait. Se souvenant brusquement de la cérémonie du lendemain, avec son lot d’incertitudes et d’anxiété, et se mit en quête d’un tailleur. Pour la remise de son titre, il se devait d’être élégant. Il n’y avait aucune obligation à cela, mais il se sentait l’envie d’impressionner, potentiellement Lidwine. Le tailleur finit par trouver ce que son client demandait et vida une partie de sa bourse. Puis Jal rentra et s’abattit épuisé sur le matelas. Il retrouva au bout de quelques minutes le courage nécessaire pour se dévêtir et se glisser sous la couverture. Électrisé par l’angoisse du lendemain qui le reprenait par bouffées incontrôlables, il mit longtemps à glisser sur la pente du sommeil.

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