LA PUNITION FANTASTIQUE
Une voiture file à vive allure sur la N 83 en direction de Lons le Saunier. Depuis le milieu de l'après-midi , il tombe une sorte de crachin qui trouble considérablement la visibilité au fur et à mesure que la luminosité du jour s’amenuise. C’est Jean-Pierre, qui est au volant de sa Laguna, il rentre chez lui après une dure semaine. Précisément il revient de Besançon où il a passé deux jours sur une machine récalcitrante. Cela fait maintenant des heures qu’il roule. Il est 18h45 et la nuit tombe en cette fin de mois de novembre. Toujours ce fichu crachin qui le poursuit. Jean-Pierre est fatigué, il cligne beaucoup des yeux, il n’y voit pas grand-chose au travers de cette fine pluie qui reflète la lumière sur le goudron. Les phares des rares voitures venant en face l’éblouissent de plus en plus. Il devrait s'arrêter et se reposer un peu mais, “je suis presque arrivé” ce dit-il. Une grande ligne droite se profile, il roule sans doute un peu vite. L’espace d’un instant ses yeux se vident, un grand bruit le ramène à la réalité, il vient d’avoir un accident. Dans cet instant d’absence il a percuté la voiture devant lui sortit d’on se sait où, il ne l’avait même pas vu. Pas de doute, il s'est endormi au volant une fraction de seconde. La voiture en question a fait une embardée, zigzaguant sur la route pendant une dizaine de mètres avant de plonger dans le ravin en passant entre deux arbres. Pourtant maintenant en hyper-éveil et après avoir ralenti un instant, pris de panique il réaccélère et reprend sa route.Jean-Pierre est technicien après-vente dans une entreprise de robotique médicale, il assure le SAV de la région Franche Comté. C’est plutôt un homme normal, sans histoire, il est marié et père de 3 enfants. L’aîné a fait sa vie à Montréal, le cadet vient de terminer ses études et d’être embauché dans une entreprise de conseil, la benjamine, Alexia, qui n’a que 18 ans, est encore au lycée et vit avec ses parents à Lons le Saunier. Un homme banal somme toute comme il en existe des milliers.Cette semaine a été éprouvante, il a roulé presque 1500 km. Ces deux derniers jours, il les a passés sur une machine présentant une panne électronique aléatoire. Il lui a fallu presque une journée pour reproduire la panne et en identifier l’origine. Il n’a pu réparer que le lendemain matin quand il a reçu la carte par DHL. Le reste de la journée s’est passée d’essais en tests. Mais, ouf il s’en est sorti, il ne repartit du laboratoire qu’au milieu de l’après midi.C’est vers 19h30 qu’il arrive chez lui, non sans tourner dans sa tête la vision de cette voiture partie dans le ravin. Il se dit que quelqu’un serait bien passé par là et aurait vu les traces de l’accident. Sortant de la voiture avant de rentrer dans le garage, il va observer son pare-choc avant, il est un peu marqué mais rien d’important. Au passage il remarque que la voiture de Magalie sa femme n’est pas là. Elle a dû aller faire du shopping en ville, à cette heure elle ne devrait pas tarder à être de retour. La maison est vide. Nadège leur fille n’est pas là, probablement partie avec sa mère. Jean-Pierre ne s’en inquiète pas plus. Épuisé, après avoir attrapé une bière dans le réfrigérateur, il s’allonge sur le canapé. Il s’y endort en quelques secondes sans boire sa bière.Il ne reprend qu’une conscience toute relative quand, ouvrant les yeux, il se retrouve dans un étrange lieu. Il est bien sur son canapé mais en se relevant, autour de lui ce n’est que rocailles. Il se trouve au beau milieu d’un reg, enveloppé dans une atmosphère feutrée à l’horizon violacé. Au loin, il aperçoit une sorte de soleil émettant une lueur mauve qui se reflète sur une planète bien plus grande, à proximité, une lune sans doute. Des fumerolles rosées sortent du sol en formant des volutes changeantes. Il est complètement désorienté, il a complètement perdu la notion de la réalité et du temps. Il essaie pourtant de retrouver ses esprits mais, même sa mémoire fait défaut. Il ignore ce qu’il fait là. Il écarquille et se frotte les yeux, il se tapote les joues comme pour se réveiller d’un mauvais rêve. Rien à faire, cette vision cauchemardesque reste bien présente. Alors qu’il se met debout sur le canapé pour mieux observer le lointain, un chuintement attire son attention. C’est alors qu’il aperçoit non loin un être étrange, une sorte de troll humanoïde assez hideux, planté là à l’observer avec ses gros yeux globuleux.
- Hep vous là-bas ! Lui lance-t-il à plusieurs reprises.
L’autre ne répond pas et continue à l’épier. Jean-Pierre tente alors de se lever du canapé pour s’en approcher lorsqu’il observe que le sol est recouvert de bestioles mi-cafard, mi-lézard qui grouillent dans tous les sens, se grimpant les uns sur les autres. Il essaie de les chasser du pied, elles disparaissent l’espace d’un instant pour réapparaître aussitôt. Il se décide finalement à poser un pied par terre et s'aperçoit qu’au moment de poser le pied sur le sol, les bestioles disparaissent à l’endroit même où il pose le pied et réapparaissent aussitôt le pied relevé pour reprendre leur course multidirectionnelle. Étrange phénomène. Pas à pas il approche du troll mais, là encore un étrange manège se manifeste. Arrivé à quelques mètres du gnome, celui-ci disparaît dans un éclat de lumière pour réapparaître un peu plus loin. Il poursuit son chemin en direction du fuyant personnage mais à chaque fois, à quelques mètres de lui, la scène se reproduit. Impossible de l’approcher, impossible d’entrer en communication avec ce nabot qui ne doit pas mesurer plus d’un mètre vingt avec sa tête telle une pastèque et ses deux bras démesurés touchant quasiment le sol avec ces longs doigts noueux. Il n’est pas vraiment effrayant mais il n’est pas non plus attirant. Il ne montre heureusement aucun signe d’agressivité, il semble plutôt calme et pacifique. Lassé de courir après cet insaisissable, Jean-Pierre pense retourner à son canapé mais celui-ci a disparu. Encore un mystère. Il n’est pas au bout de ses surprises quand tout a coup il se trouve plongé dans une profonde obscurité. Levant les yeux vers le ciel, il se rend compte que ce qu’il prenait pour un soleil a disparu. Non finalement elle est toujours là, c’est une sorte d’éclipse, l’autre planète, une lune (?) est passée devant l’espace d’un moment pour poursuivre sa route et laisser réapparaître cette lueur violacée. Jean-Pierre est complètement hagard, hébété, il s’assoit sur le sol, la tête entre les mains, cherchant désespérément à comprendre la situation et reprendre le contrôle des événements. Après un moment long ou court, il ne le sait pas car il n’a toujours pas la notion du temps, il se relève et décide de prendre la direction de ce soleil qui fuit vers l’horizon. Pourquoi cette direction ? Il n’en sait rien, c’est comme une force qui le pousse dans cette direction. Le voici qui marche dans ce désert de rocailles où nulle vie ne semble avoir pris place. En se retournant il constate que le troll est son compagnon de voyage, il le suit là à bonne distance, mais dès que Jean-Pierre s'arrête le gnome fait de même. Il tente de faire demi-tour pour s’en approcher, le voilà qui disparaît un instant dans un éclair de lumière. Dans cette platitude à l’horizon infini, il aperçoit soudain, dans le ciel au loin, ce qu'il pense être un vol d’oiseau ou plutôt d’étranges volatiles tourbillonnant en une succession de circonvolutions. En fait d’oiseaux ils sont plus proches de ptérodactyles que d’oiseaux à plumes. Il poursuit sa route sans chercher à comprendre davantage. Une éclipse se produit de nouveau quand il voit au loin une troupe de kobolds se déplacer mollement, errant vers on ne sait quelle triste destinée dans ce no man’s land sans fin. On dirait des clones du Gollum qui le suit toujours à bonne distance. C’est ainsi qu’il a surnommé ce troll suiveur. Il ne sait pas combien de temps il a marché lorsqu’il distingue au loin une lumière scintillante. Cette lumière l’appelle, cela ne fait aucun doute il accélère le pas. Plus il approche, plus la lumière se fait vive au point qu’elle éclaire ses alentours. Ainsi Jean-Pierre distingue une sorte de menhir sorti de nul part au beau milieu de la pierraille. Il s’en approche furtivement lorsque arrivé à quelques centimètres il se trouve comme aspiré, projeté sur l’amas de roche qu’il traverse sans choc ni résistance tel un passe muraille.Dans le même espace temps d’une autre réalité, un joggeur matinal courant le long du sentier longeant la route aperçoit le véhicule accidenté en contrebas. Une femme est au volant, elle ne répond pas à ses appels et ne donne aucun signe de vie, elle ne respire plus, d’ailleurs son poul est imperceptible. Plus loin, vers la route en amont un corps inerte est allongé là. Egalement une femme, a priori morte également. Troublé par cette macabre découverte, il pense aussitôt à appeler la gendarmerie. Il ne faut que quelques minutes pour que les gendarmes arrivent sur place suivis par les pompiers à grand renfort de sirène. D’après les premières constatations, les gendarmes avancent l’hypothèse d’une perte de contrôle du véhicule par la conductrice, la chute du véhicule dans le précipice en est la conséquence. la passagère a réussi à s’extraire du véhicule afin de regagner la route à la recherche de secours. Mais, elle a sombré avant et n’a pas pu parvenir en haut. L’une et l’autre auraient peut-être pu être sauvées, fallait-il encore qu’on leur porta secours à temps.Dans l’autre dimension Jean-Pierre se trouve maintenant dans une vaste alcove face à un chemin scintillant que la même force le pousse à suivre. Gollum a disparu, mais un cerbère hideux, aussi peu engageant, lui désigne la direction. Instinctivement il suit le chemin, il est maintenant seul. Il a la sensation de monter puis de descendre, d’aller à gauche puis à droite, de se trouver dans une sorte de dédale sans fin. Pourtant il finit par déboucher sous une immense voûte dont le dôme prolonge les scintillements du chemin, tel un ciel parcouru par une multitude d’étoiles. Après quelques pas de plus, une force irrésistible fait pression sur ses épaules comme pour l’amener à s’agenouiller, il ne peut pas résister et ploie les genoux en même temps que sa tête plonge vers le bas comme pour l’empêcher de voir ce qu’il se passe devant. Il ne voit pas ce qui se passe devant mais il perçoit bien un grondement qui fait vibrer toute l’atmosphère. La force surnaturelle qui l’avait contraint relâche sa pression, relevant la tête il écarquille les yeux devant une apparition surprenante. Là devant lui une forme humanoïde, sorte d’ectoplasme informe sans cesse mouvant trône devant lui. La forme d’un bras semble sortir de ce foisonnement, au bout de ce qui semble être une main, jaillit un doigt qui pointe un rai lumineux. Un large cercle noir se dessine dans le néant laissant s’échapper une fumerolle tournoyante comme un vortex qui emporte Jean-Pierre tel un vulgaire fétu de paille. Dans une demi conscience, il se voit survolant une route qui apparaît bien réelle. Oui il reconnaît cette route, c’est celle qu’il a prise pour rentrer chez lui l’autre jour, la mémoire lui revient. La voiture roule à toute allure sous la pluie, il voit tout à coup la voiture venue de nulle part, il entend un bruit effroyable et perçoit le choc, il voit la voiture faire un embardée et plonger dans le vide. Il est lui-même projeté dans le précipice et survole la voiture dont le capot laisse échapper un jet de vapeur, il aperçoit une personne, inconsciente, la tête enfouie dans l’enveloppe de l’airbag, appuyée sur le volant. De l’autre côté, la porte passager est ouverte. Il aperçoit alors à quelques mètres un corps allongé sur le sol. il s'aperçoit avec effroi qu’il s’agit de sa fille Alexia. Mais, si c’est Alexia qui est ici, c’est donc sa femme qui est là bas affalée sur le volant. Il doit se rendre à l’insoutenable réalité. C’est la voiture de sa femme qu’il a percutée et projetée dans le vide avant de s’enfuir. Il prend en un instant conscience de l’horreur de la situation mais n’a pas le temps de s’apitoyer. Il se sent brutalement aspiré par une turbulence venue de nulle part. Le voici qui fait de nouveau face cette sorte d’hologramme instable. Sans entendre un mot, une voix intérieure lui demande:
- Tu comprends maintenant pourquoi tu es là ?
Sans attendre de réponse la voix poursuit:
- Je t’offre l’occasion de racheter la vie de ta femme et de ta fille, veux-tu saisir cette chance ?
Aucun mot ne sort de sa bouche en réponse, pourtant il entend sa voix intérieure supplier de leur laisser la vie sauve.
- Soit, reprend la voix dans ce dialogue télépathique, mais cela à un prix, en l’échange de leur vie, à l’instant même où elles auront la vie sauve, tu prendras la forme d’un gnome et tu devras errer ici pour l’éternité.
Sans prendre le temps d’y réfléchir sa voix intérieure acquiesce.
- Qu’il en soit donc ainsi, répondit la forme en redessinant ……. dans laquelle Jean-Pierre se trouve de nouveau aspiré pour suivre le même parcours que précédemment.
La scène se reproduit à l’identique dans une réalité tangible mais, différente. Devant lui se dessine un reflet sorte de miroir qu’il traverse en un éclat de lumière. Il reprend conscience au volant d’une voiture, sa voiture, il reprend contact avec le monde réel semble t-il. Comme dans le songe précédent et la réalité qu’il a vécue, il roule à vive allure sous le crachin. Il revit une fois encore la scène de l’accident. Cette fois, cependant, il modifie le cours des choses. Stoppant net sa voiture il en sort précipitamment et instinctivement il se dirige vers le précipice qu’il dévale à grandes enjambées, emporté par son poids. C’est bien sa femme et sa fille qui sont là inconscientes mais apparemment vivantes. Il saisit alors son téléphone pour composer le 17. Il expliqua brièvement et sans panique la situation. Une longue attente s’écoula avant que les sirènes de la gendarmerie résonnent dans la nuit et qu’il voit arriver une première voiture de la gendarmerie suivie par le véhicule d’intervention des pompiers. Il n’eut pas le temps d’en faire plus, avant de se retrouver à errer avec semble t-il la troupe de nabots qu’il avait précédemment croisée. Tel sera maintenant son destin.
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