Psaume : Chant de la Harpe III
1 heure 30 minutes plus tard après la Cérémonie.
Un oiseau d'un blanc, volant au-dessus d'Urimel. Il survole les quartiers et les résidences sous un soleil projetant une lumière éblouissante, chaleureuse d'un matin frais. Le brouillard se dissipe petit à petit, volant au-dessus des toits, frôlant les passants, et montant de plus en plus haut jusqu'à atteindre la grande cathédrale de la ville. Les vitraux magnifiques reflètent l'ombre de l'oiseau. Le vent doux et frais frotte délicatement ses duvets soyeuses.
La caméra bascule brutalement vers le bas, tout en suivant la descente à toute allure de l'oiseau, jusqu'à être ébloui par un second rayon de soleil. Un flash lumineux enveloppe la vision.
Et puis. L'oiseau plane au dessus une nouvelle zone, regardant en dessous, il aperçoit un individu, immobile, debout devant des tombes, des milliers de tombes sur un vaste champ de silence. À l'entrée, un panneau indique :
« Cimetière des Étoiles ».
Un homme est là, seul, un silence des plus lourds règne dans ce champ vide. Alban est dans ses pensées, regardant fixement les pierres tombales de ses anciens frères d'armes tomber au combat.
Ses yeux ne trahissent rien, une seule émotion le submerge depuis ces années de perte et d'une incompétence qu'il ressent au fond de son esprit. Il se demandait s'il ne devait pas...
— Je te dérange pas ?
Alban tourne la tête lentement à sa droite. Il aperçoit à ses côtés Dame Jharne. Une femme grande et charismatique, ses cheveux dorés, longs, soyeux, et ses yeux percent d'un gris argenté. Son visage est d'une douceur, qui renferme une férocité bien enfouie que Alban connaît bien.
Portant sa tenue de Sanctificatrice, et une cape gris bleuté sombre sur ses épaules. Elle fixe Alban dans ses pensées les plus tourmentées. Alban rétorque dans un calme soutenu, sa tête légèrement baissée.
— Je prie pour ceux qui le méritent, murmure-t-il, son visage impassible, mordant sa mâchoire.
Jharne lâche un léger soufflement du nez. Ses yeux se tournent sur les pierres tombales.
— La foi dans ce monde est incarnée dans la matière et la chair. Nous, nous battons avec et nous mourons avec. Aucune échappatoire n'est possible tant que ces choses existent. Être connecté au lai depuis son apparition au milieu de cet océan vaste. « Ce qui est là, ce qui vient, ce qui reste » nous a laissé un héritage à tous, nous les hommes, pour combattre jusqu'à la fin. Sans lui nous serions condamnés à une tragédie impossible à esquiver, dit-elle.
Elle tourne la tête doucement, regardant Alban.
— Il ne s'agit pas d'une foi abstraite, ni d'une adhésion morale comme certains hérétiques le prétendent. Nous, le simple fait de croire, change le cours des choses, modifie le réel, ce que nos anciens n'ont pas pu faire. Cela sculpte nos armes, transforme les corps, voilà ce qu'il nous a donné au fil des décennies, murmure Jharne, posant sa main sur l'épaule d'Alban.
— Tu n'es pas seul... Mmmh ? dit-elle, faisant une inclinaison de sa tête sur le côté droit pour exprimer un soutien fort entre eux.
Un sourire léger retentit de la bouche d'Alban. Posant sa main gauche sur son épaule droite, où la main de Jharne est posée. L'abaissant petit à petit, il pose un genou à terre, continuant de regarder les pierres tombales.
— Je le sens que je vais bientôt les rejoindre... murmure Alban, regardant sa main droite tremblante, abîmée par les nombreux affrontements.
— Combien de fois as-tu utilisé ton Hexapsyche ? demande-t-elle, le regard devenant plus ferme.
— Je ne compte plus depuis. À vrai dire, je n'ai jamais compté... s'exclame Alban.
Jharne sort légèrement un petit paquet de cigarettes de sa poche gauche. Elle rétorque d'un ton lyrique :
— Nous te comprenons. Mais ce n'est pas le moment de capituler, essentiellement en ce moment avec la hausse d'apparition de ces fumiers, ajoute-t-elle, tirant une bouffée de fumée.
Alban pose sa main droite sur l'une des pierres tombales, la caressant tendrement, jusqu'à la retirer, ressentant la matière de la pierre fraîche. Il se redresse lentement, debout, fixant droit devant lui.
— Je n'ai pas pu les protéger... Je n'ai pas su faire les choses correctement pour eux... Si j'avais su... murmure Alban, la voix tremblante, sa mâchoire serrée par une profonde amertume.
Sa respiration devient de plus en plus entrecoupée. Il ressent une douleur forte dans sa poitrine, mettant sa main dessus, espérant récupérer une respiration plus saine. Un léger sourire en coin des lèvres de Jharne.
— Ça me rassure que tu as encore des sentiments. Même si celle-ci te ronge. Je préfère savoir que mon frère d'armes soit encore parmi nous, plutôt que d'être une coquille vide. Un corps sans âme... murmure Jharne.
— En tout cas pas dans l'immédiat, contrairement à eux... dit-elle, ses yeux devenant plus lumineux de tendresse.
Ses poings se serrent, ses veines ressortent. Il ressent un dégoût amer qui remonte jusqu'à sa gorge sèche. Des ballonnements lui altèrent l'estomac. Jharne remarque le visage d'Alban, pourtant monotone. Mais elle le sait. Sa détermination à envisager d'en finir avec tout ça, est plus que prioritaire. C'est sa foi. Une foi si intense, qui explique pourquoi il est encore ici aujourd'hui.
Et puis... des larmes coulent. Pas les siennes. Mais celles d'Alban, qui roulent sur ses joues. Le vent fait bouger leurs chevelures dans une dense synchronisation. Le son de l'herbe et des arbres crée un climat étrange. La pancarte bouge et tape à plusieurs reprises sur les piliers en pierre. Alban pose sa main droite sur son collier, priant une dernière fois.
Jharne garde la tête haute. Priant dans un silence solennel.
Pendant de longues minutes, ils prient, chaque minute pour chaque personne tombée. Après un certain temps, Alban se baisse une seconde fois, mettant les deux genoux à terre. Puis pose ses mains abîmées sur ses cuisses. La tête à demi baissée, le dos courbé par la fatigue.
Les lèvres tremblantes, il prononce ces mots :
— Je vous le promets en mon nom ! Mes frères et sœurs, que je continuerai à me battre jusqu'à la fin ! Que ma foi est inébranlable ! Que les choses changeront, et que je purifierai les Hexapeterys jusqu'à mon dernier souffle. Même si ma foi doit périr. Je le ferai ! Même si je n'ai plus de membres. Je le ferai ! déclare-t-il haussant la voix.
— Vous êtes ma famille ! Je vous aime... murmure Alban, levant légèrement le regard. Il dira ses derniers mots, comme une dernière missive accompagnée de Jharne, qui l'accompagnera.
— Pour ce qui est là, ce qui vient, ce qui reste... prononcent les deux amis, à leurs confréries.
Alban se redresse. Debout, le regard vers le séjour éternel. La brume s'éloigne. Un petit silence s'installe, avant qu'Alban poursuit :
— Le salut collectif justifie-t-il la damnation individuelle ? demande Alban, son regard plus profond.
Un silence règne entre les deux. Seul le vent souffle inopinément. Engendrant une scène pesante. Les arbres bougent de plus en plus. Le souffle des feuilles retentissait sans fin. Le frottement sourd de la cape de Jharne, semblait rythmer avec le souffle coulant à jamais .
Jharne, immuable, les bras croisés. jetant un regard sur Alban.
— « Le religieux devient dangereux quand il prétend parler à la place du Verbe. » Tu le sais aussi bien que moi... décrète-t-elle, son visage sérieux.
Jharne se tourne complètement, posant sa main froide sur le visage d'Alban, le regardant droit dans le miroir de l'âme.
— Ce n'est pas le moment de t'égarer. Ne deviens pas comme ces hérétiques... Surtout pas eux... Nous avons l'obligation d'être à la hauteur de leurs espérances, continue-t-elle de décréter, ses yeux remplis d'une détermination sans limite.
Seul le souffle du vent dans les feuillages, giflés sans relâche, emplissait l'air d'une tension lourde, mais paradoxalement apaisante. Les hautes herbes, les arbres bougent au rythme de leurs battements de cœur.
Alban posa sa main gauche sur celle de Jharne, toujours appuyée contre sa joue. Leurs paupières se fermèrent en même temps, comme un accord silencieux. Ils se touchaient front contre front, immobiles, suspendus dans un instant d'une douceur fragile.
Après quelques minutes, Alban recula d'un pas. Lentement, presque à regret. Il laissa glisser sa main hors de celle de Jharne, rompant le silence qui les enveloppait, ou tout deux sentais un lien fort les unir.
Il murmure ses mots, la regardant droit dans les yeux, avec une détermination inébranlable :
— JE TE LE PROMETS ! décrète Alban, une main ferme posée sur le torse.
Jharne pose à son tour une main ferme sur son torse. Son regard flamboyant :
— QUE L'EMPIRE COMMANDE, ET QUE L'ÉTERNITÉ CONDAMNE ! dit-elle fermement.
Capitale Impériale L'Hémarche.
La caméra bascule dans un immense palais impérial, à l'architecture ancienne. Sa structure est aussi sacrée que son histoire. Des statues somptueuses, comme si elles avaient été sculptées par des anges. Les vitraux sont d'une transparence céleste.
Les immenses escaliers créent un séparatisme clair : ce lieu n'est pas n'importe lequel. Le temps est saccadé par des nuages grisâtres, et la pluie commence à tomber, touchant progressivement les soldats impériaux de l'Empire, qui protègent à plus de 2 kilomètres des environs.
Des colonnes de pierre aussi grandes que des arbres, et recouvertes par des fleurs d'un rose sang. Les murs blancs éblouissent les habitants qui admirent chaque jour le palais. L'entrée est un immense corridor doré, signé par les architectes de l'Empire Cerpestien.
Ici, le temps s'arrête, car « Ce qui est là, ce qui vient, ce qui reste » en a décidé ainsi !
Derrière les champs infinis de portes, une chambre majestueuse s'ouvre devant nous. Bois brut et pierre blanche s'y mêlent, dans un contraste saisissant. Les murs, fleuris et silencieux, sont gardés par de vieux portraits d'hommes et de femmes en habits impériaux.
Elle est là, une jeune femme de porcelaine, assise dans un fauteuil de velours, ses doigts pâles serrant un livre. Devant elle, la pluie caresse la baie vitrée, laissant tomber sur les carreaux un murmure régulier, presque berceur.
Dans son dos, des pas. Lents d'abord, puis plus affirmés. La porte s'ouvre avec fracas. Une présence entre. Le grincement sourd du bois heurte le silence, comme une lame fendant le calme.
Un homme est là, de grande taille, en tenue majestueuse, orné d'un long manteau, avec des motifs dorés. Des cheveux longs, blancs, et des yeux bleus magnifiques reflétant son charisme. Ses mains sont recouvertes de bagues de pierres, tout aussi précieuses que la vie elle-même.
Il ouvre la voix, marchant tout droit en direction de la jeune femme.
— PHIA ! Nous avons des choses à nous dire... Maintenant ! beugle l'homme, sa voix grave émet un écho dans la chambre.
Continuant sa course, jusqu'à arriver à côté de Phia, il pose brutalement un dossier sur la petite table face à elle. Le son résonne comme un coup de marteau sur une enclume.
— Tu m'expliques ce que t'es en train de faire ?! Ou tu veux que j'aille tout de suite à l'essentiel ? impose-t-il, son regard menaçant tourné vers elle.
Dans un très court instant, un silence s'installe dans la chambre. Phia tourne légèrement une page de son bouquin dans sa main droite. Ignorant l'agressivité.
Elle répond d'une neutralité sans nom :
— Je t'écoute, dit-elle, dans un calme parfaitement maîtrisé.
L'homme à ses côtés serre les poings, jusqu'à froisser le tissu du dossier. Ses veines saillent, sa mâchoire se crispe. Une vague d'émotion monte en lui, pulsant dans ses entrailles comme un orage prêt à éclater.
Mais en un instant, cette colère naissante s'apaise, étouffée avant de déborder.
— Pourquoi demandes-tu une chose pareille ? Proposer l'utilisation des Hexapsyches pour tous nos Sanctificateurs de l'Empire ? murmure-t-il.
Ses mains s'agitent, porteuses de l'incompréhension face au choix de Phia.
— Qu'est-ce que tu cherches ? À tous nous condamner ?! Tu n'as plus la foi, c'est ça ?! Tu es devenue une de ces sales hérét... hausse-t-il, agitant ses bras.
Il se fait couper subitement.
— Je suppose que c'est cette Sang Noir qui t'en a parlé ? demande-t-elle.
L'homme serre les dents, les yeux écarquillés de nervosité.
— Ne prends pas ce ton hautain avec moi, petite sœur ! Elle est une Borgiaen ! Et tout aussi adorable et douce que Mère, répond-il, d'un visage ferme, regardant de haut.
Un soufflement de nez léger retentit de Phia, qui tourne une nouvelle page. Ignorant le comportement impulsif de son frère.
— Tu comptes toujours te marier avec elle ? murmure-t-elle.
— C'est toujours prévu. Les documents ont été remis à Le Chrême de Géhenne. Tous ont donné leur accord. Il ne reste plus que toi..., souffle-t-il, en extirpant lentement un dossier épais de son manteau.
Il pose celui-ci face à Phia sur la petite table, accompagné d'un stylo blanc doré, avec des motifs célestes dessus.
Il continue, baissant les yeux :
— Petite sœur... je t'en prie, accepte mon bonheur. Même si tu choisis de sacrifier la foi, permets moi de croire à un bonheur éternel auprès de celle que j'aime... murmure-t-il, les mains serrées derrière le dos.
Un silence des plus pesants règne dans la grande chambre. Les secondes s'étirent, lentes et cruelles ressemblent à des heures interminables dans l'esprit de son frère. Ses mains tremblent. Il attend une réponse de sa petite sœur, étrangement silencieuse.
Il reprend, avalant difficilement sa salive.
— Je m'excu... murmure-t-il avant de se faire interrompre.
— Quand j'étais enfant, j'ai surpris Père dans la salle de réunion. Il parlait à voix basse avec un ami... d'un passage du Livre Sacré, murmure-t-elle, refermant doucement son livre entre ses doigts pâles.
— Dans le Livre, un passage parlait de l'avènement de 4 individus qui basculeraient le monde à l'inévitable. Au sacrement de notre propre fin, continue-t-elle, les jambes croisées, mains posées sur son genou.
— Ces individus seraient 4 figures humaines, d'anciennes croyances brisées il y a bien longtemps. Incarnant les 4 maux inversés du Verbe, dit-elle, fixant la baie vitrée.
La pluie tombe en cordes, le vent souffle comme si quelque chose cherchait à faire plus de bruit que les paroles. Son frère, immobile, la sueur perlant sur son front, continue la voix presque tremblante :
— Et...qu'est-ce qu'ils cherchent, ces individus au juste ? murmure-t-il.
Phia reprend, regardant son frère dans les yeux.
— Ils ne veulent pas détruire... mais révéler l'échec de « Ce qui est là, ce qui vient, ce qui reste » et des hommes. Ils sont appelés dans la prophétie : Les 4 Cavaliers du Blasphème..., annonce-t-elle, un choc brutal sur le visage de son frère, bouche bée.
— Une loi est venue, interdisant de parler et de dire les noms de ces individus... Alors les 8 Dynasties, et le Grand Pontarque, avons tous été mis d'accord pour les appeler : « Ceux qui n'avaient plus de Maître ». Ils n'ont aucun ralliement à l'Empire. Ni au Grand Pontarque. Ni aux Hexapeterys. Ils incarnent le refus absolu de tout dogme, de toute hiérarchie.
Elle continue les révélations, ajoutant dans une atmosphère des plus lourdes :
— Ils marchent comme des spectres du vide, mais parlent comme de vrais prophètes. Leur venue marque la fin d'un cycle, et le renouvellement d'un autre, annonce-t-elle.
Son frère fais un pas en arrière, comme s'il voulait échapper à la vérité. Mais elle est déjà en lui, cette révélation brutale est déjà enfoui dans on esprit. Il tremble de peur. Et malgré la raideur glacée de sa voix, il se prononce :
— Pou... Pourquoi tu me révèles ça, petite sœur ?! Je n'ai... je n'ai pas la permission ! bafouille-t-il, ses yeux écarquillés.
Phia se lève petit à petit, avançant face à son frère. Elle rétorque avec une grande neutralité :
— Maintenant, suis-je toujours une hérétique ? murmure-t-elle, le regard perçant.
Son frère recule jusqu'à être bloqué par la table de chevet. Une main posée dessus. Pris d'une panique intense. Il regarde sa sœur, dont le visage renferme une étrange sensation.
— No... Non... J'en suis... désolé, petite sœ... murmure-t-il, avant de se faire interrompre.
— Qui suis-je, Aldal ? demande-t-elle, le fixant.
Aldal s'agenouille, brisé par une peur qu'il ne contrôle plus. Sa tête se penche, instinctivement, comme pour fuir ce regard qui le transperce. Celui de sa sœur. Des gouttes tombent sur le sol, silencieuses, humiliantes. Ses jambes sont serrées, ses doigts tremblent contre le carrelage glacé qui projette son propre reflet.
Il répond dans une sorte d'agonie de douleurs persistantes dans son ventre :
— Prin... Princesse Phia... chuchote-t-il, sa voix saccadée, n'arrivant plus à cacher sa peur, qu'il ressent face à elle.
Elle le regarde de haut, les bras croisés.
— PARLE ! hausse-t-elle la voix.
Aldal, pris de peur, sursaute. Il rétorque, car il n'a pas le choix :
— Je... je m'excuse... je m'excuse de t'avoir jugée d'hérétique... Princesse Phia... bredouille Aldal, au bord du vomissement, posant une main sur sa bouche.
La pluie gifle les vitres, le vent hurle au loin. C'est tout ce qui reste dans l'air chargé de cette atmosphère lourde de silence. Pendant quelques secondes, aucun geste. Jusqu'à ce que le calme soit balayé par une respiration courte, nerveuse et haletante. Elle prend le dessus sur les éléments, impose une urgence humaine au rupture du silence de la nature.
Phia ordonne d'un ton ferme :
— Je vais signer ton contrat. Tu peux maintenant disposer. À moins que tu aies autre chose à dire ? murmure-t-elle.
Aldal se relève avec difficulté, inclinant légèrement la tête en signe de remerciement. Sans un mot, la mâchoire contractée, il se dirige vers la sortie. Il franchit la grande porte restée entrouverte... et quitte la chambre.
À la sortie, il passe à côté d'une femme dos au mur. Il ne lui prête pas attention et trace son chemin en marchant plus vite. Une femme est là, voyant Aldal comme s'il fuyait. Elle tourne le regard et aperçoit Phia, immobile, dos à elle, regardant l'extérieur.
À peine fait-elle un pas qu'une voix grave, mais étonnamment apaisante, surgit derrière elle. Un homme se tient là, grand, drapé dans une immense cape blanche bordée d'or, recouvrant presque entièrement ses vêtements. Des motifs gravés, dans une langue inconnue, serpentent sur le tissu comme une prière sourde.
Ses yeux d'or irradient une clarté presque angélique, reflet pur de son âme. Il est là, juste à ses côtés, ses longs cheveux dorés encadrent un visage plus majestueux encore que celui d'un ange. Il pose une main sur son épaule. Elle s'arrête, figée par sa présence.
Elle tourne la tête subitement.
— Verbiel ? Qu'est-ce que tu fais là ? murmure-t-elle, surprise de le voir ici.
Il répond dans une douceur et une gentillesse infinie :
— Je ne crois pas que notre chère sœur soit apte à répondre à tes demandes. Le Conseil du Verbe se déroule dans moins de 12 heures. Tu iras discuter avec elle après tout cela, Anastasia. chuchote Verbiel.
Elle baisse les yeux, acceptant avec une tristesse légère. Ils partent ainsi, suivant Verbiel. Elle regarde Phia une dernière fois, voyant la lumière absorbée par les nuages gris.
De l'autre côté de la côte impériale L'Hémarche.
Dans un hôtel luxueux, au centre-ville, proche de la grande cathédrale du territoire de l'Empire. Un homme est debout, regardant l'extérieur du haut du plus grand hôtel. Face à la baie vitrée, il regarde les nuages devenant de plus en plus sombres. Il est au téléphone. Ses cheveux blancs plaqués en arrière. Dans une chambre immense, des piliers aux extrémités de la pièce.
Une grande table basse en plein milieu, accompagnée de canapés en cuir doux. Hakar Ark El Vaar est là, seul au beau milieu de cette chambre onirique. Sa voix se fait ressentir dans toute la pièce. Téléphone en main, ses yeux rivés sur un futur proche qu'il redoute.
Une voix retentit à travers le téléphone :
— Je compte sur vous, Gardien du Verbe. murmure l'homme au bout du fil.
— Entendu. répond-il fermement.
Il raccroche le téléphone. Une voix, de l'autre côté de la porte, surgit. Un serviteur en costard bleu nuit de l'hôtel toque une fois à la porte. Derrière lui, une silhouette statique.
— Excusez moi, Gardien du Verbe, un Lustral du nom de Noam Caleb demande à vous voir.
Hakar se retourne, marchant en direction du large canapé. Prenant en main un journal.
— Sa demande est acceptée. Vous pouvez le faire entrer. ordonne t-il.
Le serviteur recule, inclinant la tête à côté de Caleb, qui passe devant lui. Les portes s'ouvrent. Il entre ainsi dans la chambre somptueuse.
— Par les Dynasties... Qu'est-ce que c'est magnifique ! murmure Caleb, regardant autour de lui.
Surpris par l'architecture, mais aussi par la beauté des fleurs roses. Hakar regarde Caleb, s'approche de lui :
— Ce sont des fleurs Cistus Incanus. Elles signifient : Beauté et Humilité dans l'essence des hommes, dit-il.
Les deux hommes se serrent la main mutuellement.
— C'est pour moi un honneur immense. Rencontrer votre grandeur dans cette capitale impériale, cœur de la glorieuse lignée Cerpestienne, me remplit d'exaltation.
Il incline légèrement la tête.
— Tout à l'heure, votre discours était magistral ! Motivant ! dit-il.
— Non... DIVIN !!! hurle Caleb, le doigt tendu comme s'il venait de voir un ange descendre parmi eux.
Un rire grave sort de la bouche de Hakar, pris d'un amusement avec Caleb.
— Allons, asseyons nous. Je suis sûr que vous avez un tas de choses à me dire !
flatte Hakar, tendant la main en direction du large canapé. Les deux hommes s'assoient face à face, une large table basse les sépare.
— Voulez-vous quelque chose à boire ? demande-t-il, le regard rivé sur lui.
Caleb fait un geste de refus soigneusement orchestré.
— J'en suis navré, Gardien. J'ai un peu surestimé mon estomac. ricane Caleb, baissant la tête.
— Ce n'est rien. Je comprends tout à fait ! La gastronomie est addictive dans cette région. dit-il, un regard compatissant.
Un silence assourdissant prend place. Caleb décide de lancer les hostilités en posant 4 dossiers sur la table, les pointant devant Hakar.
— Je regrette de devoir parler ainsi en votre présence, mais il le faut. Jamais la guerre ne s'est approchée d'aussi près, dit Caleb, son regard clair planté dans celui de Hakar.
— Voici les fiches de quatre Sanctificateurs... devenus Saints. Des êtres d'exception. Tous liés à une Hexapsyche. Chacun d'eux maîtrise une spécialisation unique, annonce Caleb, son doigt s'arrêtant sur chaque dossier avec précision.
Hakar prend un des dossiers dans ses mains.
— D'Jeïhad Zerphie. À seulement 23 ans, cela fait déjà 6 ans qu'il porte le titre de Saint. Sa bonté est saluée dans toutes les provinces... et sa foi inébranlable, est citée en exemple. Il est le plus jeune à avoir été jugé digne d'une Hexapsyche : une lance celeste, qu'il manie comme s'il était né avec, s'exclame Caleb.
— Bien sûr, il est un talent très rare ! Connu pour ses exploits en mission face aux Hexapeterys. Purifiant ainsi une douzaine de ces entités ! Un cas d'école bien robuste et à l'écoute perpétuelle. Rajoute Caleb, d'un ton taquin.
Hakar fixe la photo de Jeïhad, curieux de ses compétences. Il prend un second dossier entre ses mains, reposant le premier.
— Voici Victor Ges Morotonie. Homme de 39 ans. Sanctificateur Saint depuis 9 ans. Un très grand atout dans les connaissances des armes. Il a prouvé sa valeur en créant des armes et accessoires militaires pour combattre les Hexapeterys. Surtout pour les Sanctificateurs qui ne possèdent pas d'Hexapsyche. Un homme de foi et de confiance ! Par ailleurs, il en manie une extraordinairement bien. Celle-ci est un pistolet à une main. Les balles sont imprégnées de Lai, ce qui est redoutable à distance. Dit Caleb, la joie sur son visage.
Hakar pose un doigt sur une information particulière dans le dossier de Victor.
— Ancien médecin de la Légion Impériale... murmure-t-il.
Caleb rétorque, enthousiaste, croisant les jambes, se mettant plus à l'aise :
— Cela vous intrigue ? murmure Caleb, le regardant d'un air excité.
Hakar pose le dossier sur la table, mettant son index sur ses lèvres.
— Qu'est-ce qui l'a poussé à sacrifier sa foi aussi subitement ? S'interroge-t-il, fixant Caleb.
— Sa fille a péri, il y a 10 ans, dans un sanctuaire de soins profané par des hérétiques. En s'attaquant aux familles des soldats impériaux, ils ont commis l'irréparable. Leur châtiment fut sans appel : l'Exécution. Pour avoir souillé le Tableau de Loi... et éteint la lumière de plusieurs élus, souffle Caleb, les yeux voilés, referment un chagrin.
Caleb continue :
—Le prochain, Alban Ward. 29 ans. Et 6 années de service en tant que Sanctificateur Saint. Ce matin, il a neutralisé un Hexapeterys qui s'en était pris à nos Lumières. Il a agi avec brio. Mais... ajoute-t-il dans un souffle, la mâchoire serrée... Malheureusement, trop tard.
— Son hésitation a coûté des vies. Le quartier des Verrières est en deuil. Ce qui à amené à des manifestation muscler entre nos lumières et les soldats de L'Empire.. murmure-t-il.
Un léger rictus sur le sourcil droit de Hakar.
Un petit silence s'installe... mais il est vite coupé par les paroles de Caleb :
— Il manie la glaive avec une grâce et une précision dignes des plus anciens maîtres. Son Hexapsyche, modeste par sa taille, est un prolongement parfait de son corps affûté. Agile, rapide, puissant... Voilà un protecteur de la foi universelle. Un exemple vivant de ce que signifie être Saint aujourd'hui !
— D'ailleurs... Relance Caleb, avant de se faire couper subitement par un bruit.
Un vibrement de téléphone retentit dans le manteau de Caleb. Il prend son téléphone, voyant le nom s'afficher : « Expéditeur inconnu ».Un plissement des yeux. Puis il coupe subitement l'appel, mettant son téléphone dans sa poche. Hakar prend le dernier dossier sur la table. Il le ramasse, regardant de plus près.
Ses yeux s'écarquillent, intrigués par ce qu'il voit.
— Une femme ? murmure-t-il, Hakar.
— Elle s'appelle Jharne Genhira. 31 ans. Sanctificatrice Sainte depuis 10 ans ! Elle est la plus expérimentée de tous. Étant une femme, elle a su se démarquer des autres grâce à sa férocité, mais aussi par son intelligence et sa grande capacité à motiver les nouvelles recrues. Une foi que j'ai rarement vue depuis ces années ! Elle a purifié plus d'une vingtaine de Hexapeterys ! Un exploit jamais atteint chez les Sanctificateurs ! s'écrie-t-il, de la joie dans le regard.
Hakar lève les yeux, regardant Caleb, d'un air désenchanté :
— Ce n'est pas une question de chiffres... Mais d'endurance spirituelle. De ceux qui sauront garder la foi vivante. Intacte. Mais, surtout jusqu'au bout de leurs éveilles. dit-il en posant le dossier avec délicatesse.
— Quelles sont vos attentes ? Si vous êtes venu me montrer ces dossiers, c'est que vous attendez quelque chose de ma part. ajoute Hakar, le regardant de haut.
Et tout d'un coup, le visage de Caleb change.
Prenant un ton beaucoup plus sérieux, posant une main sur la table :
— Je vous propose à ce que ces 4 Sanctificateurs Saints deviennent des Gardiens du Verbe ! éructe t-il, un léger sourire en coin des lèvres.

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