Le Feu dans les Nerfs

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Je ne me souviens plus exactement du moment où ça a commencé. Peut-être un frémissement. Peut-être rien. Juste un silence, comme un souffle retenu par l’univers, une pause minuscule dans la mécanique du monde.

Et puis — L’enfer.

Ça monte d’abord doucement, comme un frisson dans les os, une vibration dans la moelle. Quelque chose de mauvais, d’invisible, qui glisse sous la peau. Et tu sais. Tu sais que ça vient. Tu le sens avant même que ça n’explose. Le corps s’en souvient, même si la mémoire, elle, s’efface à chaque fois. Une réminiscence animale.

Et puis ça bascule.

La douleur ne frappe pas. Elle transperce. Comme si chaque nerf de mon corps devenait un fil barbelé chauffé à blanc. Comme si des aiguilles de glace et de feu venaient s’enfoncer dans mon crâne, dans mes tempes, dans ma colonne. Une à une. Lentes. Cruelles. Chaque millimètre devient un champ de mines. Chaque battement de cœur une détonation.

Mes mâchoires se contractent si violemment que mes dents craquent. Ma langue se plie, se coupe, se déchire contre mes molaires. Le goût métallique du sang explose sur mes papilles. J’aimerais hurler, supplier, griffer le sol. Mais je suis figée, tétanisée. Prisonnière de mon propre corps.

Et tout brûle.

Mon cerveau est un volcan. Un feu nucléaire. Les décharges électriques me traversent à une vitesse inhumaine, comme si mon propre système nerveux voulait m’arracher à moi-même. Il ne reste rien d’humain. Rien d’entier. Juste une carcasse convulsée, une masse tremblante de douleur et de peur.

Je sens mes muscles se contracter, se crisper à s’en rompre. Mes bras deviennent des masses de pierre, mes jambes claquent contre le sol. Chaque secousse est un coup de massue. Et j’entends. J’entends mes os vibrer. Mon dos cogne contre le sol avec une force absurde, brutale, primitive.

J’ai envie de mourir. Pas comme une pensée abstraite, non. Comme une supplication. Comme un cri qui monte des entrailles.

Je veux que ça s’arrête. Je veux qu’on m’arrache le cerveau. Je veux le néant. L’effacement. L’absence.

Je sens mes sphincters se relâcher, la honte se mêler à la douleur. Une humiliation absolue, crue, animale. Mon corps n’est plus qu’un sac de viande et de spasmes. Une enveloppe souillée par elle-même.

Et mon cœur… Il bat trop vite. Trop fort. Il cogne comme s’il voulait briser ma cage thoracique. Il hurle, lui aussi. Il veut fuir. Mais il est piégé. Comme moi. Comme tout.

Le temps devient une entité folle, distordue. Il n’existe plus. Chaque seconde est une éternité. Chaque instant un supplice. Je suis clouée dans un présent qui ne finit jamais.

Je veux mourir. Je veux que mon cerveau explose. Je veux qu’on me tue.

Je veux qu’on me tue. Mais personne ne vient. Il n’y a que moi. Moi, et ce corps devenu ennemi. Ce traître, ce tyran, ce bourreau. Je n’ai plus de nom. Plus d’histoire. Plus de visage.

Je suis douleur. Je suis cette chose qui hurle à l’intérieur sans pouvoir sortir. Je suis cette gorge qui se serre, ce souffle qui ne passe plus, cette poitrine qui se soulève en vain. L’air ne veut plus de moi. Mes poumons se rétractent, se crispent, refusent de coopérer. Mon souffle est haché, saccadé, brisé comme le reste.

Et pourtant, je vis encore. Et c’est ça, le pire. Je vis encore.

Un râle s’échappe de ma bouche, rauque, déformé. Il n’a rien d’humain. C’est l’ombre d’un cri, noyé dans le feu. Ma vision se trouble. Des flashs de lumière éclatent derrière mes paupières fermées. Chaque lueur est un coup de poignard dans mon crâne. Les couleurs deviennent des armes. Même l’obscurité me torture.

Mes oreilles sifflent. Ou non, ce n’est pas un sifflement. C’est un hurlement lointain. Peut-être le mien. Peut-être quelqu’un qui assiste à ma chute. Peut-être Dieu. Mais même Dieu détournerait les yeux de ça.

Un spasme plus violent me fend le torse. Je sens quelque chose claquer à l’intérieur. Une côte ? Un tendon ? Un cri ? Je ne sais pas. Je ne sais plus rien.

Je flotte. Mais pas comme on flotte sur une mer paisible. Non. Je flotte comme un corps abandonné dans un torrent en crue. Je suis emportée, ballotée, fracassée contre les rochers du réel. Je ne maitrise rien. Pas même mes larmes.

Elles coulent, libres. Comme si pleurer pouvait éteindre l’incendie.

Puis, soudain, le monde se désagrège. Le bruit se fait sourd. La lumière se dilue. Tout s’effondre.

Et le silence. Pas un vrai. Un silence hurlant. Un vide saturé. Le monde devient coton, puis pierre, puis… rien.

Je ne sais pas combien de temps je reste là, écrasée, aplatie par ce néant brûlant. Une minute ? Une heure ? Une vie ? Mon corps finit par s’immobiliser. Mais mon cœur tape encore, comme s’il n’avait pas compris que tout est fini.

Je reste étendue, pantin brisé dans une flaque de sueur, de salive, de honte. Mon corps est glacé, mes membres engourdis. J’ai envie de vomir. J’ai envie de hurler. J’ai envie de dormir mille ans.

Je ne suis plus qu’un souffle. Un souffle abîmé.

Et au loin, quelque part dans un coin de ma conscience, une seule pensée revient, insistante, cruelle :

— Et si ça recommençait ?

Je veux mourir. Pas parce que je suis faible. Mais parce que personne ne devrait survivre à ça.

Et pourtant… Je respire. Encore.

Je sens l'air passer, comme une lame rouillée sur une plaie vive. Il m'écorche de l'intérieur. Respirer, c'est encore souffrir. Le simple fait de vivre, c'est raviver les braises. Je ferme les yeux. Pas pour dormir, pas pour guérir. Juste pour disparaître quelques instants.

Mais la douleur ne veut pas que je disparaisse. Elle m'appelle. Elle me serre. Elle veut être mon seul nom.

Alors je reste là. Sans mots. Sans cris. Juste le cœur en lambeaux.

Et lentement, les tremblements s'estompent. Mon corps redevient une cage vide. Je n'ai plus la force de bouger. Pas même un doigt. Mes lèvres s'entrouvrent, un souffle s'en échappe.

— Aidez-moi.

Mais il n'y a personne. Juste le plafond. Juste la nuit. Et le souvenir de l'enfer encore gravé dans chaque cellule.

Je suis vivante. Mais à quel prix ?

C'était une crise d'épilepsie. La douleur la plus inhumaine que l'on puisse ressentir sans mourir. La douleur la plus cruelle.


C'était l'enfer, déchaîné, dans un seul corps humain.

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