Chapitre 6

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Moriko

 Je quittai enfin cette prison, nous allions confronter Daichi et j’angoissais à l’idée de découvrir son état. Dans le rouleau, Hoshiko nous prévenait d’une tentative d’assassinat à l’encontre de son père. Il avait été empoisonné à forte dose de cigüe et était tombé dans le coma pendant quelques jours. Le village avait donc renforcé la sécurité et la population était sur ses gardes. Un sentiment d’insécurité, de peur régnait.

 L’entrée de la prison était unique et pour rejoindre l’enceinte de la demeure, il était nécessaire de passer par la rue pour rejoindre l’entrée principale. Le bureau et les chambres étaient à l’étage ; on passait par le couloir qui donnait sur l’escalier puis il y avait plusieurs portes : une en face qui donnait sur le bureau et la première à gauche sur la chambre de Daichi. Les deux pièces étaient réunies par un balcon donnant sur le tilleul. Les voiles blancs servaient de fenêtre, l’intérieur et l’extérieur communiquait harmonieusement. La nuit était tombée. Quelques bougies éclairaient les murs en mélèze, un bois doré et résistant. Hoshiko toqua doucement à la porte pour annoncer notre venue. Elle clancha et dévoila la chambre sobre de Daichi : un grand lit entouré de deux tables de chevet où étaient posées deux chandeliers. A l’opposé de ce lit, une commode imposante et au sol un tapis en laine, ras blanc.

 Mikan s’installa contre le mur face au lit, dans l’ombre des bougies. Hoshiko s’assit aux côtés de son père, une main sur le bras droit nu, abîmé par la maladie, posé à l’extérieur de la couverture. Arrivée au seuil de la chambre, la panique me gagnait : ce n’était pas dans mes habitudes et pourtant, une crise me prit d’assaut. Je sentais des pulsions dans mes tempes, ma nuque me faisait mal. Fubuki se colla à mes jambes pour me rassurer et ne disait mot. Elle m’attendait. Hoshiko m’observait, compatissante.

— Approche Moriko.

 La voix affaiblie et brisée de Daichi résonna dans la pièce. Le silence régnait et tout m’attendait. Voir cet homme vaillant et fort, touché par le poison, à l’article de la mort. C’était dur. J’avançai les jambes tremblantes, mon corps entier me suppliait de fuir. Mais si je voulais avancer dans l’intrigue, il me fallait être confrontée à ce moment. Je m’installai contre la poutre en bois soutenant l’arche qui ouvrait la pièce sur le balcon. L’air humide et salé caressait ma peau mate, mes cheveux blancs se balançaient au rythme du vent. Mikan, fondue dans l’obscurité, attaqua le sujet une fois tout le monde installé.

— Moriko, Fubuki, les dernières nouvelles sont les suivantes : les suspects que nous avons pu arrêter ont été interrogés, ont tous un alibi et aucun ne présente de lésions cutanées dues aux contacts avec les feuilles de la plante. Il reste cependant un inconnu, aujourd’hui introuvable. D’après la servante, il se serait fait passer pour le livreur du vin le soir de la fête. Le producteur, tombé subitement malade, avait engagé un jeune homme pour livrer une commande. Le jeune garçon a été retrouvé quelques heures après, égorgé dans le nord du village, nu. Quant à l’état du Chef, il a été empoisonné à la petite ciguë d’après les médecins. Il n’en a pas assez mangé pour qu’elle soit mortelle ; l’odeur interpellait mais il en avait déjà suffisamment mangé pour le rendre malade. Aux premiers symptômes, les médecins ont effectué des lavages gastriques et ont tenté divers remèdes pour essayer de le soulager. Coup de chance que ce poison n’était que la petite cigüe et non la vireuse ou la grande d’après eux. Si ç’avait été le cas, l’issue aurait été fatale.

 — En effet. On pense qu’il y a eu confusion sur ces plantes qui se ressemblent beaucoup. Nous avons pu identifier la plante dans les cuisines : les caractéristiques, l’odeur et les tests épidermiques ont permis d’identifier la cause de l’empoisonnement, permettant alors aux médecins d’agir en conséquence. Par ailleurs, cette plante pousse aussi bien dans des terrains secs ou humides mais selon les herboristes, la petite cigüe est commune dans les décombres ou jardins abandonnés. Soit, elle se développerait principalement dans les Ruines Abandonnées ou près de la Rivière Rosée, au nord de l’île.

 En achevant sa phrase, Hoshiko m’observait. Elle guettait ma réaction ; je réfléchissais. La colère montait. Les différents indices menaient à un endroit : Nornaelesia. Pourtant, personne n’agissait ? Aucune mission prévue, pas même un avis de recherche. Juste une garde plus sérieuse, plus vigilante, un village abattu et une minuscule enquête qui aboutit sur... rien. D’une certaine façon, l’ennemi gagnait et nous, nous étions terrés dans notre coin. Nous nous laissions marcher dessus, nous mangions dans leur main. Ils se riaient de nous.

— Sortez. Moriko, reste.

 Interloquées les filles sortirent, me laissant seule avec Daichi souffrant. Il s’assit tant bien que mal dans son lit et toussa gravement. Sa main tremblante saisit le verre d’eau posé à sa gauche pour boire. J’observais l’homme qui semblait avoir pris des années en quelques mois. Je bouillonnais.

— Tu comptes te laisser faire, Daichi ? explosai-je. Tu comptes laisser impuni ceux qui ont attenté à ta vie ? À ton village ? Ce grand village que j’ai accepté, qui m’a adopté et m’a appris à me battre pour ma liberté et celle des autres, va se laisser bouffer par des ordures ? Leur puanteur empeste encore ces lieux, leurs traces salissent ces rues et personne ne réagit. Tu ne dis rien.

 Je regardais le tilleul, témoin de nos actions, nos sentiments ; le grand témoin silencieux, lâche, traitre. Je m’avançai ensuite au chevet de Daichi à la recherche d’un guide, d’une aide, d’un secours. Il me regarda avec ce même regard qu’il m’adressa quand il me trouva la première fois il y a 10 ans. Un regard empathique, plein de pitié et d’amitié, fort et tendre. Cet homme que je considérais comme une figure paternelle m’accueillait en son sein à nouveau.

— J’attendais ton retour, commença-t-il, doucement. Il était impensable d’agir sans toi, que tu ne participes pas. D’abord parce qu’il ne sert à rien de te laisser comme tu l’aurais su d’une manière ou d’une autre. De plus, je souhaitais discuter avec toi, te rassurer et je voulais avant tout que tu apprennes cette situation par moi et non le lire sur un bout de papier, seule. Hoshiko et Mikan n’ont pas été très subtiles je présume.

 Il m’invita à s’asseoir à son côté en tapotant doucement la couverture. Nous discutâmes quelques instants du village, sa santé, ce qui permit de me rassurer et de me calmer légèrement. Je ne pouvais pas oublier cette colère, cette haine qui m’animait depuis si longtemps. Mais je comprenais aussi désormais les intentions du Chef : il ne comptait pas ne pas agir, au contraire. Il avait déjà réfléchi à quelques mesures d’abord de protection du village mais aussi pour punir le coupable avec une enquête déjà commencée. J’évoquai alors notre intention de mener une mission à Nornaelesia.

 Au départ contre, il accepta après un échange houleux (je ne remercierai jamais assez mon entêtement pour cela) mais à condition qu’elle soit la plus discrète et courte possible. Le temps sur place ne devait excéder trois jours, sans compter le voyage.

— Je donnerai l’ordre de mission à Hoshiko qui reprécisera la composition de l’équipe et les objectifs à tout le monde.

 Je le saluai puis je partis par le balcon, escaladant le tilleul. À son pied, je m’adossai et observai le feuillage. Quand je contemplais cette grandeur nature, je me sentais si petite, inutile. Insignifiante.

 Soudainement, ma tête me relança violemment. Je tombai sur les genoux, une main me soutenant au sol et l’autre s’appuyant sur mon front. Les images, les sons défilaient et s’embrouillaient. Mon cœur s’accélérait, me tirait. Je perdais le contrôle de mon corps. Il tremblait, j’avais froid. Il suppliait la paix, mon esprit le violentait.

 Une main se posa délicatement sur mon épaule. Je levai la tête, apeurée par cette interruption brutale. Les images étaient parties en même temps que le contact, je retrouvai l’ouïe. Mikan était accroupie à ma hauteur, dans son yukata coloré, ses cheveux lisses au vent. Ses yeux brillaient d’inquiétude. Je vis alors flou, les larmes coulaient sans que je le veuille. Mon amie me prit dans ses bras puis caressait mes cheveux, rassurante et réconfortante. Elle tentait de masquer ses tremblements, son inquiétude ; c’était vain mais j’étais sincèrement touchée par ses sentiments. Je cédai finalement et pleurai, j’extériorisais toute cette tristesse, cette haine vécues en quelques secondes. Elles étaient douloureuses, insoutenables mais je ne savais pas pourquoi. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Quelque chose se passait et j’étais en ce moment impuissante, victime de mon propre inconscient.

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